Après 37 ans de présence, le retrait des forces françaises du Sénégal ne s’était pas fait sans grands dégâts. En quittant notre pays, en effet, les militaires français, comme de vulgaires « banabanas », avaient bradé une partie de leurs paquetages… sur le marché de Colobane. En particulier, ils avaient vendu plus de 2.000 tenues camouflées ainsi que des casques et des musettes. Il a fallu que des gendarmes tombent sur un étalage proposant à la vente ces uniformes militaires presque neufs pour que le pot aux roses soit découvert.
Interpellé et conduit au commissariat de police de Bel-Air, le commerçant qui proposait cette marchandise d’un genre particulier avait soutenu calmement l’avoir achetée le plus légalement du monde au 23e Bima (bataillon d’infanterie de marine) de l’armée française.
Pour prouver ses déclarations, il avait fourni des factures et des bons à enlever signés par une autorité française en poste à Dakar au moment des faits qui remontent à 2011. D’ailleurs, cette affaire avait failli créer un incident diplomatique entre l’ancien régime de Me Abdoulaye Wade et le gouvernement de M. Nicolas Sarkozy. Sous le contrôle de la brigade de gendarmerie prévôtale et du commissariat de police de Bel Air, « Le Témoin » révèle….
Colobane est un marché aux puces connu de tous les Sénégalais. C’est le plus grand marché de friperie du pays. Un jour, en circulant au milieu des étalages, un groupe de gendarmes a failli tomber à la renverse. Un marchand proposait en effet sur sa table une dizaine de tenues camouflées à l’état neuf. Impressionnés par cette vente illégale d’uniformes militaires sur la voie publique, les gendarmes n’ont pas mis du temps à identifier le propriétaire de l’étalage. « Il s’agissait d’un certain O. Ng du fait que les faits remontent entre juillet et septembre 2011 » se souvient un gradé de la gendarmerie qui a par la suite participé à l’opération d’interpellation du margoulin. Le Parlement sénégalais ayant voté une loi interdisant et réprimant le port ou la vente illégale d’uniformes ou d’attributs militaires, et compte tenu de la grande quantité d’uniformes proposés à la vente, le commerçant fut interpellé et conduit au commissariat de police le plus proche qui se trouve être celui de Bel-Air. Prenant cette affaire très au sérieux, les enquêteurs de la police s’étaient immédiatement rendus sur les lieux pour une perquisition. Dans un entrepôt situé à Colobane, ils avaient découvert un stock impressionnant d’équipements militaires : des chaussures « rangers », des musettes, des moustiquaires, des casques etc… Et surtout, surtout, trois ballots renfermant plus de 2.000 tenues militaires. Sur la provenance de ces paquetages destinés aux unités de l’armée de terre, le mis en cause avait déclaré les avoir achetés auprès des forces françaises du Cap Vert (Ffcv). D’ailleurs, pour prouver ses dires, le vendeur avait produit des factures et autres bons à enlever attestant sa bonne foi. Bonne foi, sans doute, mais transaction « illégale » puisque l’achat et la vente d’uniformes militaires ainsi que leur port sont strictement réglementés au Sénégal. Un an et demi après les faits, on nous confirme qu’effectivement, un stock important d’équipements militaires avait été découvert à Colobane. D’après notre source, si les policiers de Bel-Air n’ont pas arrêté le mis en cause, c’est parce que le commerçant O. Ng détenait par devers lui des factures et des bons à enlever légalement contresignés par les autorités des forces françaises du Cap-Vert. « Et si je vous parle de documents contresignés, c’est parce que l’ancien ambassadeur de France à Dakar avait autorisé la vente de ces équipements militaires » insiste notre source. Face à cette situation bizarre et nébuleuse, les responsables diplomatiques français, interpellés, avaient plaidé l’excuse de l’ignorance. Des excuses qui avaient eu pour effet d’éviter un incident diplomatique entre le Sénégal et la France en même temps qu’une suite judiciaire à cette affaire.
Uniformes militaires bradés aux puces !
Seulement voilà, alors que l’on croyait que l’affaire allait s’en arrêter là, le commerçant de Colobane, qui bénéficie de connexions dans le milieu mouride, avait réussi à obtenir une mainlevée sur sa marchandise saisie par la police. À cet effet, un substitut du procureur avait ordonné la restitution des treillis et autres rangers. Une ordonnance restée sans suite puisque les éléments de la brigade de gendarmerie prévôtale avaient refusé de restituer la moindre tenue à l’intéressé. Mieux, ils avaient acheminé tous les équipements saisis à l’Intendance militaire. Évidemment pour des raisons de sécurité publique !
Certains vont demander comment les militaires des forces françaises du Cap-Vert ont-ils pu brader ce genre de matériels spécifique à Colobane ? A leur décharge, il faut dire que ces matériels ont été vendus à la veille de leur départ du Sénégal, lorsque l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avait décidé de fermer définitivement les bases françaises dans notre pays. Forcés de rapatrier beaucoup d’équipements et de matériels, ces militaires français avaient donc décidé de vendre aux puces ce dont ils avaient le moins besoin et qui risquait de les encombrer. Rappelons-le, Me Abdoulaye Wade, qui voulait simplement reprendre les 500 hectares de terres qui constituaient l’emprise des bases militaires de Bel Air et de Ouakam, avait provoqué le retrait des forces françaises du Sénégal. Et comme le 23e Bataillon d’infanterie de marine (Bima) de Bel Air était l’unité opérationnelle des forces françaises du Cap-Vert, le commandement français avait sans doute jugé nécessaire de se débarrasser de ce dont il n’avait plus besoin. Mais est-ce une raison valable pour aller revendre des uniformes dans un marché aux puces ?
La réponse n’est pas dans la forme — une vente pour cause de départ —, mais dans le fond puisque ces uniformes pouvaient tomber entre les mains de forces aux motivations obscures. Et, dès lors, constituer un danger pour la sécurité publique. A preuve, pas plus tard que la semaine dernière, des chaînes de télévision étrangères ont montré des armes saisies par les forces maliennes à Gao sur des djihadistes. En présentant ces trophées de guerre, le commandant militaire malien de la zone de Gao a eu à révéler que ces armes étaient « des stocks de l’armée malienne mais aussi de la gendarmerie sénégalaise ou d’autres pays limitrophes ». Trois jours après cette déclaration aux formes d’accusations, la gendarmerie sénégalaise avait réagi en la qualifiant de « gravissime ».
La cellule de communication de la gendarmerie nationale avait notamment déclaré ceci : « A priori, il ressort des premiers éléments d’investigation qu’en terme d’armement, il est plutôt question d’une caisse contenant des munitions dont la paternité a été imputée à la gendarmerie sénégalaise. Il faut, à cet effet, retenir que l’accusation portée à notre encontre n’est soutenue que par le fait que ladite caisse de munitions porte la mention « Gendarmerie sénégalaise.
Or, ce qui permet valablement d’être perplexe quant à la véracité de cette accusation, est qu’il n’est pas dans la pratique de la gendarmerie sénégalaise de porter ce type de mention sur nos caisses de munitions ou encore de nos armes ». En effet, la gendarmerie sénégalaise est très rigoureuse en matière de gestion d’armements. Il est sûr qu’elle n’est pas une institution à livrer ses magasins de munitions ou d’armes à la casse ! Néanmoins, au vu des accusations maliennes, ses chefs n’écartent pas des probabilités. « Dans le lot de ces probabilités qui expliqueraient la présence de munitions de la gendarmerie sénégalaise au nord du Mali, nous pouvons faire allusion à la crise Casamançaise.
Il se trouve que, dans cette région du sud du Sénégal en proie depuis une trentaine d’années à un douloureux conflit armé, les positions de la gendarmerie ont, dans le passé, fait l’objet de plusieurs attaques de la part d’assaillants supposés appartenir au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc).
Ce fut le cas dans les localités d’Afignam, Elinkine… Et à chaque fois, nos forces ont eu à déplorer des pertes d’armes et de munitions emportées par l’ennemi. Une situation qui fait que, dans l’ordre du possible, il ne serait pas hasardeux de retrouver, hors de nos frontières, des munitions et armes appartenant à la gendarmerie sénégalaise. Mais une fois de plus, seule l’enquête en cours déterminera la vérité dans cette affaire… » avait déclaré le patron de la cellule de communication de la gendarmerie sénégalaise, le commandant Ibrahima Diop.
Il est permis d’ajouter que si la probabilité de « Colobane et ses 2.000 treillis » était mise à jour, une sérieuse piste de culpabilité mènerait tout droit à la France. Ou alors au Mali voisin dont les forces armées étaient inexistantes au point de laisser passer des caisses d’armes et de munitions comme des… oiseaux. Un autre débat !
Un fusil « M16 » porté disparu via le Mfdc ?
Pour apporter de l’eau au moulin de la gendarmerie sénégalaise, « Le Témoin » se permet de rappeler l’affaire des huit militaires sénégalais récemment libérés par le Mfdc après un an de captivité. A leur arrivée à la base militaire de Ouakam, les huit militaires sénégalais, parmi lesquels des gendarmes, ont été accueillis par le président de la République. Dans une atmosphère de joie et de tristesse mêlées.
Toutefois, les observateurs attentifs avaient remarqué qu’à la place des armes que détenaient nos braves soldats au moment de leur reddition, ils n’avaient plus en main que des… chapelets. Pourquoi le Mfdc et les facilitateurs diplomatiques n’ont-ils pas restitué les armes au moment de la libération des prisonniers ?
Ce qui s’était passé lors de la remise des huit otages à Banjul était de nature à étonner plus d’un observateur. Parce que ce jour-là, prétendent certains, les responsables militaires du Mfdc portaient les mêmes types de tenues camouflées que celles qui étaient proposées à la vente par le « bana-bana » de Colobane. Nous nous garderons d’en tirer la moindre conclusion…
Pour le reste, après chaque opération de sécurisation, les forces sénégalaises constatent que des rebelles du Mfdc ou des coupeurs de route portaient des tenues militaires américaines de couleur gris-clair apparues lors de la guerre du Golfe.
Ces genres de tenues sont actuellement utilisés pour les opérations dans le désert. Hormis ces tenues dites américaines, des tenues « françaises » et « sénégalaises » sont éparpillées dans la nature casamançaise. Des ports illégaux d’uniformes de nature à semer la confusion au sein de la population. D’ailleurs, elles favorisent les nombreuses embuscades tendues à l’Armée sénégalaise.
Des embuscades au cours desquelles militaires et gendarmes ont perdu des armes de guerre jusqu’ici introuvables. Ainsi, lors de l’attaque de Diegoune en décembre 2011 qui avait fait neuf morts dont le capitaine Dama Ka du 25° BRA, on nous signale qu’un « M16 », un fusil d’assaut, avait été porté disparu.
Même perte d’armes dans l’embuscade tendue par les rebelles du Mfdc aux éléments du lieutenant Abdou Karim Boye, lui-même tué le 27 décembre 2010 à Bignona…
Tout cela pour dire quoi ? Que des armes et des munitions appartenant à l’armée sénégalaise peuvent se balader sur tous les théâtres d’opérations de la sous-région du fait d’un trafic alimenté par les rebelles du Mfdc. Il en est de même d’uniformes réformés par l’armée française…
Il n’est donc pas étonnant, pour toutes les raisons expliquées ci-dessus, que « quelques » armes sénégalaises puissent être retrouvées à Gao. De là à parler de caisses de munitions estampillées « Gendarmerie sénégalaise », la ficelle est tout de même un peu trop grosse…
Pape NDIAYE
« Le Témoin » N° 1116 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2013)