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« SYNTHESE » DE PHILOSOPHIE, LA SOLUTION ? « Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains » Gustave Flaubert (Par Alassane K. KITANE)

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En attendant de savoir ce que veut dire une synthèse de philosophie, j’aimerais demander au Ministre de l’éducation de s’attacher les services de ces faiseurs de succès au bac pour résorber, une bonne fois pour toutes, le déficit de professeurs de philosophie… Dans la société de consommation, la demande rend légitime l’offre, mais il n’est pas rare de voir un produit très coté être retiré du marché pour cause de nocuité ou de méprise technique. L’argument de l’offre et de la demande ne saurait par conséquent garantir une légitimité ad vitam aeternam à un produit. Bien souvent d’ailleurs des instances de régulation sont créées pour protéger les citoyens des dérives inhérentes à la société de consommation. On sait que l’opinion est parfois tyrannique et que le principe de l’imitation (conformisme) inhibe tout désir d’authenticité et de capacité critique. Il y a plus de consommateurs que de producteurs : les idées, les comportements, les références, etc. sont aussi contagieux que les microbes. L’institutionnalisation des fameuses synthèses de philosophie doit être examinée à l’aune de cette nature fragile de la société de consommation.

Un enseignement n’a de sens que si les contenus qu’il inculque peuvent servir à résoudre des problèmes. Les cours théoriques sont disponibles dans les livres, dans le net, dans le téléphone portable et bien sûr dans le bon vieux cahier de leçons. Ce dont les élèves ont besoin c’est d’un professeur, craie à la main, disposé à répondre à leurs questions et à résoudre des problèmes « pratiques » précis. Il est préférable de suivre un professeur proposer un raisonnement pour prendre en charge un problème philosophique que de suivre le monologue d’un professeur qui se transforme en répétiteur de cours. Pourquoi, au lieu d’attendre la fin de l’année scolaire pour faire ces synthèses, ne pas programmer des agoras pendant l’année scolaire ? Pourquoi, ces pédagogues ne proposent pas des solutions pratiques pour aider les élèves à argumenter, à conceptualiser, à illustrer, bref à philosopher ? Pourquoi ne pas innover en faisant du Rap et du Slam des leviers pour mémoriser les citations et les doctrines philosophiques (si ça peut servir !) en lieu et place de ces spectacles féeriques ? J’ai été séduit par un récital de poème sur la philosophie écrit par un jeune collègue et lu par un élève en public. De telles innovations doivent être encouragées et surtout cultivées.

Il faut innover, mais l’innovation ne veut pas dire bricolage et fantaisie. Le seul domaine où la fantaisie est reine, c’est l’art : car le génie (si jamais ça existe quelque part !) s’accommode mal à la rigidité des normes. Pourtant, par leur fantaisie de grands artistes ont révolutionné la pratique de leur art et ont insufflé de nouvelles règles à leur domaine. C’est dire donc qu’un univers entièrement abandonné à la fantaisie serait instable, sans boussole et finalement impossible à pérenniser. Il faut toujours réguler, même dans l’ivresse du progrès, même dans l’incertitude de la culture du spectacle et de l’idolâtrie. L’improvisation et le folklore sont ennemis de la science et de l’art : il faut accepter la patience, le travail, la persévérance pour faire les grandes œuvres. Comme Nietzsche, nous devons être persuadés que le génie ne fait rien que » d’apprendre d’abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme ». L’école doit s’ouvrir à la société en incorporant les besoins, les idéaux et les espérances de celle-ci à ses programmes, mais ce n’est pas en la singeant dans ses tares et son folklore.

Nous pensons que la science ne doit pas s’inféoder au spectacle et à la culture au rabais. Au contraire, elle doit apprivoiser les cadences de la société pour sa propre expansion, pour sa perpétuation. Pourquoi ne pas, par exemple, trouver une manière de mettre en scène l’Apologie de Socrate avec des séquences théoriques sous formes d’intermèdes ? Un slam sur l’art, un rap sur la méthode et les progrès de la science, etc. ne remplaceront certainement pas la rigueur et la froideur de la réflexion philosophique, mais ils peuvent résorber ou contrôler les ardeurs folkloriques de la jeunesse pour les mettre au service de la science. Bref, il s’agit de domestiquer les pulsions de la société au lieu de se laisser domestiquer par elles.

Les pseudos banquets ou synthèses philosophiques de fin d’année sont, pour la plupart, de médiocres mises en scène pour un culte de la personnalité qui frise la mégalomanie. Alors que les élèves, à la fin d’année, sont stressés et au bord du surmenage, on les trompe avec ce genre de mises en scène dénuées de tout intérêt pédagogique. On exploite la crédulité et l’angoisse de jeunes gens en leur faisant croire qu’on a la recette miracle. On sait pertinemment que rien qui puisse sauver un candidat ne sort de ces rencontres qui ressemblent de plus en plus à des séances de prestidigitation intellectuelle. Il faut laisser la parole aux élèves en leur soumettant des exemples de dissertation et de commentaire : ça permet à la fois de réviser et de s’exercer à la méthodologie. Au lieu de dire à un élèves ce que faut faire, il est préférable de le lui montrer par un exemple. Un exemple, même mauvais, peut être profitable si le professeur a l’humilité d’interagir avec les apprenants. Il faut s’inspirer du père de la philosophie en privilégiant la maïeutique, la discussion, l’apprentissage par le questionnement. Si par contre, on veut faire de ces spectacles des séances de catharsis pour purger les angoisses et les peurs des apprenants, il vaut mieux y convier des psychologues et des sociologues pour davantage d’efficience et d’efficacité.

L’une des faiblesses de l’oralité, c’est qu’elle est très propice au sophisme et au folklore : quand bien parler devient bien penser, il n’y a plus de raison d’aller acquérir la science. Au lieu d’investir son énergie dans la quête du savoir, l’intellectuel d’aujourd’hui s’emploie plutôt à acquérir la rhétorique ; et on comprend aisément le sentiment de révolte qui avait envahi Socrate lorsqu’il comparait les sophistes à des prostitués. Il faut avoir le courage de dire qu’il y a des pratiques qui ressemblent plus à du charlatanisme qu’à autre chose : le point focal d’un enseignement, c’est l’apprenant et non l’enseignant. Il faut donc que ce dernier soit associé dans le processus d’acquisition du savoir. Une société qui n’est pas éclairée par des philosophes sera abusée par des charlatans disait fort justement Condorcet, qu’arrive-t-il alors lorsque les philosophes eux-mêmes deviennent des charlatans ?

A la place de ces synthèses, nous devrions plutôt proposer des sujets traités à nos élèves, soit sur la base d’une esquisse faite par le professeur, soit par une maïeutique qui fera de l’élève le point focal de l’exercice de la réflexion. Arrêtons de faire de la philosophie une affaire de spectacle et prenons le risque de nous faire examiner en public par nos élèves ou par des collègues. Socrate questionnait, il affrontait disciples et sophistes dans des joutes oratoires au termes desquelles ceux qui reconnaissaient leur ignorance acquéraient le savoir par leur propre effort et ceux qui refusaient de reconnaître la leur exhibaient leur ridicule visage de trafiquant intellectuel.

Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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