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[Video] Des familles africaines « squatteuses » expulsées par des CRS: Un spectacle désolant

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C’est un peu ce qu’on pourrait appeler la face cachée de la rénovation urbaine. Rendue tristement célèbre en 2005 par la mort d’un enfant tué à ses pieds puis par la visite de Nicolas Sarkozy promettant de “nettoyer” La Courneuve “au kärcher”, la barre Balzac, haut-lieu du trafic de drogue, doit être démolie à la fin de l’année dans le cadre d’un grand projet de réhabilitation du quartier. Mais pour démolir un immeuble, il faut qu’il soit vide. La plupart des 274 familles qui vivaient là, dont celle de Saïd, ont été relogées ailleurs. Mais depuis près d’un an, 41 appartements vides ont été envahis par des “squatteurs”, ce qui a considérablement retardé le début de la démolition.

Ce matin, jeudi 8 juillet, vers 6 heures, les forces de l’ordre sont intervenues pour les expulser. Quelques heures plus tard, l’accès à la barre HLM était bouclé par des cordons de CRS tandis que des ouvriers étaient à l’œuvre pour installer de lourdes portes métalliques fermant l’accès aux halls.

dsc00346.1278592203.JPGDes valises, des sacs, des télévisions, des matelas, des fours, des bouteilles de gaz, étaient éparpillés partout, jusque devant la petite Chapelle, à cinquante mètres de la barre.

Dispersés comme leurs affaires, ceux qu’on appelait jusqu’ici de façon générique “les squatteurs” ont soudain pris un visage…

Ce sont des familles africaines. Je compte une centaine d’adultes, une trentaine d’enfants. Il y a aussi beaucoup d’hommes seuls. La plupart disent être originaires de Côte d’Ivoire.

Dans un communiqué, la préfecture affirme que “tout s’est passé dans le calme”. Quelques tee-shirts déchirés, des plaies aux genoux ou aux mains provoquées par des chutes permettent de penser que le moment fut plus agité que cela. “Je suis enceinte et ils m’ont poussée”, affirme Mariam assise sur le trottoir.

“Ce que je ne comprends pas, c’est que nous payions un loyer ici”, affirme-t-elle. Elle me montre les courriers à en-tête de l’office public de l’habitat de Bobigny. Adressés à son nom, on peut y lire “avis individuel de régularisation des charges dsc00319.1278593357.JPGlocatives et de la consommation d’eau pour l’année écoulée”.

Puis, un autre, sur lequel je lis “avis d’échéance”, “indemnité d’occupation, provision charges communes, provision consommation d’eau… Total quittance : 623,59 euros”. A première vue, moi qui m’y connais peu, comme Mariam, en subtilités de langage locatif, je pense qu’elle paye en effet un loyer. Beaucoup de ceux que je croise sur le trottoir me montrent les mêmes lettres. “Nous payions, depuis neuf mois que nous sommes là. Vous avez déjà vu des squatteurs payer quelque chose, vous ? C’est donc bien un loyer !”, s’emporte Daniogo.

Un peu plus loin, avec son gilet jaune fluorescent et sa petite sacoche au logo des HLM, je croise justement une représentante de l’office de l’habitat venue, me dit-elle, “avec une petite équipe”, pour faire que tout se passe bien, et “leur proposer trois nuits d’hôtel”. Elle m’explique : “Quand il y a un avis d’expulsion et que des gens continuent d’habiter un logement HLM, alors ils payent une indemnité d’occupation. Mais ce n’est absolument pas un loyer puisqu’ils n’ont pas de bail !” Je lui demande si elle est sûre que tout le monde ici a bien compris la nuance et sait ce qu’est un bail. “Tous, je ne peux pas vous en assurer. Mais beaucoup savent très bien la différence.”

“ABUSÉS PAR DES TRAFIQUANTS SANS SCRUPULES”

Un autre homme, lui, affirme que quelqu’un lui a vendu un appartement ici, il y a neuf mois, pour 2000 euros : “Je me suis fait avoir ! Il ne m’a pas dit que l’endroit allait être détruit. Et maintenant, il a disparu dans la nature, et cet argent est perdu !” D’autres payent un loyer mais ils ne savent pas à qui.

A l’office public de l’habitat, on explique qu’au printemps 2009, certains logements vides ont été ouverts et “utilisés par des trafiquants sans scrupules qui ont abusé de nombreuses personnes à la recherche d’un logement en organisant un squat mafieux et en leur louant frauduleusement des appartements de l’Office, voués à la démolition”.

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Son petit garçon de six semaines dans son porte-bébé, Affouchata, 27 ans, s’inquiète : “Où va-t-on aller ? Je n’ai même pas d’eau pour lui. Et il va faire chaud aujourd’hui…” Régularisée, femme de ménage en CDI, elle est en congès maternité. A ses côtés, Koko, 28 ans, mère de deux enfants, le petit dernier dans sa poussette, également en CDI. “Je me lève tôt chaque matin pour aller faire le ménage dans les bureaux. Ce n’est que quand je suis revenue, en milieu de matinée, que j’ai su ce qui s’était passé !”

Son cousin Kaladji, chauffeur-livreur également en CDI, lui aussi était au travail, à Roissy, quand les CRS sont intervenus. “Nous sommes en règle, nous avons des fiches de paie. Ici nous payions un loyer de plus de 600 euros donc nous pouvons payer un loyer. Mais nous ne trouvons aucun logement ! Je suis arrivée en France en 2000. J’ai fait des demandes aux HLM. Mais je n’ai eu aucune réponse. Où voulez-vous que nous vivions ?”, interroge-t-il.

Assis sur leurs sacs, sur des tabourets descendus de chez eux, beaucoup regardent dans le vague, comme perdus. “Je ne veux pas aller à l’hôtel”, explique Affouchata. “Là-bas, ce n’est pas comme un appartement, on ne peut pas cuisiner. Et en plus, je suis en CDI, je peux payer un loyer !” Une autre femme est en colère : “Ici, il y a des dealers plein l’escalier. Les flics passent de temps en temps, mais ils reviennent toujours, eux. Et c’est nous qu’on met dehors !”

ATTENDRE DES SOLUTIONS

Quelques hommes discutent entre eux de la marche à suivre. Puis sont rejoints par les représentants de l’office HLM qui leur proposent de leur payer trois nuits d’hôtel. “Les trois nuits d’hôtel, nous pouvons nous les payer Madame”, explique Aboubacar à la dame au gilet fluorescent. “Mais moi ce que je voudrais savoir c’est où nous allons dormir après…” La dame de l’office n’a pas de réponse. “Si nous partons d’ici, alors nous n’obtiendrons rien et on nous oubliera. Nous pouvons très bien nous installer là pour attendre une solution…”

Les expulsés semblaient bien décidés à s’installer pour la nuit le long de l’allée Georges-Braque, à cinquante mètres de Balzac. C’est un des lieux de deals bien connus du quartier. Mais les petits trafiquants que l’on croise habituellement n’étaient pas là ce matin. Sur le coin de ce petit immeuble de quatre étages, juste au-dessus d’un tas de sacs, de matelas et de valises, un grand panneau décrit le projet d’aménagement de ce “quartier d’avenir”.

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A regarder ces familles s’interroger, elles, sur leur avenir, l’ordre des priorités semblait bien difficile à établir. Toute la complexité d’un quartier comme les 4000 semblait alors résumée en ce coin de rue.

A.L

http://lacourneuve.blog.lemonde.fr

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