XALIMANEWS-Madame Soham WARDINI, Maire de Dakar, a réagi contre le projet de suppression de la « ville » en ses termes :
« Dakar ville plus que centenaire, ancienne capitale de l’A.O. F, ville ouverte à toutes les identités, à toutes les fraternités, et à toutes les solidarités, témoin de notre histoire commune mérite plus de considération ».
Monsieur Abdoulaye NIANG, Maire de Rufisque,est lui aussi, sans surprise, contre. Ce serait un « déni d’histoire », soutient-il.
Les « villes » de Dakar et de Rufisque – commeavant elles, celles de Saint-Louis ou encore de Gorée – n’ont pas été créées par les sénégalais.
BREFS RAPPELS
C’est pour l’année 1783 que le « Maire de ville » apparaît pour la première fois dans l’état général des dépenses à faire par l’Etat français dans la colonie du Sénégal.
Le 28 Juin 1881, le droit colonial enregistrait un nouveau code, « le code de l’indigénat ». En 1887, le gouvernement français l’imposa à l’ensemble de ses colonies. Il distinguait deux catégories de personnes humaines : les citoyens français (de souche métropolitaine) et les sujets français (les noirs, les malgaches, les algériens, les antillais, les mélanésiens, etc.) Seuls les sujets français étaient soumis à ce code, c’est-à-dire à un ensemble de mesures dégradantes : les travaux forcés, l’interdiction de circuler la nuit, les impôts de capitation sur les réserves. D’autres mesures pouvaient y être ajoutées de façon discrétionnaire. Les délits qu’il avait consacrés étaient passibles d’emprisonnement ou de déportation.
Ce code sera appliqué dans la colonie du Sénégal jusqu’en 1946 (année du vote de la loi Lamine GUEYE) alors que les Accords de Genève du 23 Avril 1938 avaient interdit toute forme de travail forcé. En Algérie, il restera en vigueur jusqu’à son indépendance en 1962. Le code de l’indigénat avait pour objectif de faire régner le « bon ordre colonial » basé sur l’institutionnalisation d’une inégalité inventée par les colons. C’’est pourquoi « les indigènes de l’île de Saint-Louis et de l’île de Gorée » se voient accorder la citoyenneté française par la loi du 04 Avril 1792. Quelques années après le triomphe de la Révolution de 1789. Après, viendront le tour de Dakar et Rufisque lorsqu’elles prendront une importance économique. Blaise DIAGNE appelait ces « QuatreCommunes », le « Berceau de la France Africaine ». Et pour cause ! Car les « villes » furent surtoutcréées pour servir de fer de lance à la politique coloniale dite « d’assimilation ». Il était admis que les peuples colonisés étaient inférieurs aux « métropolitains ». Par conséquent, les colonisés devaient progressivement adopter la culture et les valeurs du colonisateur. Le Gouverneur FAIDHERBE déclarait à ce sujet dans un discours prononcé au cours d’une cérémonie de remise de prix à Saint-Louis le 14 Juillet 1860 : « C’est son intérêt, dont le nôtre n’est que la conséquence, que nous poursuivons, en cherchant à instruire cette population pour nous l’assimiler ». Voilà pourquoi, il s’était opposé pendant longtemps à l’élection des Maires.
Parce qu’il préférait que le Maire reçoive des instructions à appliquer dans ce sens plus tôt que d’être à l’écoute de ses électeurs. Sous ce rapport, il est utile de rappeler que les Maires publiaient les ordres de l’Administrateur, contrôlaient leur exécution, assuraient la police ; ils étaient responsables de la voirie et participaient à la justice comme auxiliaires ; ils recevaient parfois mission de négocier avec les chefs locaux.
La construction du chemin de fer Dakar – Saint-Louis devait permettre à la France de relier sescommunes de Saint-Louis (capitale) et de Dakar(port). Mais aussi de conquérir le Cayor. Il sera un élément majeur dans la colonisation française après la Conférence de Berlin (1884-1885).
A la création de l’Afrique Occidentale Française(A.O.F) en 1895, les citoyens des « Quatre Communes » conserveront leur statut de citoyens français tandis que les autres habitants des territoires colonisés seront cantonnés au statut « d’indigènes ». Ainsi encouragés à entretenir un complexe de supériorité. Aujourd’hui encorehélas, certains de nos compatriotes – d’un nombre infime heureusement – n’en sont toujours pas guéris. Cette politique coloniale a fait des victimes parmi des sénégalais devenuscélèbres.
Lorsqu’il a été mobilisé, Abdoulaye WADE, alors surveillant à l’Ecole Normale William PONTY, sera désigné pour la « corvée des chiottes » au camp militaire de Rufisque jusqu’à son départ « pour la métropole ». C’est lui-même qui le révélera à feu Maître Abdoulaye THIAW, mon maître de stage. Membre du Comité Exécutif (notamment avec Sékou TOURE dont il restera un des intimes jusqu’à la mort de ce dernier au pouvoir en Guinée) de l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire (U.GE.T.AN) ; membre éminent du Bureau Confédéral de l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (U.N.T.S) – ancêtre de l’actuelle C.N.T.S – THIAW passera sa Licence enDroit escorté par un garde pénitencier parce qu’il purgeait une peine d’emprisonnement suite à la grève générale de Mai 1968. Il deviendra « Premier Maodo » du Parti de Mamadou DIA ancien Président du Conseil de Gouvernement du Sénégal. Feu le professeur Assane SECK, avait été lui aussi mobilisé. Et, tout élève de l’Ecole Normale William PONTY qu’il était – ce qui lui donnait le droit d’être doté en tenues et souliers – avait été déchaussé au camp militaire de Ouakam jusqu’à son départ « pour la métropole ». Il avait raconté cet épisode de sa vie à son neveu, mon ami feu Seydina Issa DIOP Ingénieur des Industries chimiques et qui fût Conseiller Technique des ministres André PEYTAVIN et Abdou DIOUF devenu Président de la République.
Léopold Sédar SENGHOR – qui se révéla aux sénégalais au cours de sa fameuse conférence publique sur « Assimiler et non être assimilé » à la Chambre de Commerce de Dakar en 1945 – avait été convaincu surtout par des cadres du Fuuta à quitter la S.F.I O de Lamine GUEYE et de créer son propre parti politique.
La principale mission de la « ville » avait fait d’elle une force d’attraction telle qu’une part non négligeable des deniers de l’Etat colonial français lui étaient destinés.
C’est ce qui explique en partie les investissements consentis dans les « villes » situées le long du chemin de fer Dakar – Saint-Louis. Ses mirages ont ébloui et continuent d’éblouir plus d’un !
Après l’indépendance en 1960, les régions périphériques notamment ont continué à souffrir de cette option politique.
LA SUPRESSION DE LA « VILLE » S’ETAIT IMPOSEE D’ELLE MÊME DEPUIS 2014
La réforme voulue par le Président Macky SALL et appelée « Acte III de la décentralisation » avait dissout les communes d’arrondissement de Dakar érigées en Communes. Ce qui était en cohérence avec sa politique de territorialisation des politiques publiques. Mais aussi avec les prescriptions de l’article 15 du nouveau Code Général des Collectivités Locales (C.G.C.L) qui dispose :
« Les collectivités locales sont d’égale dignité. Aucune collectivité locale ne peut établir ou exercer de tutelle sur une autre ».
Or, la « ville de Dakar », par l’importance de son budget, de ses programmes ainsi que de son patrimoine, exerce une tutelle de fait sur ces Communes. C’est une violation de cet article. Elle s’ajoute au fait que le Maire de Dakar (tout comme celui de Rufisque) est élu au suffrage universel indirect et non par les Dakarois dont il reste très éloigné ! Concrètement, il ne leur rend pas compte. Ce sont les Maires des Communes qui sont proches de leurs administrés. En fait, dès l’entrée en vigueur du C.G.C.L en 2014, la « ville » était devenue une anomalie démocratique.
Mais il est une autre partie de la déclaration du Maire de Dakar qui mérite quelques commentaires :
« …Aujourd’hui plus que jamais, c’est le devenir de notre territoire, notre avenir commun qui est en jeu. C’est à nous de décider, pour que d’autres ne décident pas à notre place, de l’évolution que nous voulons donner à Dakar, notre ville ».
Les Dakarois ne sont pas citoyens d’une ville mais d’un pays, le Sénégal. Pas plus qu’ils n’ont un « territoire » qui leur appartienne. Ils n’ont jamais eu et n’auront jamais le droit de décider de leur « avenir » ! La « ville de Dakar » a été créée par décret. Dans notre système démocratique, « la souveraineté nationale appartient au peuple sénégalais qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. » (Article 3 alinéa 1 de la Constitution). En d’autres termes, les députés à l’Assemblée Nationale peuvent voter au nom du peuple sénégalais.
La suppression de la « ville » ne changera ni le statut de citoyens sénégalais de ses habitants, ni leur vie de tous les jours, ni les solidarités nées de nos cultures, de notre foi ; ni de son statut de capitale du Sénégal. Alors ! En quoi une telle réforme manquera-t-elle de « considération » aux Dakarois ?
Au contraire, l’élection souhaitée (et acceptée par le Dialogue National) par les principaux acteurs d’une élection des Maires au suffrage universel direct appelle aussi à la concrétisation de ceprojet. Sinon, les Dakarois devraient voter pour élire le Maire de leur Commune, puis pour élire le Maire des Communes !
Un gaspillage de nos maigres ressources financières. Alors surtout que Lévi-Strauss, dans « Race et Histoire », nous avait prévenu :
« L’Humanité est riche de possibilités imprévues dont chacune, quand elle apparaîtra, frappera toujours les hommes de stupeur ; le progrès n’est pas fait à l’image confortable de cette « similitude améliorée » où nouscherchons un paresseux repos, mais il est tout plein d’aventures, de ruptures et de scandales. L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification, tandis que l’autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification. »
Landing BADJI
Avocat à la Cour
Consultant international
E-mail : [email protected]