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Sénégal : la recherche, le développement et l’innovation n’est pas une priorité! (Par Dr Assane Ndieguene)

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« Nous essayons de faire avec les moyens du bord parce qu’honnêtement, nous avons
un manque de moyens criant sur le plan matériel et financier pour pouvoir mener des
recherches comme il se doit ». Ce cri du cœur généralisé de nombreux chercheurs de
niveau universitaire résume l’état dans lequel se porte le Sénégal en matière de
recherche, de développement et d’innovation. Le Sénégal a des problématiques qui lui
sont propres et pour les résoudre, une politique d’orientation claire et sérieuse en
matière de recherche scientifique doit-être mise en place par l’autorité qui stipule que «
malgré leurs efforts, le soutien à cette activité de recherche, reste encore insuffisant
dans nos pays » [1]. Comme nous le mentionnions dans un article précédent [1], les
pays les plus puissants du monde sont celles qui investissent le plus dans la recherche, le
développement et l’innovation. En guise de rappel, en 2019, 265 800 demandes de
brevets ont été reçues [2] à l’OMPI et les pays les plus puissants économiquement
occupaient les premières places. Parmi les demandes, la chine en comptait 58 990, les
États-Unis 57 840, le Japon 52 660, l’Allemagne 19 353, le Brésil 644, la Thaïlande 146, le
Maroc 34 et le Sénégal qui est l’un des pays les plus sous-développés du monde n’en
comptait que 4. Comme le Sénégal, les autres pays de l’Afrique noire ne sont pas
épargnés par cette situation. Cette dernière observation démontre clairement le lien
étroit qui existe entre sciences et technologies et développement économique.
Ce manque de moyens cause des problèmes de compétitivité avec les chercheurs de
niveau international et pourtant les idées sont là ainsi que de la ressource humaine
qualifiée. Et pire encore, pour pouvoir faire des travaux de qualité, crédibles et
respectant un certain standard, les chercheurs locaux sont obligés de s’associer avec des
chercheurs internationaux. Malgré les textes qui sont introduits pour le financement des
laboratoires et centres de recherche, la majeure partie des sources de financement
provient d’appels d’offre internationaux comme le CRDI [3] par exemple. Les chercheurs
ont aussi la possibilité d’accéder à des appels d’offre beaucoup plus conséquents que ce
que propose le CRDI.
Le CRDI, Centre de Recherche pour le Développement International, dont le siège se
trouve à Ottawa, a été créé dans le cadre des activités du Canada en matière d’affaires
étrangères et de développement en 1970. Il a pour mission : « de lancer, d’encourager,
d’appuyer et de mener des recherches sur les problèmes des régions du monde en voie
de développement et sur la mise en œuvre des connaissances scientifiques, techniques
et autres en vue du progrès économique et social de ces régions » [3]. Nous avons
retrouvé sur le site du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de
l’Innovation (MESRI) le plus récent appel d’offre conjoint MESRI-CRDI datant du 02 mars
2021 [4] et qui entre dans le cadre de la phase 2 du programme de partenariat
dénommé Science Granting Council Initiative (SGCI2). Cette initiative d’une valeur de

60 000 000 000 fcfa environ dépendamment du taux de change sur 5 ans est financée
par le Foreign, Commonwealth & Development Office (FCDO) du Royaume-Uni, le (CRDI)
du Canada et la Fondation Nationale de Recherche (NRF) de l’Afrique du Sud.
Également, 15 pays africains subventionnaires de la recherche dont le Sénégal
participent à cette initiative. L’appel d’offre MESRI-CRDI dont la majeure partie vient de
l’aide étrangère, fait partie des sources de financement « acceptables » de la recherche
scientifique au Sénégal. Dans l’appel d’offre MESRI-CRDI, il est stipulé que 6 projets de
recherche nationaux seront financés à hauteur de 22 000 000 fcfa par projet sur 2 ans.
Seulement 50% (11 000 000 fcfa) de la somme sera versée au démarrage du projet, 30%
(6 600 000 fcfa) à mi-parcours après présentation d’un rapport d’activités et financier et
le restant des 20% (4 400 000 fcfa) restant après réalisation du projet et approbation du
rapport final. Avec 22 000 000 fcfa, une équipe de recherche de 5 personnes par
exemple pourrait au pire des cas se payer des billets d’avion et des frais de séjour afin
d’aller mener leurs travaux dans des laboratoires de recherche renommé à l’étranger.
Pour dire qu’avec cette somme, oublions l’achat d’équipements et autres nécessités sur
place pour mener à bien des recherches de haut niveau. Les équipements qui
permettent de faire des recherches scientifiques de haut niveau coûtent très chers et la
preuve nous vient de l’acquisition par le Sénégal en octobre 2020 de 2 microscopes
électronique d’une valeur de 800 000 000 fcfa permettant de réduire au passage le
déplacement de certains chercheurs à l’étranger. De même, les fonds annoncés pour les
appels d’offre MESRI-CRDI sont quasi-similaires à ceux du Fonds d’Impulsion de la
Recherche Scientifique et Technique (FIRST) [5] qui est une source de financement
potentielle locale gérer par le MESRI. Ceci pour dire que les appels d’offre au niveau
national ne permettent pas de financer comme il se doit la recherche scientifique au
Sénégal.
Toujours dans les possibilités de financement de la recherche, parfois, ce sont des
bailleurs de fonds qui financent les projets. Il y a aussi les bourses postdoctorales de
coopération qui aident les chercheurs à se déplacer à l’extérieur pour faire des travaux
d’expérimentation de haut niveau. Aussi, chaque deux ans, l’enseignant-chercheur des
universités a la possibilité de faire un voyage d’études dans des centres de recherche qui
lui offre la possibilité de l’accueillir sans frais. Lors de ce voyage d’études, le chercheur
peut recevoir une indemnité de 1 000 000 fcfa plus un billet aller-retour ou une
subvention forfaitaire de 700 000 fcfa. Parfois, des subventions accordées par le
département et l’UFR pouvant aller jusqu’à 500 000 fcfa peuvent s’y rajouter. Dans la
même logique, ils arrivent que la coopération française offre une bourse aux doctorants
inscrits dans les universités sénégalaises, de ce fait, l’étudiant peut rester 4 mois par
année en France sur trois ans pour mener ses expériences et le reste du temps au
Sénégal.
Inutile donc de parler de manque d’infrastructures car il n’y en a pas tout simplement
à quelques exceptions près. Venons-en aux conditions désastreuses des locaux utilisés

pour y mener des recherches scientifiques. Parfois, certains chercheurs sont obligés
d’utiliser leur bureau (espace de travail partagé) pour y accueillir par exemple leurs
doctorants pour faire des présentations, des séances de travail ou autres. Des
conditions de travail désastreuses sont très souvent signalées et parfois, c’est un
manque d’imprimante, de salle de réunion, de projecteurs, de matériels informatiques,
de sécurité, etc. Les personnes qui partagent le même laboratoire de recherche sont
parfois obligées de se cotiser mensuellement pour maintenir en vie leurs locaux. Il n’y a
pas de budget de fonctionnement à proprement dit alloué aux activités de recherches
scientifiques annuelles. Imaginez par exemple que dès fois, par manque de moyens,
certains chercheurs soient obligés d’abandonner une publication pour laquelle ils ont
mis beaucoup d’efforts. À qui la faute!
L’autre grande problématique vient du fait qu’il n’y a malheureusement pas
d’organisation ni de structuration cohérente qui pourrait imposer une architecture
claire aux structures de recherche. De ce fait, professeurs et enseignants-chercheurs
créent des laboratoires par ci et par là entrainant une disparité au niveau des forces. Ce
serait donc une bonne idée d’unifier les petits laboratoires à gauche et à droite à travers
le pays pour en faire de grands centres de recherche. Ceci rime avec un programme
national de recherche scientifique cohérent qui n’existe pas de nos jours ou n’est pas
très clair aux yeux des chercheurs. Par exemple, l’état peut se dire, pour le pétrole et le
gaz du Sénégal, nous allons mettre en place des centres de recherche et financer
comme il se doit cette activité qui va demander beaucoup d’apprentissage et de
développement. Si la recherche n’est pas organisée et bien structurée au niveau
national, chaque chercheur aura tendance à mener des recherches dans le domaine
qu’il souhaite dans son coin, de ce fait, il y a une disparité et un écart énorme entre la
recherche à faire pour les besoins du Sénégal et celle que font les chercheurs en général
à cause du financement étranger. Ce qui fait qu’au lieu de miser sur la connaissance
nationale, le Sénégal préfère faire appel à la connaissance étrangère pour faire
l’exploitation des ressources naturelles.
Certains chercheurs racontent qu’ils ont honte quand leurs homologues venant des
grandes puissances mondiales viennent leur rendre visite à cause de leur laboratoire de
recherche et locaux qui sont extrêmement vétustes et donc loin des normes standards.
Pourtant, dans le document du projet portant loi de finances pour l’année 2021, on y
voit qu’il y a logiquement un budget alloué au MESRI. La figure 1 nous donne un aperçu
de ce budget.

Figure 1 : Aperçu du budget alloué au MESRI en 2021.

Ce budget a plus que doublé en 1 an passant de 203 milliards fcfa en 2020 à 450
milliards en 2021. Un acte positif encourageant qui pourrait redonner espoir aux
chercheurs locaux. Il ne faut cependant pas crier victoire tout de suite car selon le
ministre Cheikh Oumar Anne, « cette augmentation s’explique par une volonté ferme du
président de la République de terminer les chantiers en cours. Les ressources allouées à
l’éducation supérieure sont essentiellement des dépenses de transferts courants
destinées aux subventions des Instituts d’Enseignement Supérieur (IES) et représentant
63,06 % du budget global dudit programme, contre 36,33 % pour les dépenses
d’investissements. Il a également indiqué qu’au sujet des actions, 63,78 % du budget
global du programme est destiné, entre autres, à l’amélioration de la qualité des
enseignements, de la promotion de l’employabilité et de l’insertion professionnelle dans
les IES. Une partie du budget sera aussi consacrée à la poursuite de la finalisation des
constructions et la réhabilitation d’infrastructures pédagogiques en cours dans les
universités » [6]. Vous l’aurez compris, les priorités sont ailleurs (problématique de
l’enseignement supérieur et du surpeuplement des universités sénégalaises) et pas dans
le financement comme il se doit de programmes locaux de recherche pour le
développement économique du Sénégal.
Le Système du Conseil Africain et Malgache de l’Enseignement Supérieur (CAMES), lieu
de passage des chercheurs pour monter en grade, oblige les chercheurs à faire des
publications qui parfois sont malheureusement basiques et non adaptées aux besoins
du Sénégal. Mais le problème est qu’en plus du manque de moyens, les chercheurs sont
débordés à cause de leurs activités d’enseignement qui augmentent d’année en année à
cause du surpeuplement des universités sénégalaises. De ce fait, pour passer leurs
grades, c’est le sauve qui peut car on publie uniquement pour gravir les échelons au
détriment des problématiques du Sénégal. Ceci est en quelque sorte un échec dans le

domaine de la recherche scientifique car il n’y a pas de plans ni d’objectifs clairs visant à
faire de la recherche pour l’émergence d’une nation mais il y a des plans individuels
visant plutôt un avancement de carrière. Pire encore, une fois le grade de professeur
atteint, les chercheurs ne sont plus motivés pour aller de l’avant car le titre et le grade
tant désiré est acquis. Alors pourquoi se casser la tête alors que notre objectif est
atteint! Aussi, ce système du CAMES renvoie à une recherche trop théorique dans la
continuité de ce qui se fait au niveau collégial et secondaire. Avec le CAMES, le Sénégal
ne forme pratiquement que des chercheurs qui sont plus à l’aise dans la théorie
contrairement aux chercheurs qui viennent de la diaspora qui eux sont beaucoup plus à
l’aise dans le domaine expérimental. Le plan stratégique de développement du CAMES
(PSDC 2020-2022 [7]) se décline en 7 axes stratégiques complémentaires parmi lesquels
le soutien et la valorisation de la formation, de la recherche et de l’innovation qui arrive
en 5 ième position dans la liste. Malheureusement, comme le MESRI, le CAMES est obligé
de signer des ententes de partenariat avec des universités et centres de recherche
étrangers pour espérer soutenir si on peut dire les chercheurs locaux. C’est le cas de
l’entente signée récemment entre le CAMES et l’observatoire de la francophonie
économique de l’université de Montréal au Canada [8]. En quelque sorte, il faut
comprendre ici que cette entente va permettre aux étudiants et chercheurs qui ont par
exemple des expérimentations à faire de pouvoir aller les mener à l’université de
Montréal parce que les moyens manquent au niveau local. Avec ce système à
révolutionner, nous sommes toujours donc dans la dépendance étrangère pour pourvoir
mener des recherches de haut niveau. Rien de révolutionnaire! N’est-ce pas!
La Covid 19 a montré que le Sénégal a le potentiel humain qu’il faut pour mener des
activités de recherche et développement digne de ce nom. Par exemple, les élèves de
l’École Polytechnique de Thiès (EPT) ont réussi à fabriquer un prototype de respirateur
artificiel [9]. Malheureusement, maintenant que l’euphorie est passée et que nous
sommes tous retombés sur terre, nous comprenons que la recherche appliquée n’est
pas une priorité au Sénégal. Cette rareté qui a été classée sans suite ferait l’objet d’une
course poursuite entre industriels avec l’aide du gouvernement bien sûr pour amener ce
prototype à maturité pour pouvoir le vendre sur le marché national et international.
Avec les temps qui courent, ceci générerait sûrement des centaines d’emplois au niveau
local. Un appel du pied à la diaspora sénégalaise qui devrait investir davantage dans la
recherche, le développement et l’innovation.
Le Sénégal ne croit pas au développement économique à travers la recherche
scientifique. Hélas, sans elle, il ne se développera jamais. Malgré l’augmentation du
budget du MESRI, les signaux futurs ne sont pas au vert car rappelons que les filières
sciences sont délaissées au profit des filières littéraires d’après les statistiques du
baccalauréat 2020, 83.6 % contre 16.4 %.

Alors, quelles solutions apportées face à ce manque d’organisation et de financement
de la recherche scientifique? Nous tenterons d’y répondre dans l’un de nos prochains
articles sur la recherche, le développement et l’innovation au Sénégal.
Dr Assane Ndieguene
Technical Leader – Chercheur R&D en photonique, packaging et MEMS

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