L’édition 2016 du festival de jazz de Saint-Louis a failli ne pas se tenir. Si la raison officielle invoquée a été la menace terroriste, de façon officieuse, les observateurs pointent du doigt le manque de moyens et l’absence de soutien étatique pour que ce rendez-vous, pourtant devenu mondial au fil des ans, puisse perdurer. Il ne s’agit pas de seulement se maintenir bien sûr, il s’agit surtout de tenir le rang et continuer à attirer les grands noms du jazz. Or, cette année Marcus Miller a fait faux bond. De là à y voir un signe, il n’y a qu’un pas.
De ses débuts en 1991, où des jeunes pensent initier un festival de jazz pour rendre hommage à Pape Samba Diop Mba, (musicien aujourd’hui disparu) en passant par 1992 où se tient la première édition, jusqu’à l’implication du centre Culturel français en 1993, qui lui donne un caractère international, Saint-Louis Jazz s’est inscrit dans la lignée des grands évènements musicaux.
Tellement de sommités de la musique se sont produits au bord du fleuve, que l’idée même de voir disparaitre le festival de la vieille cité, donne des frissons à ses fidèles. Herbie Hancock, Jack Dejhonnette, Liz Mc Comb, Doudou N’Diaye Rose, Joe Zawinul, pour ne citer que ceux-là, ont déjà égayé les nuits saint-louisiennes.
Qu’un festival mette la clé sous la porte, n’est pas nouveau. En 2014, un article du journal français « 20 minutes » évoquait les nombreuses annulations de festivals, faute de budget. Les Nuits d’Istres, la fête du soleil à Marseille ou encore le festival d‘Hyères, tous ont baissé rideau, rien qu’en France et la liste n’est pas exhaustive.
En Afrique, Sauti za Busara (Zanzibar) l’un des plus emblématiques festivals sur le continent a dû sauter l’édition 2016 faute de budget. Heureusement, son retour est annoncé pour 2017. Au Sénégal, le festival du Sahel sur les dunes de sable de Lompoul, aprés des débuts promotteurs a carrément mis la clé sous la porte pour les mêmes raisons.
Seulement, si avec la profusion de Festivals en Europe, l’argument du budget trop court ou du déficit, invoqué par les autorités publiques et les organisateurs pour annuler des rendez-vous peut s’entendre parfois, au Sénégal, par contre, où il y a peu de rendez-vous de ce genre, il (l’argument) passe difficilement.
Bien sûr, il y a Gorée Jazz festival initié par le bassiste Alune Wade et les Blues du fleuve de la star Baaba Maal mais ça fait toujours trop peu d’évènements à gérer pour que chaque année, leur édition soit menacée.
Pour Guissé Pene, consultant et ancien secrétaire Général de l’Association des métiers de la musique, le premier obstacle des organisateurs et promoteurs de festivals est le montant exorbitant des taxes auxquelles ils sont confrontés : « quand les taxes en général montent à 51% de votre budget, et quand celles des municipalités uniquement fluctuent entre 8 et 15%, les mairies plafonnant d’ailleurs plus à 15% qu’à 8 %, dans ces conditions, les festivals peuvent difficilement survivre » déplore le consultant.
La seule question à se poser aujourd’hui, ajoute Guissé Pene, c’est pourquoi de grands noms du jazz, de la soul et de la pop mondiale qui venaient régulièrement au Sénégal, ne viennent plus aujourd’hui ? En effet, dans les années 70-80 Burning Spear, James Brown, Michael Jackson, Pacheco, Orchestra Aragon et tant d’autres ont joué à Sorano (Salle de spectacle de Dakar) ou ailleurs.
Cette désertion des grands noms de la musique, à son avis,est due aujourd’hui à une absence de politique culturelle substantielle alors que le poete Léopold Sédar Senghor Président du Sénégal de1960 à1980, avait une vision claire de la culture et une ambition pour elle. Les organisateurs de spectacles ne peuvent plus désormais supporter les charges à eux seuls.
Pourquoi l’État taxe-t-il autant les évènements musicaux ? Guissé Pene encore, pense qu’il y a un manque de vision terrible de la part des autorités. Pour lui, au contraire, il appartient à l’État de soutenir la musique, de mettre le cadre et l’aider à décoller.
« Au Sénégal on ne considère la musique que comme divertissement alors que le divertissement est devenu partout ailleurs une véritable industrie. Malgré la bonne volonté des promoteurs et organisateurs de festivals, les autorités publiques ne voient pas la musique comme une industrie capable de créer du développement. Leur vision se limite à l’aspect ludique » regrette Pene.
Rokhaya Daba Sarr, Directrice Générale d’Africa Fête va plus loin quand on l’interpelle sur la question et révèle que, face à la crise du disque qui pousse les artistes à trouver des voies alternatives, la scène est devenue incontournable pour leur survie. Selon elle, les festivals permettent aux cités de vivre, mais ils permettent aussi de visiter et de sauvegarder les patrimoines culturels.
« Le festival crée de la richesse. Prenez le cas de Saint-Louis Jazz, les hôtels sont remplis, les opérateurs téléphoniques saturés, les taxis et moyens de transport bondés, même la petite vendeuse à la sauvette y trouve son compte, mais pour que toute cette machine se mette en branle, l’État doit jouer un rôle central » explique la militante culturelle du haut de son expérience d’une vingtaine d’années dans le circuit des rencontres musicales internationales.
Comme pour reprendre la balle au bond, Guissé Pene conforte les propos de la responsable d’Africa Fête à propos du rôle des pouvoirs publics, en donnant l’exemple du Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN ) organisé par l’État du Sénégal en 2011 et qui fut une réussite totale. Pour lui, seul l’État peut soutenir de telles ambitions.
« Quand je dis pouvoirs publics, je pense directement au Président de la République. La vision doit venir de là. Nous avons besoin d’un Programme Sénégal émergeant (PSE) culturel fort, qui travaille dans l’idée de faire de la musique une véritable industrie. C’est à l’État de poser les premiers jalons », plaide Guissé Pene.
Dans tout cela, que font les acteurs pour amener l’État à bouger ? Même s’il reconnaît qu’il y a une nécessité d’assainir le milieu, pour que l’on sache « qui est qui », notre consultant pense que les acteurs culturels étant, de manière générale, bien formés et très compétents, se débrouillent, se démènent pour montrer la voie, si l’État veut des interlocuteurs, il sera servi. C’est à lui de mettre le cadre favorable.
« Nous avons au Sénégal tous les métiers inhérents à l’organisation de festivals. Nos directeurs artistiques ou de productions travaillent un peu partout en Afrique et l’Association des Diffuseurs Artistiques et Festivals du Sénégal (ADAFEST) se bat tous les jours, avec dévouement, pour que la musique soit mieux traitée » soutient-il.
En attendant, malgré des éditions réussies en termes d’affluence, les annonceurs n’accourent pas et l’État traine encore les pieds. Conséquence : à la dernière soirée de chaque édition, les organisateurs hésitent à lancer au public : « A l’année prochaine » !
musicinafrica.net