La rédaction de RTL a pu entrer en liaison téléphonique avec l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, vendredi 9 janvier. Le téléphone mal raccroché nous a permis de saisir une conversation entre Amedy Coulibaly et ses otages. Après réflexion, nous avons choisi de diffuser certains extraits de ce dialogue, ce matin, une fois la prise d’otages terminée. Ils permettent de comprendre la dérive d’Amedy Coulibaly, jeune Français devenu jihadiste. Ils montrent la détermination froide, l’endoctrinement du terroriste et une rhétorique qui manifestement ne laisse aucune place à la négociation.
Une vengeance contre l’Occident
Sur un ton direct, l’homme, armé de deux fusils mitrailleurs, sans laisser le choix du dialogue à ses interlocuteurs, entend justifier son action : « À chaque fois, eux, ils essaient de vous faire croire que les musulmans sont des terroristes. Moi, je suis né en France. S’ils n’avaient pas été attaqués ailleurs, je ne serais pas là ».
Ils essaient de vous faire croire que les musulmans sont des terroristes
Amedy Coulibaly
Le preneur d’otages reprend la dialectique jihadiste et fait allusion à l’État islamique. Son action est une vengeance à la fois contre l’État syrien et la coalition occidentale présente au Mali, en Irak ou en Afghanistan. « Je pense à ceux qui avaient Bachar al-Assad en Syrie. Ils torturaient les gens (…) On n’est pas intervenu pendant des années (…) puis bombardiers, coalition de 50.000 pays (sic), tout ça (…) Pourquoi ils font ça ? Il y a eu le nord du Mali et il y a eu la Syrie, un coup monté en même temps (…) Il n’y a eu aucune exaction au Mali (…) Il faut qu’ils arrêtent (…) d’attaquer l’État islamique, qu’ils arrêtent de dévoiler nos femmes, qu’ils arrêtent de mettre nos frères en prison pour rien du tout », explique-t-il.
Un appel à manifester pour « laisser les musulmans tranquille »
Les explications de Coulibaly sont sans surprise. Arme à la main, l’homme avance des arguments plus ou moins brouillons. « C’est vous qui avez élu vos gouvernements (sic) et vos gouvernements ne vous ont jamais caché que vous alliez faire la guerre au Mali ou ailleurs. Premièrement. Deuxièmement, c’est vous qui les financez. Vous payez les taxes et des trucs et vous êtes d’accord ».
Faites des manifestations et dites : « Laissez les musulmans tranquille »
Amedy Coulibaly
« On est obligé », tente de répondre un otage. Réponse immédiate : « Hein ? On n’est pas obligé, je ne paie pas mes impôts, moi ». Le dialogue se poursuit. « Quand je paie mes impôts, c’est pour les routes, les écoles (…) On paie nos impôts mais on fait de mal à personne », dit l’otage.Réplique de Coulibaly : « Si jamais tous les individus arrivent à s’unir, comme là pourCharlie Hebdo, pour élire leur président, eh ben faites la même chose en vous unissant. Faites des manifestations et dites : ‘Laissez les musulmans tranquille et vous nous laissez tranquille’. Pourquoi vous ne le faites pas ?«
Coulibaly se réclame d’Oussama Ben Laden
La conversation semble presque banale mais la menace est vite de retour : « Nous, chez nous, c’est la loi du Talion. Vous la connaissez très bien (…) Allah a dit dans le Coran : ‘Ils transgressent, transgressez à transgression égale’. Si on touche nos enfants, nos femmes, nos combattants, on s’attaque aux hommes qui nous combattent ».Il poursuit : « Vous ne savez pas ce qui se passe dans les pays musulmans. En Irak, avec l’embargo, ils ont tué un million d’enfants. Bon, maintenant, je vous le dis à vous : votre armée, s’ils ne veulent pas mettre les pieds là-bas c’est parce que dès qu’ils toucheront le sol, ils se feront découper en deux minutes. Ils n’arrivent pas à combattre (…) Jamais ils n’arriveront à nous battre (…) Partout où ils ont été, jamais ils n’ont réussi. Allah est avec nous« .
Allah est avec nous
Amedy Coulibaly
Un discours souvent nébuleux pétri de haine, jusqu’à citer le guide dont il se réclame :Oussama Ben Laden. « Comme il a dit (…) : ‘Vous n’allez jamais goûter à la paix. C’est nous qui ferons la paix en Palestine' ». Une litanie identique à celle de tous les jihadistes, qui aura duré jusqu’à l’assaut des forces de l’ordre au cours duquel il perdra la vie.
Vous avez aimé le terroriste pilote d’avion qui a heurté un building qui s’est effondré créant un incendie avec une chaleur qui a fondu tout l’avion, l’acier de l’immeuble, mais qui a laissé intact le passeport du pilote permettant de l’identifier.
Vous avez aimé le terroriste pilote qui s’est suicidé en faisant heurter son avion un immeuble, et que le lendemain, on retrouve le même pilote vivant en Arabie Saoudite surpris de s’entendre dire qu’il est mort et de voir les photos de son passeport dans des journaux comme preuve qu’il n’est plus de ce monde.
Vous avez aimé le terroriste expert, qui a subi un entraînement intense au Yemen, qui a volé un véhicule, qui a débarqué à Charlie Hebdo pour tirer froidement sur 12 personnes, qui a pu circuler en trombe dans les rues de Paris bondé en plein jour, et qui a oublié sa carte d’identité dans le véhicule.
Vous allez admirer le terroriste qui a pris des otages, qui a répondu, à des journalistes, au téléphone fixe du lieu de prise d’otage, qui a avoué aux journalistes que c’est lui le responsable de tout ce qu’on lui reproche, et pis, il a oublié de bien raccrocher le téléphone, ce qui a encore permis de continuer d’entendre ce qu’il n’avait pas avoué dans le téléphone.
L’art de la guerre: La nouvelle sainte croisade
De véritables commandos, dans leur façon de bouger, de tirer. Pas en rafales pour ne pas gaspiller de cartouches, mais avec un ou deux coups sur chaque victime, comme sur le policier blessé qui est achevé avec un seul coup par le killer qui continue à marcher, rejoint la voiture et, avant de monter, ramasse calmement une chaussure tombée (qui aurait pu constituer une preuve à l’examen ADN). Mais quand les deux, avec une préparation de forces spéciales, changent de voiture, ils « oublient » (selon la version de la police) une de leurs cartes d’identité sur la première voiture. Et signent ainsi officiellement l’attentat. Quelques heures plus tard on connaît dans le monde entier leurs noms et leurs biographies : « deux petits délinquants radicalisés, connus par la police et les services de renseignement français ».
On ne peut pas ne pas repenser, dans ce qui est défini comme « le 11 septembre de la France », au 11 septembre des Etats-Unis : quand, quelques heures à peine après l’attentat des Tours Jumelles, circulaient déjà les noms et les biographies de ceux qui étaient désignés comme les auteurs membres d’Al Qaeda. Ou l’assassinat de Kennedy, dont on trouve immédiatement le présumé auteur. Même chose, en Italie, avec le massacre de Piazza Fontana. Légitime, donc, le soupçon que derrière l’attentat en France, se trouvent de longue main les services secrets.
Les deux présumés auteurs (si leurs biographies sont vraies) appartiennent à ce monde souterrain créé par les services secrets occidentaux, y compris français, qui ont financé, armé et entraîné en Libye en 2011 des groupes islamistes jusque peu de temps auparavant qualifiés de terroristes, parmi lesquels les premiers noyaux du futur Etat Islamique ; qui les ont approvisionnés en armes à travers un réseau organisé par la Cia (selon une enquête du New York Times en mars 2013) quand, après avoir contribué à renverser Kadhafi, ils sont passés en Syrie pour renverser Assad et attaquer ensuite l’Irak (au moment où le gouvernement al-Maliki s’éloignait de l’Occident, et se rapprochait de Pékin et de Moscou). L’EI, né en 2013, reçoit des financements et des voies de transit par Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, Turquie et Jordanie, alliés étroits des Etats-Unis et des autres puissances occidentales, dont la France. Cela ne signifie pas que la masse des activistes des groupes islamistes, provenant aussi de différents pays occidentaux, en soit consciente. Reste cependant le fait que derrière leurs masques se cachent certainement des agents secrets occidentaux et arabes spécialement formés pour de telles opérations.
Dans l’attente d’autres éléments qui puissent éclaircir la véritable matrice de l’attentat en France, il est logique de se demander : à qui cela profite-t-il ? La réponse se trouve dans ce qu’a déclaré Nicolas Sarkozy, qui, quand il était président de la France, a été un des principaux auteurs du soutien aux groupes islamistes dans la guerre d’agression contre la Libye : il a qualifié l’attentat en France de « guerre déclarée contre la civilisation, qui a la responsabilité de se défendre ». On veut de cette façon convaincre l’opinion publique que l’Occident est désormais en guerre contre ceux qui cherchent à détruire la « civilisation », qu’il incarne, et doit donc « se défende » en potentialisant ses forces militaires et en les projetant partout dans le monde où surgit cette « menace ».
On essaie ainsi de transformer le sentiment de masse pour les victimes du massacre en mobilisation pour la guerre. Le David, qui à Florence a été voilé de noir, est appelé maintenant à empoigner l’épée de la nouvelle sainte croisade.
Manlio Dinucci
ilmanifesto