Monsieur le Président, que se passe-t-il ? On dirait que votre gouvernement tâtonne, car pendant que vous étiez Premier ministre, le Sénégal a traversé une crise énergétique, et nous allons droit vers une autre crise sous votre magistère. Je vais brièvement vous rappeler ce qui s’était passé pour vous aider à éviter une autre crise.
La première raison du sous-investissement dans le secteur de l’énergie est la subvention. En Afrique de l’Ouest et au Sénégal particulièrement, la moitié de la population est pauvre et plus de la moitié de la population vit en milieu rural. Cette population n’a pas accès à l’électricité et ne dispose pas de voitures. Cette subvention n’affecte qu’une petite partie de la population pendant que la pauvreté augmente. La SENELEC à cause de cette subvention est obligée de sous-tarifier et l’Etat en tant que mauvais payeur, empêche à la SENELEC de couvrir ses coûts.
Première crise
Après plusieurs mauvais choix politiques, le Sénégal vivait au jour le jour, tout imprévu mettrait le pays à terre. Avec la hausse du prix du pétrole brut, le Sénégal plonge dans une crise énergétique. Le Directeur de la SENELEC a remué ciel et terre pour rencontrer le président de la République pour lui faire part de la gravité de la situation. Le président vous délégua le dossier alors que vous étiez Premier ministre et vous aviez convoqué une réunion interministérielle sur la situation. Durant le Conseil des ministres du 7 septembre 2006, il a été décidé de rétablir un fonds d’urgence, pour pouvoir conserver les surplus sur le carburant. Rappelons que le fonds avait été abandonné depuis 1998 conformément à l’initiative prise par la Banque mondiale afin de libéraliser le secteur.
Très endettée, la SENELEC a finalement accepté un programme de restructuration. La Banque mondiale et l’Agence française de développement ont respectivement donné 80 millions de dollars et 45 millions de dollars. Votre gouvernement du Sénégal a injecté 40 millions de dollars grâce à un prêt de la Compagnie Bancaire de l’Afrique de l’Ouest (CBAO). Comment est-ce possible alors qu’à cette époque, le Sénégal affichait l’un des prix les plus élevé en Afrique de l’Ouest, 100 FCFA par KWh ? Quel était le vrai problème ?
Après avoir racheté 12,3 % des actions de Total, le gouvernement détenait désormais 33,6 % de la SAR, car le président pensait que la SAR était primordiale à notre économie. Cependant, ce qu’il avait oublié, c’est que la SAR ne pouvait pas être compétitive par rapport aux raffineries en Côte d’Ivoire et au Ghana, d’autant plus qu’il fallait un investissement de presque 500 millions de dollars en plus d’une augmentation de presque 40 FCFA par litre du prix du carburant. Pourquoi vouloir racheter les parts de Total, sachant que la SAR raffinait 1,2 million de tonnes de brut par an alors qu’on avait besoin de plus de 2 millions de tonnes ? On savait aussi que la technologie de la SAR ne pouvait raffiner qu’une seule catégorie de pétrole brut en provenance du Nigeria et qui coûte plus cher à transformer. Avait-on vraiment le choix ?
Trop de politique se retourne toujours contre le gouvernement qui le pratique et la même erreur a été encore commise, cette fois-ci sous votre magistère. Comment est-ce possible ? Entre 2005 et 2007, votre gouvernement a dépensé plus de 360 millions de dollars en subventions directes et indirectes dans le secteur de l’énergie, dans le seul but d’une réélection, on revit la même chose. Ces subventions ont aggravé notre déficit budgétaire en 2006 et en 2007 et cela a augmenté la dette intérieure du pays. Vous avez fait la même chose et il est unanimement accepté par les économistes du monde entier que les subventions dans ce secteur ne bénéficient pas à la réduction de la pauvreté. Pourquoi avez-vous fait la même chose ? On nous rapporte aujourd’hui que votre gouvernement a payé 35 milliards de nos francs, je vous rappelle que la même chose avait été faite durant la crise énergétique et 30 millions de dollars avaient été payés. Cela avait permis de reprendre l’importation de pétrole brut en attendant de voir comment paye le solde qui était estimé à 130 millions de dollars.
Je vais aussi vous rappeler que Shell fournissait 60 % des besoins en pétrole de la SENELEC et elle a été obligée d’arrêter à cause des retards de paiement et une limite de 11 millions de dollars avait été imposée à la SENELEC. Quand ce seuil avait été atteint, la SENELEC s’est tournée vers la SAR et Total sans succès. Elle avait un besoin de 500 000 tonnes par an.
Vers une deuxième crise
Selon le FMI, à la date du 31 août 2018, la dette était de 223 milliards FCFA qui sont couverts comme suit: 70 milliards de FCFA déjà dans le budget 2018, 28 milliards de FCFA sous la forme d’un appui budgétaire de la Banque mondiale et une lettre de garantie permettant à la SENELEC de lever 125 milliards de FCFA sur le marché, qui sera couverts par un plan de remboursement aux banques sur 5 ans à compter de 2019.
Si nous regardons les livres de la SENELEC, on s’aperçoit que la dette s’est accrue de manière démesurée et on peut se permettre de demander s’il y avait un audit interne. C’est ainsi que la dette due à la BOAD a augmenté de 3,5 milliards de FCFA, celle due à la Bank of India de 36,277 milliards de FCFA, celle due à la BIS de 15 milliards de FCFA, une d’elles due à la SGBS de 872 millions de FCFA, celle due à la CBAO de 10 milliards de FCFA et une autre due à la SGBS de 10 milliards de FCFA.
Nous savons tous que la fraude est un problème, mais la SENELEC souffre de problèmes structurels qui obstruent ses performances. J’ai toujours l’habitude de dire qu’on ne s’attaque jamais à la maladie, mais plutôt aux symptômes. Il y a un sous-investissement chronique et il y a une forte dépendance à l’égard du carburant raffiné, qui est très coûteux.
Les autres problèmes majeurs sont la corruption et les subventions gouvernementales. Votre gouvernement ne devait pas subventionner l’énergie durant le septennat, il fallait augmenter les prix par rapport au prix du pétrole tout en libéralisant le secteur financier pour ne pas affecter les PME. Les subventions sont insoutenables et rendent le service public vulnérable à la corruption. Est-il trop tard pour éviter une autre crise énergétique au Sénégal ?
Vous n’avez pas pu régler la première crise de l’énergie, et je ne pense pas que cette seconde crise puisse être réglée sans l’intervention des institutions de Bretton Woods et ou de la France. Pour une souveraineté nationale, il faut une indépendance financière. Monsieur le président, une réélection valait-elle la peine d’avoir fait ces mauvais choix politiques ?