Souleymane Sokome, juriste et politologue analyse et décortique la situation politique actuelle du Sénégal

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C´est dans une interview exclusive accordée depuis Berlin que Souleymane Sokome , Consultant juridique et politique, décortique et analyse la situation politique actuelle du Sénégal, le procés de Karim Wade, le bilan du régime Macky Sall, la réduction du mandat présidentiel de 7 ans á 5 ans, la crise universitaire et les luttes intestines au sein de la formation politique du Président de la République. 

M. Sokome, vous êtes juriste et politologue sénégalais basé á Berlin, membre de l’Alliance pour la République du Président Macky Sall (Apr), Délégation des Sénégalais de l´Extérieur (DES), Allemagne. Comment analysez-vous la situation politique du Sénégal aujourd’hui ?

Vous savez M. Faye pour mieux analyser la situation politique actuelle de notre pays, il est important de remonter un peu dans l´histoire. La situation politique actuelle de notre pays est le résultat d´une combinaison de plusieurs héritages : La période allant de 1960 á 2000 avec le régime socialiste, sous les présidents Senghor et Abdou Diouf et la période allant de 2000 á 2012 sous l´ére Wade, le mode d’élection du Président de la République au suffrage universel à deux tours, la sociologie politique ainsi que le clientélisme politique instauré depuis 1960.

Les postes de responsabilité que ce soit les ministres, directeurs généraux ou autres sont souvent partagés entre les amis, parents et militants du Président pour qu´ils puissent s´enrichir et redistribuer une partie pour entretenir la clientèle mobilisable pour gagner les élections et conserver le pouvoir. Sans accuser les régimes précédents, il faut toutefois, reconnaître qu´ils ont instauré un systéme politique flou qui influence encore ce qui se passe aujourd´hui dans notre pays. La conséquence en est qu´on note des transhumants de gauche á droite et des intérêts politiques personnels au détriment de l´intérêt général ou des programmes clairs de développement. Ce systéme politique hérité constitue aujourd´hui toutes sources de frustrations et de conflits potentiels.

Au niveau des médias on ne parle aussi que de la politique á la place des préoccupations des sénégalais. D´ailleurs l´actualité politique constitue votre source de revenus. Vos lecteurs sont plus que attirés par les sujets politiques qu´économiques. Ce qui fait que la presse locale qui s´acharnait hier sur le régime de Wade et sa famille retourne la veste et manipule le peuple. Tout le monde est expert au Sénégal. Finalement on ne connaît pas les tenants et les aboutissants. L´opposition aussi qui devait être soudée en proposant aux sénégalais un programme fiable pour les prochaines élections présidentielles attend d´une quelconque occasion défavorable pour s´acharner sur le camp présidentiel : Par exemple : la pénurie d´eau suite á une panne localisée au niveau de la Station Keur Momar il y a une année, la crise universitaire et le cas du jeune guinéen infecté du virus d´Ebola. Pourquoi nos politiciens ne restent pas unanimes dans des moments difficiles pour défendre l´intérêt de la nation ? Dans une société démocratique, paisible et harmonieuse, l´importance de savoir s´exprimer est source de paix et d´apaisement.

En outre, la mouvance présidentielle qui pourrait éclater á tout moment á cause d´une éventuelle confusion du point de vue idéologique (acceptation et application des institutions telles que définies par les assises nationales) découle de la façon dont les alliances sont nouées chez nous.

Comment peut-on diriger un pays avec des doctrines différentes (socialistes, libérales, communistes) ? L´Apr se trouve dans une phase de massification et c´est la guerre de positionnement au niveau des militants.

Notre pays est malade de par certains politiciens sans programme politique ou vision claire de développement et qui prennent le pays en otage alors que la démocratie est la compétition de réponses aux questions auxquelles les citoyens se posent. Á deux années et demie de la prochaine présidentielle sénégalaise le paysage politique sénégalais reste toujours confus par l´absence d´une stratégie claire d´opposition. Qui sera le candidat du PDS aux prochaines élections présidentielles ? La Coalition « Benno Bokk Yakaar » va t-elle soutenir le Président Macky Sall pour un deuxiéme mandat ou présentera t-elle son candidat ? Khalifa Ababacar Sall et Me Aïssata Tall Sall accepteront t-ils de s´allier avec la mouvance présidentielle vu les ambitions présidentielles prêtées á ces personnalités? Quelle alliance politique pour Idrissa Seck, Abdoulaye Baldé ou les autres partis politiques ? Voilá autant de questions qui ne trouvent pas encore de réponses adéquates.

Macky Sall va bientôt boucler trois ans à la tête du Sénégal. Comment appréciez-vous son bilan d’étape ?

Une alternance politique suscite toujours de grands espoirs de changement. On l´a constaté avec le régime de Wade et cela se reproduit aussi avec le régime actuel. De ce fait le peuple reste á la fois intransigeant, exigeant et impatient envers l´équipe gouvernementale.

Cependant, même si les défis sont encore énormes, á relever par exemple le désespoir des jeunes face au chômage et le manque de perspectives ainsi que la détérioration globale du pouvoir d´achat, la crise universitaire ou l´accroissement des inégalités, il faut toutefois souligner que le Président Macky Sall a donné des signaux forts en termes d´amélioration de la gestion des affaires publiques. Á titre d´exemple l´amorce de la réduction du nombre d´agences, la réalisation d´audits des organismes publics, l´adoption d´une loi créant un Office national Anti-Corruption (OFNAC), l´activation de la Cour de répression de l´enrichissement illicite, l´adoption de loi transposant le Code de transparence des finances publiques de l´UEMOA et de la loi portant réforme de la Cour des Comptes et l´ambitieux Plan Sénégal émergent (PSE). Pour améliorer la gestion du secteur minier au profit des populations locales, le gouvernement de Macky Sall avait soumis sa candidature officielle pour mettre en œuvre la norme mondiale qui promeut la transparence des revenus issus des ressources naturelles. Cette candidature a été approuvée le 17 octobre 2013. Désormais, le Sénégal est membre de l´Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Donc la bonne gouvernance est primordiale pour un Etat soucieux de son développement. Les orientations stratégiques en matiére de bonne gouvernance initiées par le gouvernement se sont traduites par une meilleure gestion des ressources publiques.

Á cela s´ajoute qu´en considérant que les injustices sociales sont des contraintes au développement, le Président Macky Sall a lancé aussi des politiques novatrices de protection sociale financées par une forte réduction du train de vie de l´Etat et incluant une Couverture maladie universelle et une Bourse de sécurité familiale sur le modèle des pays émergents. Cette politique sociale englobe un budget de 120 milliards de francs CFA depuis cette année. Un autre aspect positif á souligner dans le domaine social ce sont les 40.000 logements sociaux qui seront réalisés á long terme á Diamniadio.

Sur le plan économique même si la situation est difficile pour tous les pays du monde, le programme de réforme de l´environnement des affaires et de la compétitivité (PREAC) du gouvernement constitue á long terme le fer de lance de l´économie sénégalaise. Dans le domaine énergétique il faut souligner le programme Mix énergie qui prévoit de doter d´électricité scolaire des infrastructures scolaires et sanitaires de 1000 villages et zones périphériques des villes.

Sur le plan diplomatique, même si, il faut encore plus d´efforts pour la protection de nos concitoyens établis á l´étranger, il faut aussi reconnaître que notre pays a accueilli ces deux derniéres années de nombreuses visites d´éminents leaders du monde dont Barack Obama.

En résumé le bilan n´est pas négatif vu la durée du régime actuel.

Justement, les responsables de l’Apr font de plus en plus la « Une de la presse » à cause de luttes intestines. Comme le cas Farba Ngom versus Abou Lô. Comment analysez-vous cette situation ?

Vous savez, les querelles internes existent dans tous les partis politiques du monde. Cela se justifie par des raisons de leadership et de représentativité. Mais pour moi ce n´est pas une raison de ne pas les condamner. Se quereller jusqu´á la Présidence (si les faits sont avérés) est non seulement une insulte aux institutions du pays mais aussi un manque de respect á l´égard du Président de la République. Quand on ne sait pas parler correctement, quand on ne manie que de vagues approximations, quand la parole n´est pas suffisante pour être entendue, pas assez élaborée parce que la pensée est confuse et embrouillée, il ne reste que les poings, les coups, les actes indignes, la violence fruste et aveugle. Les militants doivent éviter les querelles internes en avançant notre pays tout en proposant des programmes de développement. Le Président de la République et le peuple n´ont pas besoin de querelles internes ni du griotisme politique mais des résultats. Les querelles internes affaiblissent le parti et décrédibilisent le pouvoir exécutif. Le Président de la République et le parti doivent être fermes sur ce probléme.

Selon vous, quel doit être le cap pour les trois dernières années du premier mandat de Macky Sall ?

Le Président Macky Sall doit ouvrir les yeux et répondre aux attentes des sénégalais. Il faut absolument plus que d´actions que de politique comme plus de vision á long terme. Les trois derniéres années du premier mandat doivent être basées sur une politique plus claire et plus réaliste. Comme j´ai l´habitude de le dire « l´accumulation des frustrations des sénégalais avec les différents régimes politiques depuis 1960 ainsi que le respect des libertés publiques et individuelles, la liberté de la presse et surtout la maturité des sénégalais qui s´intéressent de plus en plus aux affaires de la Cité constituent un grand danger pour le Président Macky Sall et son gouvernement ». Désormais, aucune erreur ne sera pardonnée par nos concitoyens dans la gestion des affaires du pays. Nous sommes dans l´obligation de faire mieux que les autres régimes pour pouvoir briguer un deuxiéme mandat. Pour y arriver je conseille qu´une seule chose : être au service des sénégalais car le dernier mot revient au peuple.

L’un des principaux engagements de Macky Sall durant sa campagne, c’était la réforme des institutions. La commission chargée de plancher sur les réformes en question a déposé son rapport, mais elle a essuyé de virulentes critiques de membres de l’Apr, notamment le président qui décide de ne rien changer. Ces réactions vous ont-elles surpris ?

Oui dans la mesure oú le Président Macky Sall s´est même engagé ou avait promis á respecter les assises nationales dans la mesure possible. Nous ne devons jamais perdre de vue le fait que c´est l´intérêt général qui doit prévaloir et non les intérêts d´une personne ou d´un parti politique. Je soutiens personnellement la Commission nationale de réformes des institutions (CNRI) qui est un véritable catalogue de mesures censées renforcer la bonne gouvernance, l´Etat de droit, l´équilibre des pouvoirs, l´indépendance de la justice, les libertés publiques…

Parmi les points essentiels des réformes attendues, il y a la réduction de 7 à 5 ans du mandat de Macky Sall, conformément à son engagement maintes fois réitéré. Quelle voie vous semble plus indiquée pour faire passer la loi ?

Selon l´article 63 de la Constitution sénégalaise « l´initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux parlementaires. Le projet ou la proposition de révision de la Constitution est adopté par l’Assemblée nationale. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum. Toutefois, le projet ou la proposition n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre à la seule Assemblée nationale ». Dans le langage du droit constitutionnel cela signifie qu´il incombe au Président de la République de choisir librement sa maniére de faire passer la loi. Il peut consulter directement le peuple comme il peut consulter les députés pour réduire le mandat présidentiel.

De mon point de vue personnel, la voie référendaire c´est á dire consulter directement le peuple me paraît plus légitime même si cela coûtera cher au contribuable sénégalais. La justification est simple : Au niveau du Parlement le Président de la République détient la majorité. Néanmoins, il faut saluer la décision courageuse et personnelle du Président de la République de vouloir réduire son mandat á 5 ans. Le fait est rare dans la mesure oú beaucoup de dirigeants africains aiment s´accrocher au pouvoir.

L’actualité, c’est également le procès de Karim Wade. Au-delà d’être une question purement judiciaire, quel commentaire faites-vous de la traque des biens mal acquis ?

Vous savez depuis 1960, date de notre indépendance théorique, des aptitudes irresponsables de protection politique menant á une mauvaise gestion de la Cité, au clientélisme et á la corruption ont été constatées au plus haut sommet de l´Etat sans aucune inquiétude. La traque des biens mal acquis constitue donc la fin de la récréation c´est á dire de l´impunité. Je regrette seulement que cette loi tardait á venir ou á être appliquée depuis des années. Je ne dis pas que Karim Wade a détourné de l´argent ou pas mais je salue les acquis de notre pays au plan de la gouvernance démocratique.

Malgré le bruit fait autour de cette affaire, des milliards dont on dit ils sont planqués à l’étranger restent plus de deux ans après, introuvables. Ne craignez-vous pas que cette traque puisse se retourner contre le régime en place ?

Je laisse cette question á la justice de mon pays qui est seule censée avoir de réponses.

Beaucoup de personnes estiment que le Président à une volonté de changer la marche du pays, mais son handicap serait le déficit de communication autour de ses actions. En tant que chargé de la communication et des activités politiques de l’Apr Allemagne et coordinateur de la section Apr de Berlin, Partagez-vous cette impression qu’ont les Sénégalais ?

Oui d´une part car ceux qui devaient l´aider manquent de courage et de cohérence. Vous savez M. Faye la communication politique n´est pas de la publicité. Elle doit tenir compte des urgences et demandes de la société. Elle doit être basée sur un discours argumentatif et convaincant. Mais moi je pense le plus grand probléme se trouve au niveau de notre systéme et nos mentalités qui ne sont pas forcément compatibles au développement. Une seule personne ne peut pas développer une nation. Chaque citoyen détient une part de responsabilité pour la bonne marche d´une nation.

Wade a toujours dit depuis le début de l’incarcération de son fils, que le pouvoir en place veut lui barrer la route. Quel commentaire faites-vous de toutes ces accusations de l’ancien président ?

C´est tout á fait normal de défendre un fils qu´on aime bien. Je reviens á la première question de cette interview oú je me demandais qui sera le candidat du PDS aux prochaines élections présidentielles ? La réponse est donc Karim Wade ?

Et que dites-vous de ces propos de Karim Wade qui dit que sa candidature hante le sommeil de Macky Sall ?

Ecoutez, je pense qu´il est plus important pour Karim Wade de se défendre efficacement sur le plan juridique que de se baser sur des stratégies politiques. Son incarcération n´est pas politique mais judiciaire. Je le répéte une fois de plus tout en pesant mes mots « l´incarcération de Karim Wade est la conséquence du népotisme pratiqué dans bon nombre de pays africains ». Maintenant chacun est libre de faire son interprétation. La présomption d’innocence, une bonne fois pour toutes n’est qu’une chose : une règle de preuve en matière pénale. Il incombe au juge et á l´accusé d´apporter des preuves fiables. Dans cette logique, j´espére que le procés soit juste et équitable dans le strict respect du droit. Cela est plus important pour moi que de le politiser.

Pensez-vous que la crise universitaire nécessite aujourd’hui qu’il y ait un dialogue entre pouvoir et opposition ?

La crise qui secoue l´Université est juste un manque de projection et d´anticipation de la part de nos autorités et des responsables universitaires. Le probléme ne date pas d´aujourd´hui. Si vous faites la remarque, les effectifs d´éléves augmentent sous l´effet non seulement de la poussée démographique, mais encore de l´évolution sociale qui entraine un nombre croissant d´écoliers primaires á passer au secondaire et á continuer leurs études jusqu´á l´Université. Notre pays n´a pas su prévoir l´aspect démographique mais surtout la hausse continue du taux de scolarisation.

Les effectifs d´étudiants croissent très rapidement et les soucis sociaux demeurent toujours depuis des années (J´ai été étudiant á l´Université Cheikh Anta Diop de Dakar avant de poursuivre mes études en Europe). Le faites que l’Université est par essence un lieu de déconstruction, de révolte et de refus n´arrange pas aussi les choses. Maintenant, je pense la solution n´est pas un dialogue politique entre pouvoir et opposition mais la capacité de l´Etat à résoudre les problèmes qui sont à la base de la crise : accroissement du nombre d´étudiants, déficit d´infrastructures, insuffisance de labos équipés et de professeurs, attribution et paiement des bourses sociales, accés et massification etc. Depuis 1960 très peu de nouvelles universités publiques sont construites alors qu´il y a une très forte croissance de la demande. Pour un bon fonctionnement harmonieux de nos universités, l´Etat doit investir de gros moyens et les Universités doivent aussi être laïques et apolitiques.

Merci M. Sokome de nous avoir accordé cette interview depuis Berlin 

Interview réalisée par Abdoulaye Faye de Dakarsn.com

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