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Vieux Mac Faye : « Tout le monde dit que la musique ne marche pas, mais… »

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Greffier et chanteur ! Ce n’est pas courant, mais il en existe au moins un : c’est Vieux Mac Faye. On associe très souvent son nom à ‘’Jongoma ya taaru’’, mais ce n’est pas la seule chanson qu’il a composée. Et bizarrement aussi, c’est celle qu’il n’aime pas. Parce que le rythme musical utilisé n’est pas son domaine de prédilection. Il se sent mieux dans ce qu’il appelle l’afro blues. Il en donne à souhait à ses aficionados dans sa dernière production qu’est un maxi single : ‘’Le Blues du juge’’. Dans cet entretien avec EnQuête, il revient sur l’hommage qu’il y rend aux magistrats, à la nouvelle vision de la Sodav dont il est l’un des membres du conseil d’administration.

Vous venez de sortir un maxi single, parlez-nous de son contenu ?

C’est un maxi single avec 4 titres et intitulé le ‘’Blues du juge’’.  Pour avoir été dans la justice pendant plus d’une trentaine d’années, j’en connais bien les réalités. J’ai trouvé que la justice est trop laissée pour compte. Comme dit un adage wolof ‘’magistrat loko fày tuutina’’. Parce que c’est celui qui connaît toutes les affaires sociales, administratives, pénales, civiles, que sais-je encore. Chaque individu qui se trouve lésé va au tribunal. Il est le sauveteur mais fait l’objet de coups. Car on ne lui rend pas la monnaie de sa pièce. Regardez cette immensité de choses qu’on lui donne à gérer et il doit dire le bon droit dans tout cela. Il doit faire justice parce qu’il est la référence.

Vous savez, chaque partie fait l’objet de beaucoup d’années d’études. Encore qu’on ne peut tous les cerner. Alors, on prend un simple humain comme un magistrat, on lui donne toutes les affaires civiles, commerciales etc. et on attend de lui la meilleure justice. Comme je le dis, dans un procès, il y a toujours nécessairement un perdant et un gagnant. Ce dernier a toujours tendance à bien traiter le juge et le perdant a souvent tendance à donner un avis défavorable. Le magistrat, dans sa posture de juge, n’a en face de lui que des ennemis. Parce que celui qui est en face de lui qui est le prévenu et son avocat ont toujours tendance à essayer de le contourner. Ils essaient de mentir, de changer les choses, rien que pour être dans les bonnes grâces du juge.

La loi permet à ce prévenu de dire autre chose que le droit. Il appartient au juge de trouver la faille et de dire : ‘’Monsieur, vous êtes coupable.’’ Le juge est-il aussi apte à être toujours perspicace en tant que simple humain ? Tout le monde est parti pour rouler le juge : l’avocat du prévenu, le prévenu, le procureur de la République, etc. il est le seul pourtant à devoir dire le droit. C’est une grosse responsabilité. Vous ne verrez jamais un sujet à la télévision ou à la radio dire : j’ai fait ceci ou cela. Il n’y a pas de grand juge ou de petit juge. Il y a juste un dossier, une affaire et une conscience. La justice émane du Bon Dieu. Dans le juge, il y a matière et esprit. C’est-à-dire il y a le juge en tant qu’humain et sa conscience dictée par la déontologie. C’est cela le plus important chez un juge. Voilà le pourquoi du ‘’Blues du juge’’. C’est son spleen.

Pourquoi juste un hommage aux juges ?

Moi, j’ai des amis avocats, magistrats qui me disent que le moment est très bien choisi. C’est un hasard qu’il soit sorti maintenant parce qu’on l’a composé il y a longtemps.

Peut-on considérer que cet album scelle le mariage de vos deux amours : la justice et la musique ?

Oui, l’album en est une illustration. J’y rends à la fois hommage à la justice et à la musique. Alors aujourd’hui, c’est le juge, demain ce sera le greffier, l’interprète. J’ai des chansons pour les autres corps de métier de la justice. Allier mon métier de greffier à celui de musicien n’a pas toujours été de tout repos. Vous voyez que j’ai toujours les yeux rouges. Parce que c’est mon sommeil qui en a pâti de même que ma vie de famille. Mais, il y avait de la passion dans les deux. Et tant que la passion était là, ce n’était pas un problème. Que Dieu nous prête longue vie pour dire et faire tout ce qu’on peut dire et faire. Il y a beaucoup de choses à dire et on essaie tant bien que mal de faire sortir le Sénégal de sa torpeur, en ce qui nous concerne.

Parlez-nous des autres chansons qui composent ce maxi single ?

Il y a ‘’let me tell you’’. Les classiques du blues s’y reconnaîtront. C’est de l’afro-blues. C’est une chanson d’amour chantée en anglais, en français et en wolof. Il y a ‘’Naby Toubab’’ qui est un constat. Dans ce titre, il y a un refrain qui dit que tout le monde dit que le toubab combat le Coran. Mais sur un autre registre, moi je trouve qu’il s’applique les recommandations du Coran. Alors est-ce à nous autres simples profanes de les juger ou est-ce qu’il appartient au Bon Dieu de le faire ? C’est le ‘’toubab’’ qu’on voit dans les fonds marins faire des documentaire afin d’essayer de sauver des spécimens et pour l’humanité. C’est le ‘’toubab’’ qui recueille le chien égaré, l’oiseau malade, etc. Il respecte les animaux, la femme, l’enfant. C’est nous qui devions être les premiers à faire cela. Ces thèmes me sont chers. Ce sont des choses que les gens ne disent pas. Nous nous disons musulmans, alors posons des actes démontrant cela. Il faut que nous nous parlions et que nous nous disions la vérité. Cela ne sert à rien de se voiler la face. Enfin, il y a ‘’Benn soxna’’ qui est une chanson qui fustige la polygamie. J’y décris un ami qui s’appelle Maodo et qui a beaucoup changé après avoir pris une seconde épouse.

Vous aviez conçu le ‘’Djolof blues’’, pensez-vous que les Sénégalais l’ont bien adopté ?

Je l’ai amélioré et rebaptisé ‘’Afro-blues’’. Le Djolof ne représentait que le Sénégal bien que ce dernier comporte en lui-même énormément d’influences culturelles. Mais je me sens plus africain que sénégalais et j’ai étendu la chose à l’Afrique. Je trouvais que les autres Africains étaient en train de nous damer le pion. C’est une situation, je ne dirais pas qu’elle ne me plaît pas, mais qui me donne envie de montrer, en tant que citoyen sénégalais, qu’il y a du potentiel ici. Les gens veulent masquer ce potentiel. C’est mon blues ça. Le fait qu’on veuille ensevelir l’ombre. On ne peut pas ensevelir une personne et ses idées. S’il y a la relève, c’est tant mieux. Ce que je suis en train de dire n’est pas du bla bla, toute modestie mise à part.

Qu’est-ce qui n’a pas marché et qui fait qu’aujourd’hui, le Sénégal n’est pas aux devants de la scène musicale africaine ?

Parce qu’il faut distinguer les deux aspects qui existent dans ce domaine. Il y a celui musical c’est-à-dire ‘’do ré mi fa sol la si do’’. Et l’autre qui n’est que business. C’est comme la lutte, il y a le sport et le côté business. Ceux qui ont compris cet aspect commercial sont en plein dedans actuellement et c’est la nouvelle génération. Ils voyagent et organisent des soirées évènements. Encore qu’au Sénégal, je pense que la jeunesse fait tout sauf de la musique sénégalaise. Mais ils sont obligés de s’aligner à défaut de disparaître. Il y a un chemin classique par lequel il faut nécessairement passer. Nous avons notre patrimoine qui est le ‘’Mbalax’’, notre folklore national. Quel pays n’a pas son folklore ? Quand la Chine ou le Japon joue son folklore, tu ne les écouteras plus. Ils n’ont pas essayé de les imposer. Parce qu’ils savent que ce serait impossible de les faire passer.

Quand vous les écoutez faire de la musique, ce sont de purs produits musicaux consommables à souhait d’ailleurs. Ils passent par les chemins classiques. La musique a ses règles, on la joue, on passe, on ne la joue pas, on ne passe pas. Les gens s’entêtent à ne pas passer par les chemins classiques. Ils le peuvent mais ne veulent pas le faire parce que cela implique d’étudier la musique. Je sais qu’en disant cela, je vais encore avoir tout le monde dans le dos, mais c’est la triste réalité. Tout le monde dit que la musique ne marche pas et ne cherche pas à savoir pourquoi cela ne marche pas. Je ne suis pas le seul à faire le constat mais quand je le dis, on me traite de ‘’tangg xol’’. Ok, je le suis si on le considère ainsi. Je leur ai dit ce que j’en savais ; maintenant libre à eux de faire ce qu’ils veulent. Seulement, jusqu’en 2050, ils tourneront toujours autour du pot. Je m’arrête en attendant les assises de la musique, on y énumérera les maux.

Vous avez une fois organisé un hommage à Adama Faye, pourquoi vous ne l’avez pas pérennisé ?

Il y a eu quelques soirées. On compte perpétuer cela. Je ne compte pas entrer dans certaines considérations pour dire que les gens veulent oublier Adama. On lui doit des hommages à titre posthume. Il a amené la musique très loin. Presque tous les artistes sénégalais de renom ont eu à utiliser ses services. Aujourd’hui il disparaît, personne ne parle de lui. Nous de la famille ne comptons pas rester les bras croisés.

Le ‘’marimba’’ est une création de feu votre frère Adama Faye. Aujourd’hui, presque tous les musiciens sénégalais en usent et en abusent. Paient-ils des droits d’auteur à cet effet ?

C’est une question hyper pertinente parce qu’on serait dans d’autres contextes, le ‘’marimba’’ serait labellisé et sauvegardé en tant que produit licencié. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Tout le monde reconnaît qu’Adama est le père du ‘’marimba’’. C’est au moins une constante. Sous d’autres cieux, il aurait pu bénéficier de droits d’auteur incommensurables. Aujourd’hui, ses héritiers seraient riches  parce que tous les orchestres se servent du marimba. C’est le style de fond de la musique sénégalaise. Maintenant, rien n’est encore dit, au moins la paternité du ‘’marimba’’ lui est reconnue. Il ne l’avait pas déclaré c’est vrai. Mais les héritiers peuvent le faire. Ce n’est pas encore tard.

Vous y réfléchissez avec eux surtout que maintenant la Sodav est opérationnelle ?

Aaaah oui ! C’est le droit de toute façon et la Sodav est là pour sauvegarder et faire valoir les intérêts des artistes. Quand ces derniers se sentiront lésés, ils se tourneront vers la Sodav. Il y a des structures qui vont voir comment régler les problèmes et s’il faut ester en justice, on le fera pour le compte des associés que sont les artistes. On se doit de défendre leurs œuvres.

Vous faites partie du conseil d’administration de la Sodav, quelle est votre ligne directrice ?

C’est une société pour les artistes et par les artistes. C’est un changement de fond. Le BSDA était une entité étatique. Là, on a une société dirigée par des particuliers. C’est une nouvelle histoire qui est en train de naître. On veut bien faire. On est structuré. On est en plein dedans. Croisons les doigts, on espère réussir là où le BSDA avait échoué. Ce n’est pas évident mais on s’y met. Les répartitions qui devaient être faites au mois d’octobre ont été ajournées, le temps de permettre à la Sodav de bien s’implanter, de se formaliser, au point de vue de la forme. Fondamentalement, on n’a pas encore créé les structures de base de la Sodav. En plus des droits d’auteur, viennent s’ajouter les droits voisins. C’est un travail parallèle auquel on n’est pas habitué mais on sait ce qu’on veut quand même. Quand on sait ce qu’on veut, on sait où aller.

Ismaïla Lô est l’un des premiers artistes avec lequel vous avez travaillé. Quelle relation entretenez-vous aujourd’hui ?

Des relations de fraternité, de cordialité. On s’appelle très souvent. On ne se voit pas tout le temps. On vieillit doucement mais musicalement, on essaie de garder le cap. De mon côté, je vis pour l’art. La musique sera toujours ma partenaire. Ismaïla Lô m’associe à ses projets. On échange beaucoup. On prévoit des choses. A chaque fois qu’on se voit, on construit des châteaux, des hôtels, après ça s’effondre. Mais les intentions sont là.

Pourquoi avez-vous monté votre propre orchestre au moment où les instrumentistes n’étaient pas leaders de groupes ?

Le batteur peut diriger tout comme le percussionniste. Je pense que cela relève de la responsabilité. C’est une question de personnalité. Moi, c’est lié à ma personnalité. J’ai toujours envie de dire quelque chose et de le dire à ma manière. Voilà pourquoi d’ailleurs j’ai arrêté de jouer avec Ismaïla Lô parce qu’à un moment donné, j’ai voulu jouer d’une certaine façon et je me suis heurté à son bon vouloir. Il y a eu la cassure mais de façon très amiable. On s’est compris.

Vous avez un côté dénicheur de talents. Comment faites-vous ?

Je pars du principe que je ne suis pas le seul détenteur du savoir. J’aime bien aller voir l’autre, voir ce qui se passe chez lui. Ce qui est très difficile chez certains individus, c’est le partage. Ce n’est pas mon cas. Il faut être généreux. La musique par essence, pour pouvoir bien l’exécuter, il faut être généreux. Il faut avoir le sens du partage. Je suis comme ça. Ma femme me dit que je suis curieux. Je pense qu’il faut être comme ça.

Quelle suite donnez-vous à ces collaborations ?

Là actuellement, par exemple, j’envisage de faire des compilations d’artistes. J’envisage de faire dans le spectacle. Je veux qu’on les voie. Ils ont des choses intéressantes à dire. Je ne mets pas de barrières entre les jeunes et moi. Je m’enrichis de leur expérience. Ma chance à moi, c’est d’avoir vécu le passé et le présent. Eux, ne vivent que le présent. Je tire le meilleur profit d’eux.

Considérez-vous ‘’Jongoma ya taaru’’ comme votre tube ?

Ça a été un tube. Mais moi je ne l’ai pas trop senti. Vous avez bien vu que j’ai arrêté d’en faire. C’est vrai que c’est très populaire et que c’est cela qui m’a fait découvrir le public sénégalais mais je n’aimais pas ce public-là. Quand je sortais dans la rue, les enfants criaient mon nom. Ça, ce n’est pas moi. Je suis de nature timide. Je rase les murs. J’aime marcher dans la rue en ‘’carax’’, manger tranquillement mon ‘’caaf’’, mon chapeau abaissé. Je savoure la vie comme ca. Ce sont à ces instants que je vois le monde. Je compose mes chansons et ma musique en marchant. Voilà qui je suis. Je ne suis pas pompeux. Je n’aime pas les mondanités. Je suis timide mais j’ai mon point de vue musical. Advienne que pourra.

Interview réalisée par EnQuête

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