Que vaut la parole devant le droit ?
La page de l’élection présidentielle du 24 février 2019 est définitivement tournée. La question qui brûle toutes les lèvres dans le landerneau politique est celle des perspectives, au nombre desquelles, celle du « Troisième mandat ».
Légalement et/ou légitimement, le Président nouvellement réélu peut-il briguer un autre mandat en 2024 ?
Même si le Président Macky SALL, renforcé par son Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, affirme que c’est son second et dernier mandat, le doute ressurgit sur le terrain du droit positif qui semble ouvrir grandement les portes d’un mandat supplémentaire.
En effet, comme ce fut le cas avec le premier mandat du Président Abdoulaye Wade en 2000, le vide juridique est encore bien réel pour le premier mandat du Président Macky SALL qu’aucune disposition transitoire ne vient expressément régler.
Ce doute, que l’on voudrait méthodique comme celui de Descartes, s’épaissit en sombres nuages que n’éclairent pas les avis somme toute translucides des techniciens du droit qui se sont prononcés sur cette épineuse question.
Les Professeurs Babacar Guèye et Jean Mariel Nzouankeu, tous deux spécialistes du droit constitutionnel, ont soutenu que M. Macky Sall, Président de la République en fonction, pourrait légalement, si on se réfère au nouvel article 27 de la Constitution issu de la révision constitutionnelle adoptée au référendum et promulguée le 05 avril 2016, briguer un nouveau mandat en 2024.
Cet article 27 stipule : « La durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.»
Le débat juridique qui se pose est celui de savoir si oui on non le premier mandat de sept ans du Président Macky Sall va-t-il être décompté.
Curieusement on revient à la case de départ et on est tenté de croire qu’on est dans un cercle vicieux constitutionnel dans lequel on nous fait tourner depuis 2012.
Le premier mandat du Président Abdoulaye Wade, intervenu après le référendum et donc les réformes constitutionnelles, n’avait finalement pas été pris en compte par le Conseil constitutionnel.
Qu’en sera-t-il de celui du Président Macky Sall que des réformes constitutionnelles du Président Abdoulaye Wade avaient encore ramené à sept ans au lieu de cinq en 2008 ?( cf. Loi constitutionnelle 2008-66 du 21 octobre 2008)
Pourquoi la Constitution n’a pas dit si le nouvel article 27 entrait en vigueur dès la promulgation de la loi référendaire, auquel cas une élection présidentielle devait être organisée immédiatement ? Ou alors, si le nouvel article 27 entre en vigueur à l’expiration du mandat de sept ans du Président de la République ?
Il s’y ajoute, qu’il n’est écrit nulle part que le mandat de sept ans est, ou n’est pas compris dans le décompte des deux mandats consécutifs du nouvel article 27. Habituellement, ces questions sont traitées dans les dispositions transitoires ; mais dans la Constitution ainsi révisée, les dispositions transitoires ont été supprimées. Pourquoi ?
Pourquoi le Conseil constitutionnel, cette haute Juridiction, répondant à la saisine du Président de la République qui l’interpellait en ces termes : « Désormais, le Président de la République sera élu pour un mandat de cinq ans. Nul ne pourra faire plus de deux mandats consécutifs . Est-ce que je peux appliquer cette nouvelle durée du mandat présidentiel à mon mandat en cours ? », n’avait-Il pas explicitement tranché cette question en omettant volontairement la question du décompte du mandat de sept ans ?
Le Conseil constitutionnel, dans sa Décision n°1/C/2016 du 12 février 2016, avait répondu qu’au regard de la pratique constitutionnelle et d’un certain nombre de précédents, «le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle » (paragraphe 30 des motifs) ; en conséquence, avait –il ajouté dans son dispositif, la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne peut pas s’appliquer au mandat en cours. Autrement dit, le mandat en cours est écarté du champ du nouvel article 27, pour au moins ce qui est de la durée du mandat. Cela signifie-t-il alors qu’on ne peut pas le comptabiliser comme l’un des deux mandats autorisés par l’article 27 ?
La question qui nous taraude l’esprit est alors celle-là : le premier mandat du Président Macky SALL est-il concerné par la révision constitutionnelle référendaire de 2016 ?
En rendant sa Décision sur la durée du mandat, le Conseil constitutionnel n’a-t-il pas tacitement réglé l’autre question subsidiaire relative au nombre de mandats ?
L’histoire ne risque-t-elle pas de bégayer encore une fois ?
Ne fallait-il pas inscrire une disposition transitoire dans la Constitution précisant que : « Le mandat de sept ans est compris dans le décompte des mandats autorisés par l’article 27 de la présente Constitution.» ?
Disposition qu’il fallait, hélas, prendre avant l’élection présidentielle de 2019 !
Jurisprudence quand tu nous tiens !
Jurisprudences de 2012, le premier mandat de sept ans du Président Abdoulaye Wade n’avait pas été pris en compte par le Conseil constitutionnel et de 2016, le Conseil constitutionnel déclare le « mandat intangible et hors de portée de la nouvelle loi » tout se gardant de se prononcer sur le décompte du mandat.
Alors le débat juridique sur la question d’un « deuxième -troisième » mandat s’annonce très houleux.
Le Président Macky SALL, très bon élève du Président Abdoulaye Wade, qui pourrait voir une fois de plus sa parole fondre comme du beurre sous le soleil du Conseil constitutionnel, devra, dans le cadre d’un gentleman agreement, renoncer à un droit que lui confèrerait, peut-être, la Constitution pour nous éviter des tragédies similaires à celles connues en 2012 sur la question : le Président peut-il oui ou non briguer un « deuxième ou troisième » mandat ?
Il nous semble indispensable d’inscrire, en plus des questions relatives aux contentieux électoraux, cette problématique d’un autre mandant du Président Macky Sall sur le tableau du dialogue politique au cas où il devrait avoir lieu pour faire dans la prévention.
El Hadji Abdou Wade dit Mara