L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) a renoué avec les affrontements entre forces de l’ordre et étudiants. Ces derniers qui sont restés des mois sans percevoir leurs bourses ont manifesté leur colère en s’en prenant au restaurant et à trois bus de Dakar Dem Dikk. Reportage.
Mercredi 28 avril, 9h. L’avenue Cheikh Anta Diop a des allures de ville morte. Ce calme précaire trahit bien un malaise réel. Devant la grande porte de l’université, les éléments du Groupement mobile d’intervention (Gmi) veillent au grain, comme pour dire que rien ne sera plus comme mardi où les étudiants avaient manifesté jusque tard dans la soirée. Un agent armé de fusil et de lacrymogènes charge les étudiants. Qui à leur tour lui balancent des pierres. Comme les jeunes Palestiniens avec l’Intifada, les étudiants de Dakar vont au « front » pour manifester leurs états d’âme.
A l’intérieur, on s’organise en petits groupes pour apporter la riposte aux forces de l’ordre. La stratégie consiste à faire le mort et à surprendre l’adversaire au moment où il croit à la reddition. Cailloux en main, le visage dégoulinant de sueur, un étudiant en première année de la faculté des Lettres ne se lasse pas d’échanger vainement des projectiles avec les policiers. Pour lui, le jeu en vaut la chandelle. « C’est le meilleur moyen de nous faire entendre par les autorités », juge-t-il, tout en prenant ses jambes à son cou. D’un physique beaucoup plus proche de « Yawou Dial », son camarade d’infortune note que leur mouvement d’humeur s’explique par le fait qu’ils ont perdu toute patience. En effet, les étudiants de première année des différentes facultés n’ont toujours pas perçu leurs allocations. « L’année est presque finissante et nous n’avons plus rien pour survivre au campus », tempête un autre.
« Je connais des camarades qui n’ont plus de quoi s’acheter un ticket ni photocopier leurs cours », poursuit-il, désabusé. « Nous ne pouvons plus continuer à nous endetter ». Pape, longiligne, teint noir, se demande si un jour, il verra la couleur de l’argent. « Quel que soit alpha, nous rentrerons dans nos fonds », lance un autre pour le rassurer. Devant l’intensité des affrontements, un projectile atteint la chambre 348 du pavillon A, sans faire trop de dégâts. N’eût été la diligence d’un étudiant présent sur les lieux, le pire pouvait arriver. « On m’a appelé en plein cours pour me dire qu’un lacrymogène a atteint notre chambre. J’ai débarqué dare-dare », renseigne Malick Sané, étudiant à l’Inseps.
« Nguenté toubab »
Autre lieu, autre ambiance. Lamine, employé au restaurant ‘’Self’’, semble avoir une pêche d’enfer. Eponge à la main, il astique, nettoie, pour rendre les vitres de son local beaucoup plus éclatantes. Tôt le matin, ils ont reçu la visite inopinée d’étudiants grognards. Ces derniers voulaient se restaurer sans bourse délier (nguenté toubab). Ce qui a incommodé les gérants du restaurant, qui ont vite fait de se barricader. Au restaurant « Central », l’un des plus grands du campus, les serveurs n’ont eu que leurs yeux pour constater les dégâts. Une cinquantaine de chaises ont été cassées par les étudiants en furie. « Les restaurants ont bon dos, car si vous les touchez, vous touchez à un point sensible », constate Sidy Diouf, directeur des restaurants universitaires.
Pour lui, cette « casse » ne se justifiait pas, car ils étaient disposés à servir les étudiants en toute tranquillité. « Mais on gère », conclut-il philosophiquement. Comme il est de coutume dans ce genre de manifestation, les étudiants grognards ont remis leur vieille méthode au goût du jour. Trois bus de Dakar Dem Dikk ont été détournés et introduits au campus. Deux de la ligne 7 et un de la ligne 12. Ils promettent de les rendre une fois qu’ils seront payés.
Papa KEITA