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Wasis Diop sert Paa’bi et sa cour : Voyage dans le monde de Joe Ouakam

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Faire découvrir Joe Ouakam au grand public, tel est l’exercice auquel s’est livré vendredi dernier le chanteur Wasis Diop. Sa conviction est que la résidence de cet incompris est le plus grand art contemporain qu’il fallait célébrer au cours du Dak’Art 2010 en présence du maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall. Par Birame FAYE

A ceux qui disent qu’il y a à manger et à boire dans les ordures, Joe Ouakam rétorque qu’il y a de quoi nourrir l’intellect. Et il le prouve dans sa propre cour. Une girafe se charge de l’accueil. Mais auparavant, à pas de caméléon, on peut se délecter d’une série de tableaux accrochés le long du couloir d’entrée. Un décor qui n’a pas manqué d’émouvoir le maire de Dakar. Ce dernier entretient un commerce difficile avec ce maison-dépotoir, un jardin de déchets. Le jardinier, en l’occurrence le locataire et propriétaire, abat ce travail de rat, de fourmi depuis 40 ans, dit-il, au cœur de Dakar-Plateau. Des tas de bois morts, des boulettes métalliques, des bouteilles, tous les échantillons de déchets solides sont représentés dans la cour de Joe.
Le maire marque brusquement un arrêt dès qu’il franchit la porte. Il s’offre une vue panoramique de l’exposition, comme si c’était un univers bouleversant. Morceaux de tissus, des cornes, des peaux d’animaux, des restes métalliques tout en rouille animent le désordre. Au fur et à mesure que les pas de tortue du visiteur s’enchaînent sur les feuilles sèches du fromager flamboyant, l’ombre s’impose dans toute la cour. Le vent frisquet qui souffle ne peut amoindrir le choc.
Tout semble ridicule, mais rien d’anonyme, prévient le peintre Vieux Diba. Une toile de paperasses déchiquetées, poussiéreuses, abîmées qui méritent un enfouissement avant qu’elles ne se décomposent. A force de marcher sur les feuilles sèches qui jonchent le sol, on risque de rater une cité excentrée à l’Est : le cimetière abandonné. Des croix du Christ coiffent des tombeaux. On s’y rapproche en se courbant. L’araignée a fini de tisser sa toile sur laquelle est scotché tout ce que la municipalité paie cher aux agents du nettoiement pour la transporter à Mbeubeuss comme déchets solides. Joe colle avec fierté l’étiquette de l’insalubrité. Des statues, des tableaux qui s’adressent à l’humanité dans l’abstrait.
Joe, tout joyeux d’accueillir ses hôtes vendredi dernier au cours du vernissage, est-il instrumentalisé par des êtres invisibles ? Sinon comment un être conscient peut-il collectionner dans son antre familial les rejets de l’action humaine. Joe Ouakam piétine les dogmes socio-religieux qui gouvernent la société. Le déviant méprise le progrès humain. Qui dirait, une grotte, un bois sacralisé, une caverne, un village gouverné par un être invisible pour qui Joe ne serait qu’un simple serf corvéable. Même le bois mort est stocké. Une statue veille sur le tas. Des journaux, des revues, des monographies, tous poussiéreux, affectés même par des brûlures, peut agacer des archivistes. Le contraste est à la limite inexprimable. Joe replonge ses hôtes dans l’arrière cour d’une culture des apparences à travers le réel. Le peintre Vieux Diba y voit une interpellation. Cet être complexe doté de la faculté de créer, agissant inconsciemment dans la folie. L’homo faber Joe a fini de construire un temple, un musée de toutes les inventions de l’homme. Il suffit de se comporter en pèlerin pour remonter la source jusqu’au paléolithique où l’homme vivait de chasse et d’une époque contemporaine en miniature. A chaque époque, Joe archive un pan de la bâtisse de l’homme.

UNE ECOLE DE LA VIE
Aux apprentis démocrates, Joe Ouakam propose la démocratie naturelle qui s’exerce dans ce pays de liberté. Le chef et les citoyens s’y épanouissent. Joe a fondé son Etat dans la capitale, dans sa cour au cœur de Dakar. Il en est le chef, le décideur de la nature du peuple qui veut gouverner et du type d’habitat qui vaille être promu. La République des «fous» qui n’ont qu’une seule vocation : préservation d’une civilisation humaine qui s’appuie sur le triptique : la mort, la vie, l’héritage par voie de conséquence, la culture.
La cour de Joe devient ainsi le plus grand art contemporain, décrète le chanteur Wasis Diop. Il a convié vendredi dernier les citoyens des Etats voisins à découvrir l’œuvre d’un géant «incompris» par la majorité des Sénégalais.
Du comportement de ce dernier, transparaît les normes et les déviances d’une société. Joe encourage l’expression de la nature humaine dans toutes ses facettes car ce qui l’intéresse c’est l’homme, cet être culturel qui avance en art et en science et qui se corrompt. Et Joe se réfugie comme Rousseau dans la société primitive. On oserait mettre en doute la conscience de Joe, tellement son état promeut de la régression humaine. Est-il un déviant ? Un voyage au-delà des apparences permet de légiférer. En tout cas, nul ne peut le condamner d’avoir pu instaurer un état stable, d’un équilibre écologique entretenu. Ceci, dans un monde où la paix écologique agonise, où la sécurité sociale se raréfie. Joe résume le sentiment le mieux partagé parmi les visiteurs : «La paix.» Mais à quel prix ? Celui du désintéressement et d’une sagesse qui fait confiance au temps et à la faculté créatrice de l’homme. Qui aurait cru que la dégradation continue du cadre de vie épargnerait ce minuscule état de Joe. Mais enfin, destruction et conservation sont deux qualités contradictoires de l’homme ! Il secoue le consensus social lequel cache l’essentiel de ses pages sales, pour faire valoir une estime réciproque.
Joe fait jaillir à la surface les dégouts d’animal culturel soucieux de préserver un lien entre la nature, les ancêtres, mais aussi capable de s’offrir un futur radieux. Dans le jardin, le visiteur peut par ailleurs s’imaginer l’au-delà, jour où toutes ses réalisations négatives comme positives devront contrebalancer. Dans une telle circonstance qui s’annonce éprouvante, l’homme oubliera le soleil encore moins la pluie. Peu importe leur nature, tous ses actes s’exposeront devant le tribunal de Dieu.
Par ailleurs, l’entreprise de Joe ressuscite l’écosystème primaire, un équilibre naturel dans son intimité. La cour de Joe s’est transformée en agora pour les acteurs culturels, citoyens de la République des fous, terreau de l’anti-conformisme unanime d’un maître solitaire aux antipodes de l’actualité vestimentaire. Il crée ainsi «une entreprise qui n’eût jamais d’exemple». Le béret de tirailleur est indéboulonnable. «Vous êtes particulier, mais je savais que je trouverai ici des choses plus impressionnantes», avoue un architecte européen. Son étonnement, c’est cette résistance aux mutations engendrées par l’urbanisation d’une capitale des plus anciennes d’Afrique.
A défaut de décrypter le discours lancé dans cette sphère qui vit d’une ambiance acoustique, les visiteurs se contentent de suivre avec délectation une pellicule. Celle-ci révèle l’intellectuel multidimensionnel, armé à la fois d’une science ésotérique et de techniques empiriques qui lui permettent de bâtir pour l’éternité.

lequotidien.sn

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