Les produits alimentaires non conformes sont un danger pour la santé publique. Les marchés sénégalais sont inondés de produits alimentaires de toutes natures dont une bonne partie provient de la contrebande. Pour certains de ces produits la date limite de consommation (DLc) et la Date limite d’utilisation optimale (Dluo) ont déjà expiré. Et, pour les liquider, les vendeurs n’hésitent pas à utiliser des subterfuges peu orthodoxes comme la modification des dates de péremption. Il s’agit de marchandises écoulées à des prix défiant toute concurrence, mais qui ne constituent pas pour autant une si bonne affaire. Ce commerce pour le moins douteux, et qui devrait être rigoureusement contrôlé, menace sérieusement la santé des consommateurs. Des marchants ambulants, et même certains commerces fixes, vendent en effet des aliments en conserve, notamment des boîtes de concentré de lait et des jus de fruits de contrebande, ainsi que différentes sortes de charcuteries et de sucreries. A des prix sacrifiés ! Ce n’est pas pour autant une si bonne affaire pour les consommateurs. Car pour la plupart de ces produits, la date limite de consommation expire dans les jours qui suivent. Un responsable du service d’hygiène informe : « Il existe en effet une éventualité que la date limite de consommation soit modifiée afin d’abuser le consommateur ».
Et pour le contrôle de qualité ? Rien de sérieux ! Pourtant, un commerce aussi douteux devrait être sérieusement contrôlé. Il y va de la santé des populations. Mais, ces dernières sont-elles assez informées des risques de la consommation de produits périmés ? Momar Ndao, président de l’Ascosen Association des consommateurs du Sénégal) répond : « La grande problématique que nous avons au Sénégal, c’est que dans notre représentation sociale, un produit n’est nocif que s’il a des effets immédiats. Alors que dans la réalité, les produits chimiques qui sont dans les produits alimentaires peuvent entraîner des conséquences sur la santé à moyen ou à long terme ». Aujourd’hui, il est démontré que la prolifération des maladies cancérigènes et cardio-vasculaires est en partie liée à la mauvaise alimentation. Cela est-il pris en compte par les autorités ?
Produits locaux en question
Les jus locaux conditionnés dans des bouteilles d’huile de frein recyclées sont vendus pêle-mêle dans les rues de Dakar et partout dans le pays. Ces bouteilles sont faites en plastique qui est une matière poreuse. Cela veut dire que la surface du plastique est rugueuse. Elle retient donc dans ses alvéoles, les substances qu’elles contenaient. Ce qui fait que le « bissap » ou d’autres produits locaux conditionnés dans ce type de bouteilles contiennent des substances toxiques à petite dose. Donc, plus on consomme ces produits conservés dans de pareilles conditions, plus on absorbe des doses toujours plus importantes. Aussi, dans la préparation de ces jus, les femmes utilisent souvent des substances faites à base de saccarine ou de safranine. Concernant la saccarine, c’est un édulcorant de synthèse accepté par l’Union européenne dont le seuil autorisé est de 75 mg/L. Mais dépassée, la concentration, devient cancérigène. Or, dans la pratique, souligne Momar Ndao, « ces doses ne sont pas respectées dans la fabrication de jus ».
Ces produits de mauvaise qualité ayant envahi le marché sénégalais, ont un impact important sur la santé publique et la productivité, d’autant plus que les personnes actives victimes de ces maladies perdent leur travail et sont à la charge de leurs proches. En effet, il faut une volonté politique pour que la qualité des produits alimentaires soit une priorité. Mais, les choses sont beaucoup plus compliquées. La surveillance des produits alimentaires est rendue plus difficile par la complexité de leur fabrication. Avec les procédés chimiques, il est possible de faire de faux et artificiels jus de fruits. C’est le cas, par exemple, de jus d’orange faits exclusivement, à partir de produits chimiques, sans aucun apport d’orange naturel.
Douane et service d’hygiène en panne
Les organes de contrôle de qualité et d’importation des produits font parler d’eux dans le mauvais sens. Ils ne fonctionnent pas correctement. Aujourd’hui, le Sénégal dispose d’un laboratoire de pointe, le seul en Afrique de l’Ouest, qui est au ministère du Commerce. Ce laboratoire permet de faire presque toutes les analyses et de mettre en évidence la qualité de n’importe quel produit alimentaire. Mais, révèle Momar Ndao, « ce laboratoire offert par la coopération norvégienne n’est même pas opérationnel, faute de consommables ». Il ajoute que lorsqu’il y a eu le souci du lait chinois contaminé à la mélanine, le laboratoire a effectué des analyses qui ont prouvé que le lait sur le marché n’est pas contaminé. La Douane est le service habilité à procéder à des contrôles de recevabilité des produits importés. Et le Service d’hygiène fait le suivi dans les boutiques, les marchés et autres lieux de vente. Mais, à ce niveau également, il y a un problème. Surtout pour le contrôle de la qualité des produits importés. Le consumériste accuse : « Quand il y a eu le problème des poulets contaminés à la dioxine, nous avons demandé aux autorités de procéder à des contrôles au niveau des frontières. Les services de la Douane ont surveillé le port et l’aéroport, mais ils ont oublié les frontières terrestres ». Ce qui a fait, souligne-t-il, que des gens seraient passés par la Gambie ou la Mauritanie pour contourner l’interdiction entraînant une progression de 4,2% des importations en provenance de ces pays, durant la période concernée. Un autre exemple tout aussi informateur : ce lait en provenance de la Hollande, importé par une personne qui avait pourtant présenté des documents « en bonne et due forme ».
Après, on a constaté que ces documents étaient faux. « Nous avons écrit une lettre de protestation adressée à l’ambassadeur de Hollande à Dakar pour l’avertir que si cet importateur n’est pas rappelé à l’ordre, nous allons mener une campagne de boycott de tous les produits en provenance de son pays », se souvient Momar Ndao. La menace était prise au sérieux par les autorités diplomatiques de la Hollande à Dakar. Et le ministre des Pêcheries et du Commerce de la Hollande a vite fait de préciser que le produit n’est pas fabriqué dans son pays qui est juste utilisé pour le remballage. La précision est de taille. Elle révèle que l’Etat du Sénégal est souvent mal placé pour mener ce genre de combats parce qu’il évite d’être attaqué à l’Organisation mondiale du commerce (Omc) pour protectionnisme. Ces exemples illustrent parfaitement l’absence de contrôle adéquat au niveau du port où les agents n’effectuent que de simples contrôles documentaires. Même si le colonel Moctar Kettani Doucouré, assistant du directeur de la Réglementation et de la Coopération à la direction de la Douane, réfute ces allégations. Il précise : « Tout ce qu’on peut dire, c’est que la Douane exige la déclaration d’importation des produits alimentaires (Dipa, Ndlr) qui est l’élément de recevabilité des produits importés. Si ce document n’est pas joint à la marchandise, la Douane ne peut pas donner un « bon à enlever ».
Quant au contrôle de qualité des produits, elle ne relève pas de la Douane. Elle revient au ministère du Commerce pour les produits alimentaires ou au ministère de la Santé, notamment la Direction de la pharmacie pour les médicaments ». Il ajoute que la Douane apporte alors son soutien aux départements concernés par les produits importés et qu’il existe des produits spécifiques comme l’huile dont l’importation est régie par des normes internationales. Si donc l’importateur est en possession de déclaration d’importation de produit alimentaire en « bonne et due forme », la Douane se trouve dans l’obligation de lui délivrer « un bon à enlever ». Si l’on conçoit que les services compétents des ministères concernés, comme celui du Commerce, n’ont pas les moyens d’effectuer un contrôle efficace de qualité des produits importés, les risques sont gros. La Douane peut être encline à délivrer un « bon à enlever » pour des produits non propres à la consommation.
Le contrôle de routine des produits dans les lieux de vente reste tout aussi peu effectif. Le Service d’hygiène dont le rôle consiste à vérifier la qualité des produits en se basant surtout sur la date limite de consommation et la date limite d’utilisation optimale est très démuni. C’est une structure qui ne dispose pas de véhicule pour ses agents sur le terrain. « Même si un agent constate une infraction, il ne peut pas confisquer les produits faute de moyens de transport. Imaginez un agent du Service d’hygiène qui confisque des produits d’un commerçant et le lui confie après parce qu’il n’a pas de véhicule pour transporter la marchandise saisie. C’est aberrant », s’offusque Momar Ndao. Pis, il existe des réseaux spécialisés dans le reconditionnement de produits non conformes. Ces gens importent des produits en « fin de vie » qu’ils reconditionnent en changeant les dates de péremption. Ou bien encore, ils manipulent tout simplement les chiffres qui figurent sur la boîte afin d’allonger la date de péremption de plusieurs mois. Au marché du port, il y a des personnes spécialisées dans le reconditionnement de sacs de lait en poudre périmé. Leurs procédés consistent à transvaser le lait périmé dans de petits emballages. Si le consommateur est averti et s’il a le bon réflexe de vérifier la date limite de consommation, il pourra aisément remarquer que le produit en question sera périmé dans très peu de temps. Au plus tard dans un mois.
Défaillance de l’Etat, ignorance ou fatalité des populations
Aujourd’hui, on parle de transformation des produits alimentaires. Mais, encore faudrait-il respecter les normes. Ces dernières sont ignorées par les populations. Or, chaque couleur renvoie à une identification précise. Le défi est alors grand. L’Etat doit s’engager à mener une lutte efficace contre les produits non conformes. Les consommateurs de leur côté doivent être plus regardants surtout sur certains produits vendus à des prix très bas. C’est le cas des canettes de boisson vendues à 150 francs Cfa au lieu de 400 francs. Une orientation majeure, afin de prendre toutes les mesures appropriées et contrôler les produits à tous les niveaux, n’est pas à l’ordre du jour.
Le recyclage des produits périmés reste un autre problème tout aussi sérieux. Lors de la destruction des produits périmés sur le site de Toglou (à quelques kilomètres de Dakar), nous informe-t-on, les populations des villages environnants viennent récupérer les produits qui ne sont pas suffisamment calcinés pour les revendre sur le marché. Ces populations ne consomment pas souvent ces produits parce qu’elles savent qu’ils ne sont pas bons pour la santé. Mais elles les revendent. Donc, une question fondamentale de la sécurisation de l’incinération des produits périmés se pose. « C’est un trafic criminel et inacceptable », s’écrie Momar Ndao. Il ajoute que la seule chose qu’il faut faire pour mettre fin à la prolifération des produits alimentaires non-conformes, reste la mise en place d’une « politique rigoureuse de contrôle de la qualité des produits alimentaires ». Dans le cas contraire, le risque de détérioration de la santé publique est gros.
Les populations gagnées par l’ignorance ou plongées dans une fatalité coupable ne prennent pas la peine de réfléchir comme il faut. Pourtant, le coût des soins médicaux qui résultent de la mauvaise alimentation est exorbitant. Surtout pour les maladies chroniques comme le diabète, les maladies cardiovasculaires ou le cancer. Le cas de médicaments contrefaits est plus grave. « Quand on prend l’exemple d’un antibiotique contre la tuberculose avec des doses inférieures à celles requises, on risque de rendre l’agent pathogène plus résistant. Il se multiplie et donne naissance à ce qu’on appelle des mutants résistants. Donc, il devient difficile, voire impossible de soigner le patient de manière simple », explique le docteur Djiby Faye, conseiller de l’Ordre des pharmaciens. Là, ajoute-t-il, on est obligé de passer à un « traitement alternatif de seconde ligne », qui est beaucoup plus cher que le traitement conventionnel. Mais quand la dèche fait sa loi, tous les produits sont bons ! Même s’il faut, après, en souffrir ?
DLC et DLUO, peu considérées
On retrouve deux mentions sur les produits alimentaires : la date limite de consommation (DLC) et la date limite d’utilisation optimale (DLUO). La DLC est une date impérative apposée sur les denrées préemballées « très » périssables, susceptibles de présenter un danger pour la santé, comme les produits frais vendus en libre-service dans les rayons réfrigérés des magasins (charcuterie, viande, produits laitiers…). Tous ces aliments doivent comporter la mention : « A consommer jusqu’au… », suivie de l’indication du jour, du mois et, éventuellement, de l’année. La DLUO n’a pas le caractère impératif de la DLC. Une denrée dont la DLUO est dépassée n’est pas pour autant périmée. Dans ce cas, le fabricant ne garantit plus la qualité organoleptique (moins de goût, plus mou, plus sec…) et diététique. Le produit reste consommable s’il a été stocké selon les indications du fabricant. Il peut être maintenu à la vente. La DLUO figure sur tous les produits d’épicerie, les conserves, les boissons, les produits surgelés…
Mais qui n’a jamais mangé un yaourt périmé de un ou deux jours ? Ce sont surtout les qualités gustatives qui vont disparaître. Mais pour tous les autres aliments, c’est une question de sécurité. A plusieurs reprises, des cas d’intoxication alimentaire sont annoncés dans la presse. Et le plus souvent, à cause d’un aliment dont la date de péremption était dépassée. Le danger est donc bien réel. « Les gens risquent surtout l’empoisonnement car des toxines vont se développer. Ces toxines, au bout d’un certain seuil, peuvent devenir mortelles », avertit Docteur Djiby Faye.
En plus de ces dates, le respect de la chaîne du froid est primordial : « Bien sûr, la viande avariée est plus toxique qu’un yaourt dont la date est dépassée. Mais une viande qui n’a pas été conservée au froid est encore plus dangereuse : une population microbienne avec des toxines va se développer », souligne-t-il. Pour certains consommateurs, manger épicé permettrait de faire disparaître tous les risques. Ce que dément notre spécialiste : « Ajouter des épices va masquer le goût, mais les conséquences seront les mêmes pour l’organisme ». La solution est-elle de faire bouillir les aliments ? « Plus on va loin dans le phénomène de cuisson, plus les bactéries vont disparaître. Mais ce n’est surtout pas une parade pour consommer ce genre de produits », précise le Dr. Faye. Reste la question des boîtes de conserves. Plus que la DLUO, c’est l’aspect extérieur qu’il faut prendre en compte. Toute trace de dégradation de la conserve, telle que la déformation, la rouille ou le bombage de la conserve, peut révéler une altération du produit. Dans ce cas, il est préférable d’éviter d’en consommer le contenu.
Dossier réalisé par Baye Makébé Sarr et Babou Birame FAYE