Seydi Ababacar Ndiaye, Secrétaire général du Saes : L’Etat a cinq jours pour éviter la paralysie des universités

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Le 12 février prochain constitue la date butoir. Il ne reste donc plus que cinq jours aux différents acteurs pour désamorcer la bombe d’une grève dans l’enseignement supérieur. Le Syndicat autonome des enseignants du supérieur (Saes) sonne la mobilisation en espérant, d’ici là, un ultime saut de responsabilité de la part des autorités politiques. Seydi Ababacar Ndiaye revient également sur les facteurs qui plombent le supérieur au Sénégal.

Wal Fadjri : La plate-forme revendicative déposée par le Saes arrive bientôt à expiration. La volonté des autorités à éviter une grève dans le supérieur ne s’est-elle pas encore manifestée ?
Seydi Ababacar Ndiaye : Malheureusement, nous n’avons reçu à ce jour aucune réponse des autorités. Ni officielle ni officieuse, alors que le 12 de ce mois, le préavis sera consommé. Un préavis, comme tout le monde le sait, est fait pour donner une chance à la négociation. Nous sommes surpris d’ailleurs de cette absence de réaction des autorités parce que, quand on a rencontré le ministre, il semblait être dans de bonnes dispositions. Après notre visite du chantier de la deuxième cité des professeurs, les militants de base étaient dans une dynamique de déposer un préavis. Le ministre était alors intervenu dans les médias pour dire que cela aurait été mieux que nous le rencontrions d’abord pour discuter avec lui. Ce que nous avions accepté, malgré la pression des camarades. Le ministre qui semblait apprécier notre démarche, avait même promis des rencontres tous les deux mois avec le Saes pour une meilleure communication. Malheureusement, nous nous rendons compte qu’il fait la politique de l’Autriche, si ce n’est qu’il fait carrément le mort. Les ministres sont souvent dans des positions de conservation de leurs postes et font preuve souvent de frilosité. Nous avons fait plusieurs propositions à travers des assises, allant dans le sens de trouver une solution, mais les autorités semblent ne rien vouloir comprendre.

Voilà la situation et quand le préavis expirera, nous serons obligés, à notre corps défendant, d’aller en mouvement. C’est dommage, car tout le monde sait que le Saes est un syndicat qui n’aime pas aller en grève parce que nous connaissons nos responsabilités. En 25 années d’existence, nous ne sommes pas allés en grève plus de cinq fois. Quand je dis aller en grève, je parle de longues grèves. Malheureusement, à l’impossible nul n’est tenu et nous pensons que le président de la République, avec sa vision, n’est sûrement pas au courant de la situation. Je ne peux pas comprendre qu’on ait déposé le préavis sur la table du gouvernement, précisément celle de notre ministre de tutelle, Amadou Tidiane Bâ, et qu’il n’ait même pas daigné répondre par un courrier pour nous dire qu’il accuse réception. Je doute fort que le président de la République, avec l’ambition qu’il a de développer l’enseignement supérieur, puisse ne pas vouloir discuter avec les acteurs que nous sommes sur des propositions que nous apportons pour améliorer l’enseignement supérieur.

Malgré tout, si d’ici les quelques jours qui restent à notre préavis, il n’y a pas de réactions, nous serons obligés de bloquer tout le système de l’enseignement et tous les campus de ce pays. Nous avons entamé la mobilisation et nous sommes partis pour une bataille. Cela va nous faire perdre du temps parce que, de toutes les façons, le gouvernement viendra en négociation.

L’achèvement de la deuxième cité des enseignants constitue un point fondamental dans votre plate-forme. Quel est l’état d’avancement des travaux ?

Cette deuxième cité constitue tout un symbole. Nos anciens se sont battus pour avoir ces terres non loin de l’université, dans la localité de Fenêtre Mermoz, en 1989. Pendant presque dix ans, ce terrain a évolué dans un mauvais sens parce que le ministre de l’Education d’alors, Iba Der Thiam qui avait ce dossier s’était arrogé le droit de couper une partie du terrain pour la donner à l’école américaine d’à-côté. La pression a été mise en 1997 pour que ce site soit construit. Et le gouvernement socialiste avait construit la première phase et il restait la deuxième phase qui a été entamée par le gouvernement actuel qui a arrêté les travaux alors qu’il ne restait plus que 20 % du chantier. Depuis 2004, on nous inscrit quelque chose dans le budget puis, à notre grande surprise, les autorités nous ont dit un jour que cette somme a été allouée au plan Jaxaay. La situation est restée ainsi jusqu’en 2006. En tant que Sénégalais, nous avons laissé passer par solidarité envers nos compatriotes.

Seulement, en 2009, nous avons vu sortir de terre les fondations d’un bâtiment à usage de bureaux appartenant à la Direction générale des impôts et domaines. Nous avons fait des mouvements qui n’ont abouti à rien. Au contraire, en octobre dernier, nous nous sommes rendu compte que le bâtiment a été terminé, ainsi que trois villas qui se situent derrière, destinées à des inspecteurs. Pour nous, c’est une sorte d’injure de la part du gouvernement qui nous a fait attendre pendant des années, arguant un manque de moyens qui, à tout point de vue, relève de contrevérités. C’est ainsi qu’avec la base, nous avons décidé de déposer un préavis de grève. Je précise que cette cité est administrative, c’est-à-dire qu’elle n’appartiendra pas aux enseignants. Ils y habitent mais, après la retraite, ils donneront la place à d’autres, ainsi de suite.

Quels sont les autres points qui figurent dans votre plate-forme ?

Il y a l’achèvement de tous les chantiers dans les différents campus parce qu’on ne peut pas avoir 30 mille nouveaux bacheliers et avoir si peu d’infrastructures. Les chantiers doivent être achevés à Ziguinchor, Thiès, Saint-Louis et Bambey. L’augmentation du budget constitue également un de nos points de revendications. Nous l’avons demandée depuis le congrès du Saes qui s’est tenu les 14, 15, 16 mai dernier et on se rend compte que le budget de l’université de Dakar a perdu presque un demi-milliard, plus exactement 464 millions, Thiès a perdu, Bambey la même chose, Ziguinchor aussi. Saint-Louis est restée au même niveau, mais c’est comme une perte parce qu’il y a deux nouvelles Ufr qui ont été créées, il y a un afflux de bacheliers, le personnel enseignant et de recherche augmente, tout comme le personnel administratif technique de service. Il faut ajouter à cela des fournisseurs à payer sans parler de la recherche. Avec de telles conditions, comment peut-on espérer développer une université sénégalaise ? Une université où l’on se cantonne simplement à payer des salaires avec des gymnastiques extraordinaires ne saurait être plus qu’un grand lycée.

L’autre point concerne les accords de 2002 et de 2005, des points qui restent toujours en suspens, également la réforme des grades parce que, depuis 2005, on a basculé dans le système Lmd et il n’y a pas encore eu d’évaluation.

Enfin, un point important, c’est la sécurisation des campus. Aujourd’hui, nous assistons à une violence récurrente dans les campus. Une violence qui a atteint son paroxysme le 9 juillet 2010 lorsque des étudiants sont allés casser les vitres du rectorat de l’Ucad et ont essayé de le brûler. Ils ont, lors de ces casses, essayé de rudoyer le recteur. Leurs camarades de l’université de Saint-louis leur emboîtant le pas à la fin du même mois de juillet dernier, ont agressé le commandant de la gendarmerie qui était venu représenter la loi, avant de brûler la direction des ressources humaines. Même comportement noté à Ziguinchor en décembre 2009. Lamine Ndiaye, le chef du département de sociologie, agressé le 8 décembre dernier, a perdu trois de ses dents. La violence continue puisque, dans les codifications internes aussi, on note des violences. Il faut souligner que, pour nous, il n’existe pas de différence entre le campus social et le campus pédagogique. Le campus est un et indivisible, contrairement à la vision de la Banque mondiale qui a voulu enlever les franchises universitaires du campus.

La sécurisation des campus est un point important pour le Saes. Il faut qu’il y ait des murs, des portes et des vigiles pour le contrôle. Là-dessus, le Saes a produit des documents que l’on a voulu partager avec le gouvernement, en invitant le 8 décembre dernier le Premier ministre pour ouvrir le débat et le ministre de tutelle pour être un discutant, malheureusement aucun d’eux n’a daigné se déplacer alors que nous avons travaillé du 1er septembre 2010 jusqu’à cette date. Le document que nous avons produit, nous l’avons appelé ‘Assises sur la normalisation de l’enseignement supérieur’. C’est vous dire que nous avons adopté une démarche anticipative et avons jugé nécessaire d’en discuter avec le gouvernement. Le Saes reste convaincu que la vocation première de l’enseignement supérieur n’est pas de revendiquer, mais de réfléchir et de proposer d’abord.

Parlant de proposition, que faut-il faire selon le Saes pour pallier le phénomène de la violence ?

Il faut déjà revoir la situation. L’Université de Dakar a dépassé largement ses limites avec plus de 60 mille étudiants. Il faut reformater cette université, c’est-à-dire qu’on ne peut pas dépasser normalement 20 mille étudiants à l’université de Dakar. La faculté des Lettres et Sciences humaines devrait être normalement une université parce qu’elle constitue en son sein deux facultés : les Lettres et les Sciences humaines. Il faut décongestionner parce que vouloir mettre 60 mille étudiants, 1 200 professeurs, 1 400 personnels administratifs et techniques (Pats) et d’autres personnes qui évoluent dans l’espace universitaire, ce qui ramène le nombre global à 70 mille personnes sur une superficie de 172 ha, ce n’est pas normal. Ces conditions peuvent amener la violence.

Le fait également de donner de l’argent à gérer aux amicales d’étudiants est une source de violence. Récemment, une bagarre a éclaté entre des étudiants de la Faseg et l’un d’entre eux a reçu un coup de machette sur le crâne. Il est incompréhensible que l’on donne à des étudiants de l’argent à gérer, des bourses à gérer, des lits à gérer, etc. Un étudiant, comme son nom l’indique, est là pour étudier. Les amicales ne doivent nullement être des cadres qui offrent aux dirigeants des positions de gestion d’argent ou de pression sur leurs camarades.

Il y a aussi la prolifération des confréries dans les campus et des associations des ressortissants, c’est dire donc qu’il y a un vide. Il faut occuper autrement les étudiants, en mettant en place des systèmes de radio, télévision pour recréer les espaces de débats, mais surtout décongestionner l’université de Dakar. Il est temps qu’il y ait une deuxième université dans la région de Dakar et ça, nous l’avons dit dans les conclusions de nos assises. L’espace réservé à l’Université du Futur africain peut abriter cette deuxième université et cela n’empêchera pas de prendre en charge la vision du président de la République. L’Université du Futur africain ne veut pas forcément dire une université physique, mais c’est un concept que l’on peut s’approprier pour mettre sur pied cette deuxième université à Dakar.

Propos recueillis par Amadou NDIAYE
walf.sn

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