L’appel d’offres pour l’attribution de la licence 4G au Sénégal s’est terminé de façon inattendue avec le refus des opérateurs Orange, Tigo et Expresso de soumissionner. Au lendemain de ce dénouement, la Sonatel informe que la licence en question ne peut valoir qu’autour de 14,5 milliards de francs Cfa, très loin des 30 milliards réclamés par l’Artp. Sans dédouaner les opérateurs, Birahim Seck du Forum civil dénonce le management du directeur général de l’Artp.
Accusée par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) «de collusion» avec les autres opérateurs dans l’appel d’offres pour l’attribution de la licence 4G, la Sonatel n’a pas tardé à réagir. Dans un communiqué, l’opérateur revendique son choix de ne pas participer à cette consultation. «Sonatel a décidé de ne pas déposer d’offres compte tenu des conditions qui ne permettent pas de créer de la valeur pour l’entreprise et l’ensemble des parties prenantes au vu du benchmark effectué.» En effet, la Sonatel campe sur ses positions et estime que le prix de 30 milliards de francs Cfa demandé par les autorités sénégalaises reste élevé. En faisant un jeu de comparaison, la société de téléphonie estime que la licence 4G du Sénégal ne peut valoir qu’autour de 14,5 milliards de francs Cfa. «A titre d’exemple, au Maroc, 2 des 3 opérateurs ont payé l’équivalent de 30 milliards de francs Cfa alors que ce pays est 2,5 fois plus peuplé que le Sénégal et 3,5 fois plus riche. Sous ce rapport, le prix total des licences 4G au Sénégal serait évalué autour de 14,5 milliards de francs Cfa», lit-on dans le communiqué de la Sonatel.
Seulement, plus que le prix élevé, le secrétaire général exécutif du Rassemblement des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication (Restic), Moustapha Diakhaté, croit savoir que la mise en exploitation d’une licence 4G demanderait aux opérateurs de faire de substantiels investissements. «Avec un marché saturé et qui arrive presqu’à maturation, c’est tout a fait justifié de voir que des opérateurs soient frileux et craignent de faire de tels investissement», indique M. Diakhaté qui pense que l’Artp doit revoir le montant du ticket. Ce, d’autant que la Sonatel continue d’exprimer son intérêt pour la technologie 4G et sa volonté de la développer au plus vite au Sénégal.
Birahim Seck dénonce les «fautes de management» du Dg de l’Artp
Au lendemain de la conférence de presse de Abdou Karim Sall, c’est justement le directeur de l’Artp qui est mis sur la sellette dans l’issue inattendue de cet appel d’offres. En effet, joint par téléphone, Birahim Seck du Forum civil n’y va pas par quatre chemins. «C’est une faute de management du directeur de l’Artp et c’est lui qu’il faut sanctionner», accuse-t-il. M. Seck qui estime que les dés étaient pipés dès le départ ne s’étonne pas du refus des opérateurs de soumissionner. Selon lui, la véritable question, c’est de savoir pourquoi les opérateurs ont décidé de ne pas soumissionner ? A cette question, il apporte quelques éclairages en précisant que l’étude commanditée par l’Artp et qui a conduit à l’élaboration d’un cahier des charges et à la fixation du ticket d’entrée au coût de 30 milliards de francs Cfa est la source du problème. «L’étude a été commanditée illégalement par l’Artp pour la mise en place du cahier des charges», indique M. Seck. Il informe en outre que l’externalisation de cette étude ne s’imposait pas puisque l’Artp regorge de compétences à même de la mener. «Il y a une négligence sur le choix de la procédure d’appel d’offres restreint. Elle ne se justifiait pas dans la mesure où la concurrence ne devrait pas se limiter aux opérateurs sénégalais, mais de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa)», insiste M. Seck
Pour autant, Birahim Seck ne blanchit pas totalement les opérateurs. «Ils ne devaient pas signer une lettre commune pour refuser l’appel d’offres, car sur le principe, la collusion est prohibée sous toutes ses formes», explique-t-il. Aussi bien la loi sur la concurrence, le prix et le contentieux que la loi portant Code des télécoms la bannissent. M. Seck pense ainsi que l’Artp, en vertu de l’article 52-2 du Code des marchés publics, devait lancer un appel d’offres international dès le départ. «Du fait de l’envergure financière de cette concession et de la complexité technique du service, d’autres opérateurs internationaux pouvaient participer à la concurrence. C’est une perte de temps», souligne M. Seck.
De plus, les trois opérateurs qui ont choisi de bouder l’appel d’offres ne sont de toute façon pas des entreprises sénégalaises, estime Moustapha Diakhaté, le secrétaire général exécutif du Rassemblement des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication. Pour lui, c’est bien parce que ces entreprises ont des capitaux étrangers que les Sénégalais ne ressentent pas le boom enregistré dans le secteur du numérique. «Je ne suis pas d’accord avec l’arrivée de sociétés étrangères puisque les trois opérateurs appartiennent déjà à des étrangers», souligne M. Diakhaté.
Aucune sanction pour les opérateurs
Dans cette situation, l’Artp pourra-t-elle appliquer des sanctions aux trois opérateurs comme elle en a brandi la menace ? «La réponse est non», selon Birahim Seck. Il explique en effet que le fait de répondre collectivement ou individuellement à l’Artp ne constitue pas une violation. «Sur le principe, la loi du 24 février 2011 portant sur le Code des télécommunications interdit toute forme d’entente ayant pour effet de ne pas faire jouer la concurrence. Et en l’espèce, il faudra voir si le fait de partager une lettre collective pour refuser de participer à l’appel d’offres peut être qualifié d’entente illicite», interroge M. Seck. La réponse est non, selon lui. Birahim Seck souligne d’ailleurs que «l’Artp n’a pas la liberté d’exiger que les opérateurs participent à l’appel d’offres». Il estime ainsi que les menaces de sanction brandies par le directeur de l’Artp ne sont d’aucun effet. «L’exclusion dans un marché est du ressort de la commission disciplinaire du comité de règlement des différents de l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp). Et le constat de l’entente illicite doit être effectué par ce comité suite à une enquête», dit-il.
Le Quotidien