Une coordination nationale et internationale permettra de lutter contre le blanchiment de capitaux au Sénégal et dans le monde (Par Moussa Sylla)

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Lors du sommet virtuel sur la démocratie qui s’est tenu au mois de décembre 2021, les Etats-Unis, les organisateurs, ont reconnu qu’ils doivent s’impliquer davantage dans la lutte contre la corruption, et par ricochet le blanchiment de capitaux. Le Delaware, un de leurs Etats, est considéré comme un paradis fiscal. Il permet l’opacité dans l’identification des bénéficiaires effectifs des sociétés qui y sont créées, avec toutes les conséquences négatives que cela entraîne sur la corruption et le blanchiment de capitaux.
La lutte contre la corruption présente un enjeu important pour les Etats aujourd’hui. En effet, ce fléau diminue leurs recettes fiscales, accroît les coûts de leurs infrastructures et, à la longue, affaiblit la confiance des populations à leur égard. En outre, une bonne partie des fonds qui font l’objet de blanchiment de capitaux en sont issus. Pourquoi ? Quand une personne reçoit des pots-de-vin, elle ne pourra pas les utiliser directement dans le circuit économique. Par conséquent, elle devra trouver des moyens de les blanchir.
Aussi est-il nécessaire de lutter contre la corruption en amont pour prévenir le blanchiment de capitaux en aval. Avec la mondialisation des flux financiers depuis des décennies et l’interconnexion économique de plus en plus grande, seule une coordination nationale et internationale permettra de gagner la lutte contre ces deux menaces.
La loi sénégalaise 2018-03 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme impose à ses assujettis (voir ses articles 5 et 6) de mettre en place des diligences afin de prévenir qu’elles soient utilisées pour commettre les deux méfaits qui en sont l’objet. Elles sont relatives à la connaissance de leurs clients, aux déclarations des opérations en espèces atteignant un seuil (15 millions) et celles suspectes et sans justificatifs à la Centif, à la formation de leur personnel, à l’audit de leurs dispositifs de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme.
Pourquoi est-il aussi important que tous les assujettis jouent leur rôle ? La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sera aussi forte que le maillon le plus faible de la chaîne. Si certains assujettis respectent les dispositions de la loi 2018-03 tandis que d’autres ne se sentent pas concernés, le mécanisme sera inefficace, du fait de ses failles.
Le processus de blanchiment de capitaux comporte trois phases1 :
– le placement (le blanchisseur introduit ses bénéfices illégaux dans le système financier (…)) ;
– l’empilage (le blanchisseur procède à une série de conversions ou de déplacements des fonds pour les éloigner de leur source (…)) ;
– l’intégration (les fonds sont réintroduits dans des activités économiques légitimes. Le blanchisseur peut alors décider de les investir dans l’immobilier, les produits de luxe ou la création d’entreprises).
Si chaque assujetti à la loi 2018-03 jouait efficacement son rôle dans la prévention et la détection du blanchiment de capitaux, ce dernier aurait de faibles chances de réussir. Si les institutions financières contrôlaient les fonds versés par leurs clients et demandaient systématiquement des justificatifs pour leurs opérations atypiques, elles éviteraient que les deux premières étapes, placement et empilage, réussissent. Si les notaires exigeaient des justificatifs de l’origine des fonds utilisés pour acheter un bien immobilier ou créer une entreprise, ils éviteraient que des fonds illicites ne puissent être utilisés pour y parvenir.
J’écrivais plus haut que la corruption fait partie des principaux vecteurs du blanchiment de capitaux. Dans ce sens, l’Etat a un rôle important à jouer pour leur éradication. Pour y parvenir, il doit mettre en place un dispositif légal de lutte contre la corruption et veiller à son application rigoureuse et impartiale.
Dans ce sens, il doit voter une loi anticorruption à l’instar de beaucoup de pays dans le monde comme la France avec la loi Sapin2, le Royaume-Uni avec l’Ukba, les Etats-Unis avec le Fcpa… Cette loi devrait contenir certaines dispositions comme une politique de cadeau stricte, notamment l’encadrement de ceux offerts aux officiels sénégalais, afin d’éviter qu’ils n’influencent leurs décisions, la mise en place de procédures d’appel d’offres transparentes pour l’Etat et les entreprises sénégalaises, l’interdiction des recrutements de complaisance pouvant être assimilés à du trafic d’influence, la prohibition du favoritisme dans les marchés publics, la protection des lanceurs d’alerte, l’obligation pour les entreprises de mettre en place un dispositif anticorruption. Pour sa réussite, un fort engagement de l’Etat est obligatoire – Tone at the top, comme disent les anglo-saxons.
Dernièrement, je lis souvent dans la presse sénégalaise des histoires de détournements de deniers publics (La Poste, Trésor public, Lonase). Impunis, ces derniers feront l’objet de blanchiment de capitaux afin de pouvoir être injectés dans l’économie formelle. Cela montre que si rien n’est fait pour lutter contre la corruption à l’échelle étatique, le combat contre le blanchiment de capitaux sera voué à l’échec.
En 1989, le G7, constitué des 7 pays les plus riches à l’époque, a mis en place le Groupe d’action financière (Gafi) pour lutter contre le blanchiment de capitaux dans le monde. Comprenant qu’avec l’intégration économique mondiale de plus en plus forte, il fallait une coordination à l’échelle internationale pour lutter contre ce fléau. Pourquoi ? Si certains pays ont mis en place un excellent dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et l’appliquent, tandis que d’autres n’en ont pas ou s’ils en ont, ne l’appliquent pas, cela entraînera des failles qui seront exploitées par les criminels. Ils utiliseront les pays les plus poreux pour blanchir leurs capitaux.
Aussi la coopération internationale est-elle nécessaire pour gagner la lutte contre le blanchiment de capitaux. La prise de conscience des Etats-Unis qu’ils doivent jouer un rôle de leader dans la lutte contre la corruption est un pas important pour y parvenir, étant donné les investissements importants qu’ils reçoivent de l’étranger. Le «Corporate Transparency Act» que leurs Congrès ont voté en janvier 2021 représente une étape décisive pour amener plus de transparence financière dans l’identification des bénéficiaires effectifs des personnes morales. Le Sénégal a aussi voté une telle législation, à travers sa Loi de finances rectificative de juillet 2021. Celle-ci impose, sous peine d’une amende de dix millions, aux personnes morales de tenir un registre à jour de leurs bénéficiaires effectifs.
Lors de la mise en place de la cartographie des risques de blanchiment de capitaux, le niveau de corruption d’un pays est un facteur important pour évaluer le risque de ses entreprises. Plus un pays sera perçu comme corrompu, plus le niveau de risque blanchiment de capitaux de ses entreprises et ses citoyens sera classé comme élevé. D’où l’importance que chaque Etat mette en œuvre un dispositif de lutte contre la corruption et l’applique avec rigueur. Ce que j’expliquais plus haut sur la lutte contre la corruption au Sénégal est également valable pour l’ensemble des Etats du monde.
La lutte contre le blanchiment de capitaux ne sera gagnée que par une coordination à l’échelle nationale et internationale. Au niveau national, chaque assujetti doit appliquer strictement les dispositions de la loi 2018-03 de la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Pourquoi ? Si certains respectent les dispositions y relatives tandis que d’autres ne le font pas, le dispositif sera à coup sûr inefficace, car il aura des brèches qu’utiliseront les blanchisseurs de capitaux. A l’échelle internationale, il s’agira pour l’ensemble des Etats de s’assurer que leurs mécanismes de lutte contre le blanchiment de capitaux sont mis en œuvre et appliqués. A défaut, ils seront la maille par laquelle s’engouffreront les criminels du monde entier pour blanchir leurs capitaux. Cela nécessite qu’ils s’engagent tous à lutter fermement contre la corruption en amont pour mieux prévenir le blanchiment de capitaux en aval.
C’est ainsi que la lutte contre ces deux menaces deviendra plus efficace dans le mon­de.
Moussa SYLLA
1 https://www.fatf-gafi.org/fr/foireauxquestionsfaq/blanchimentdecapitaux/ Voir le glossaire du GAFI

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