Le ministre de l’Intérieur met les graves révélations du commissaire Keïta sur le compte d’une « guerre fratricide entre policiers »
Apparemment, pour nos autorités politiques, il n’y a pas de quoi se départir de son flegme et c’est à peine si les gravissimes révélations du commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle Cheikhna Keïta les ont émues. Pour ces autorités, en effet, qui se sont exprimées par la voix du ministre de l’Intérieur, le général de gendarmerie Pathé Seck, il n’y a rien de nouveau sous le soleil et il s’agirait tout juste d’une guerre fratricide entre policiers à laquelle elles n’entendent guère se mêler. Ahurissant ! Comment donc peut-on mettre des révélations aussi fracassantes sur le compte d’une simple guerre des polices ?
Et puis, admettons qu’il y ait une guerre des polices — ce qui existe dans à peu près tous les pays du monde —, cela dispense-t-il pour autant ces autorités de prendre des mesures conservatoires contre ces chefs de la Police faisant l’objet d’accusations aussi graves et sur lesquels, désormais, pèsent de lourds soupçons ?
Cela les exonère-t-elles du devoir d’ouvrir une enquête sérieuse ? Et ce ne serait-ce que pour tranquilliser les citoyens qui seraient plus rassurés en sachant que les chefs de leur Police, celle-là même chargée de veiller sur leur sécurité et celle de leurs biens mais aussi sur l’intégrité sanitaire de leurs enfants en combattant sans merci le trafic de drogue, ces substances pernicieuses qui détruisent toute une jeunesse ! —, que ces chefs de la Police, donc, ne sont pas eux-mêmes des « dealers ». Voire des parrains d’une maffia s’adonnant au trafic international de drogue !
Or, force est de l’admettre, les révélations du commissaire Cheikhna Keïta contenues dans le rapport qu’il a fait parvenir au ministre de l’Intérieur depuis le mois de février dernier, ces révélations sont trop précises, trop directes, trop documentées en termes de preuves pour qu’on puisse les mettre sur le compte des délires d’un flic haineux. Non, le divisionnaire Cheikhna Keïta sait ce qu’il dit et a des preuves de ce qu’il avance.
Mieux, il a mis à la disposition de la justice un gros bonnet nigérian pris la main dans le sac et qui est passé à table avec des aveux circonstanciés. Que demande-t-on de plus ? Le déjà ex-patron de l’OCRTIS serait mécontent de la nomination de son prédécesseur à la tête de la Police nationale ? Mais c’est dès le mois de février dernier qu’il avait alerté sa hiérarchie, notamment le ministre de l’Intérieur en personne, sur ce qu’il avait trouvé à l’OCRTIS.
Eh oui, il avait mis en garde tous ses interlocuteurs en disant que l’opprobre risquait de recouvrir le corps si ce prédécesseur était promu Directeur général adjoint (DGA) car tôt ou tard il serait éclaboussé par des scandales. Ces révélations et mises en garde n’avaient pas empêché la nomination du commissaire Abdoulaye Niang comme numéro deux, puis, trois mois après, patron de la Police nationale !
Or, à tout le moins, et la présomption d’innocence devant lui être accordée, le principe de précaution aurait dû être appliqué. Au lieu de quoi, on a promu à la tête d’une force aussi stratégique et sensible que la Police nationale un commissaire de police présenté aujourd’hui comme notoirement ripoux et qui serait même un grand trafiquant de drogue !
Jusqu’à quand les autorités poursuivront-elles la politique de l’autruche consistant à s’enfouir la tête dans le sable ? Qu’attendent-elles donc pour prendre les mesures qu’exige la situation ? Ou alors, attend-on justement que des commandos de la DEA (Drug Enforcement Authority), l’agence américaine chargée de lutter contre le trafic de drogue, débarquent sur nos côtes pour menotter des autorités de notre Police afin d’aller les juger aux Etats-Unis comme ils l’ont fait avec l’ex-chef d’état-major de la marine bissau-guinéenne, l’amiral Bouba Na Tchoutcheu ?
Une arrestation suivie de l’inculpation de l’actuel chef d’état-major général de l’Armée de ce pays voisin, le général Antonio Indjai ? Une chose est sûre : au même titre que la Guinée-Bissau, la Guinée-Conakry et même le Mali du temps d’ATT avec la rocambolesque affaire d’ « Air Cocaïne », notre pays aussi est en passe de devenir un narco-Etat.
Le trafic de cocaïne aurait atteint des niveaux insoupçonnés dans ce pays et cela, le commissaire Cheikhna Keïta a pu s’en rendre compte durant les quelques mois qu’il a passés à la tête de l’OCRTIS. Plutôt donc que de s’attaquer à la racine de ce mal pernicieux qui détruit déjà une bonne partie de notre jeunesse — même si les trafiquants prétendent que leur marchandise de la mort, c’est plutôt à la jeunesse dorée européenne qu’ils la destinent ! —, il convient, pour le président de la République, de se donner les moyens de déclarer une guerre résolue à la drogue qui a fini de conquérir notre pays.
Toute la question est de savoir si cette guerre pourra être gagnée, vu l’ampleur du fléau dans notre pays. Et vu que même les forces de sécurité censées être en première ligne dans ce combat ne sont elles-mêmes pas blanches comme… cocaïne dans ce trafic !