A un an et demi de la présidentielle de 2012, il est paradoxalement l’homme politique qui rencontre le plus régulièrement le président Wade, mis à part l’armée mexicaine de conseillers et sherpas du palais présidentiel.
Il est en tout cas l’un des acteurs dont la récurrence des rencontres avec Me Wade, après une longue brouille dont la profondeur des dégâts causés reste une des clés de l’énigme, autorise à penser que « la neutralisation » dont il faisait l’objet depuis deux ans, cache quelque chose d’important. Wade, face à la montée de son opposition –plus seulement Benno mais un kaléidoscope de mouvements politique décidés à la faire partir, a besoin de recours et Idrissa Seck ne demande que cela.
Arrivé deuxième, lors de la précédente présidentielle, avec 14,92 % des voix pour une première participation, après son élargissement, en 2007, il a surfé sur une vague de popularité pour remporter dans la foulée, la mairie de Thiès, lors des élections locales de mars 2009, marquées pourtant par une défaite du Pds dans les grandes agglomérations.
Mais le fameux « protocole de Rebeuss », le document signé par l’ancien Premier ministre pour solder ses comptes avec le président de la république et permettre sa sortie de prison, a terni un pan de la voilure qui conduit son navire : il a été question de négociations, d’engagements de remboursements, entre autres expiations de faute que ses adversaires ont naturellement monté en épingle pour clore le débat et donner la « victoire » à Me Wade dans sa confrontation avec son premier directeur de campagne lors d’une présidentielle ; c’était en 1988.
Le problème est qu’il ne maîtrise pas le calendrier. Il ne sait pas si la sincérité est de mise dans ses nombreux têtes-à-têtes avec le chef de l’Etat. Il n’a pas pu placer « ses » hommes dans le gouvernement, lors du dernier remaniement ministériel.
Il ne sait pas par ailleurs comment interpréter la nomination de l’ancienne responsable des femmes de « Rewmi », Mme Awa Guèye Kébé, au poste de ministre d’Etat à la présidence, qui avait gelé ses activités politiques aux côtés de celui qui promet d’être « le quatrième président de la République du Sénégal. » Mais là, il nage dans le flou même si la pression de ses partisans l’a poussé à recadrer la compréhension que l’opinion devait se faire à propos de la fréquence de ses audiences au palais de la République avec le maître des lieux.
Samedi 07 août, lors de la séance de dédicace à Thiès du dernier livre du Dr Bakary Samb, il s’explique : « si on vous dit que le baptême est pour l’année prochaine et que vous habillez aujourd’hui, avec votre maquillage, vous risquez d’arriver au baptême complètement froissé. Il faut chaque chose en son temps. Un choix bien pensé, bien réfléchi, est mis en œuvre au moment opportun. » La semaine qui a suivi, il a reçu d’influents journalistes à Thiès pour leur révéler que « ne pouvait continuer » cette situation attentiste dans laquelle, il ne contrôlait pas tout, et commençait à sérieusement remettre en cause le recours qu’il propose. C’est clair, en ces temps difficiles pour le pouvoir, Idrissa Seck essaie de « vendre » une alternative au « Pape du Sopi », mais il n’a jamais quitté ses habits de présidentiable. Idrissa Seck doit faire rapidement des choix stratégiques. S’il bat campagne pour Wade en 2012, ne le ferait-il pas en même temps pour Karim Wade ?
Au moins, lors du feuilleton politico judicaire des « chantiers de Thiès », il était un acteur décisif, même en prison. Blanchi par la justice après deux non-lieux, il est maintenant établi que ce sont des histoires de gros sous qui l’avaient opposé à son mentor. Ce que voulait Me Wade, c’est qu’Idrissa Seck reconnaisse qu’il a été le fautif dans leur conflit. Il l’a eu. Bref, pour solde de tout compte, Idrissa Seck a fait son mea culpa et annoncé qu’il retournait dans la maison du « père », d’autant qu’il se considère comme « un actionnaire majoritaire » dans le tour de table où siègent les héritiers politique du vieux président. Ce sont les péripéties de bras de fer Wade-Idy qui ont conduit Karim Wade (enregistrements de conversations privées et injures), à se radicaliser plus tard et continuer, jusqu’aujourd’hui, à symboliser l’opposition la plus farouche à son ancien « grand frère ». La présence notée quelquefois de Habib Sy, ministre directeur de cabinet du président de la République, lors des rencontres entre Wade et Idy, n’est pas fortuite…
Entre la réélection de Wade en 2007 aux premières déclarations publiques d’envergure du maire de Thiès, ce dernier devait d’abord se dégager de la souricière où l’avaient pris les rets de la logique successorale qui s’est accentuée entre temps. Le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye bénéficie de la confiance du chef à la tête d’un gouvernement très marqué par l’influence de la « Génération du concret » et les présences remarquées de Cheikh Tidiane Sy à La Justice, Bécaye Diop à l’Intérieur, Me Madické Niang aux Affaires Etrangères et le recordman de longévité, Abdoulaye Diop, ministre de l’Economie et des Finances. Il y a du monde autour de Me Wade, mais peu de présidentiables. Alors que Idy…
Ce sera difficile. Les adversaires sont nombreux et puissants. Il y a surtout que le maire de Thiès ne se prononce pas sur les questions de fond. Sur les débats nationaux, il brille par son mutisme. En son absence, Wade a réorganisé son état-major et loin est le temps où Idrissa Seck avait l’oreille de « maître ». Quand il était « le number two », faisait et défaisait, le dauphin de fait, entre 2000 et avril 2004. Quand, comme le disent ses détracteurs, il a voulu rapidement faire conjuguer Me Wade au passé-simple avant l’imparfait. Avant d’être exclu du Pds. Idrissa Seck ne peut selon toute vraisemblance pas se résoudre à l’idée que sur les dix ans de présidence de Wade, il en aura finalement passé plus de la moitié en marge du « vrai » pouvoir.
Après avoir réintégré les instances du Pds, mis en veilleuse « Rewmi », son courant politique, et repris langue avec le président de la République, paradoxalement, il reste immobile dans l’espace politique. Il a fait le choix de ne pas rompre –au contraire de l’ancien Premier ministre Macky Sall- avec le Pds ; mieux, les carences de la « Génération du concret », l’apport de sang neuf dans l’opposition avec le portail ouvert par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, la multiplication de mouvements « apolitiques » mais tendus vers la fin du régime « sopiste », et surtout le projet de dévolution monarchique du pouvoir en faveur du fils du président de la République, lui ont ouvert un boulevard.
« Naturellement, j’observe les mêmes souffrances, les mêmes récriminations », expliquait le maire de Thiès. Il veut rassurer. Se rassurer lui-même ? « Rien de tout cela ne m’échappe, mais à chaque chose son temps. Naturellement, toutes ces observations me sont insupportables et je les ai entendues. » Il est manifeste qu’il a le temps contre lui. Durant des mois, la question du poste à attribuer à l’ancien Premier ministre a fait achopper la concrétisation des retrouvailles entre les deux hommes. Le président Wade a introduit le poste de vice-président dans l’organigramme institutionnel. Pour Idrissa Seck. C’est une possibilité mais cela signifierait que Karim Wade aura perdu.