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Welcome dans une démocratie africaine ordinaire, Mr Blinken (Par Mamadou Oumar Ndiaye)

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Pour peu, le secrétaire d’Etat — c’est-à-dire ministre des Affaires étrangères — américain, Antony Blinken, qui arrive dans notre pays ce weekend, aurait trouvé en prison le principal candidat de l’opposition pour la mairie de la capitale !

Si ça ne tenait qu’à certains, en effet, Barthélémy Dias, interpelé brièvement mercredi dernier par la police dans le territoire de la commune dont il est l’édile, serait emprisonné de longs mois. En tout cas jusqu’après les élections du 23 janvier prochain. On lui reprochait d’avoir organisé une procession, donc un rassemblement public non autorisé ! Quelques jours auparavant, pourtant, le candidat du régime au pouvoir à cette même mairie de Dakar avait organisé tranquillement sa caravane — avec sonorisation s’il vous plait ! — à travers les quartiers du département de Dakar. La police avait regardé ailleurs…

Une semaine avant son interpellation de mercredi dernier, le même Barthélémy Dias et d’autres leaders de l’opposition comme Ousmane Sonko et Malick Gackou avaient été interpelés (encore !) par la police après avoir été gazés et brutalisés. Là aussi sous le même prétexte de rassemblement non autorisé sur la voie publique. Et qu’importe si, parmi ces trois dirigeants malmenés et jetés dans un panier à salade après avoir été pourchassés jusque dans le magasin d’un commerçant, l’un est un député du peuple. M. Antony Blinken, qui effectue en ce moment une visite de cinq jours sur le continent, a donc tenu à s’arrêter à Dakar, après Nairobi et Abuja. Au Kenya et au Nigeria, il devait aborder divers thèmes dont la lutte contre la pandémie de coronavirus, l’économie, le réchauffement climatique, les conflits régionaux — notamment la guerre en Ethiopie entre l’Armée et les rebelles du front populaire de Libération du Tigré, la lutte contre le terrorisme islamique (en particulier Boko Haram).

Le choix du Sénégal, lui, s’explique par la stabilité légendaire de notre pays et aussi sa démocratie exemplaire. Ça tombe bien ! Car, en plus de Barthélémy Dias, désormais interdit de se promener dans les artères de la ville dont il aspire à prendre les destinées et qui peut se retrouver au gnouf à tout moment, M. Antony Blinken aurait encore pu trouver en prison le candidat arrivé troisième aux élections locales de février 2019 ! Lequel, sous la grotesque accusation de « viol », aurait pu lui aussi être emprisonné. N’eut été une forte mobilisation populaire, M. Ousmane Sonko, puisque c’est lui, serait donc en ce moment à la prison de Rebeuss. Et il n’aurait été que la troisième figure emblématique de l’opposition à avoir été emprisonnée après les embastillements de Karim Wade pour « enrichissement illicite » et de l’ancien maire de Dakar — révoqué par le pouvoir en place — pour l’affaire de la caisse d’avance de cette institution municipale. Car la justice, dans ce pays présenté comme modèle démocratique et que M. Blinken vint honorer de sa présence, ne badine pas avec l’opposition qui tire pourtant son existence de la Constitution tout en étant une composante essentielle de la démocratie où qu’elle soit.

Un ministre de l’intérieur spécialiste de l’exclusion !

Si M. Blinken tendait l’oreille ou se renseignait un peu — on espère que l’ambassade américaine l’a suffisamment briefé —, il saurait qu’en ce moment même les préfets et sous-préfets du pays, ont été instruits par le ministre de l’Intérieur — un magistrat pourtant ! — de se pourvoir en cassation contre les décisions des Cours d’appel du pays ordonnant l’acceptation des listes de l’opposition dans certaines localités où ces mêmes préfets et sous-préfets les avaient recalées pour des motifs franchement spécieux.

Pour dire le moins… Plutôt donc que de veiller à ce que les prochaines élections locales soient les plus inclusives possibles, ce qui passe par la possibilité donnée aux maximum de listes respectant à peu près les critères requis, le ministère de l’Intérieur s’évertue à exclure un peu partout les listes de l’opposition alors que, partout à travers le territoire national, les listes de la majorité présidentielle, elles, sont accueillies à bras ouverts et avalisées les yeux fermés.

Et dans cette démocratie africaine exemplaire que vient saluer M. Blinken, on a vu un ministre de l’Intérieur, magistrat de surcroît, critiquer ouvertement les décisions rendues par les magistrats des cours d’appel, faisant peu de cas de la séparation des pouvoirs et semblant régler des comptes avec ses collègues par administration territoriale interposée. Or tout le monde sait qu’en Afrique, beaucoup de conflits ont été provoqués par des exclusions en matière électorale.

Hélas, des exclusions de listes d’opposition, c’est ce que le ministre de l’Intérieur Antony, pardon, Antoine Félix Diom est en train de faire allègrement en plus d’envoyer ses policiers traquer et mâter les opposants.

De tout cela, on espère que le bon samaritain Antony Blinken en touchera mot à son interlocuteur Macky Sall. Le reste, ce sont des péchés véniels de la démocratie sénégalaise à savoir les interdictions quasi systématiques de manifestations, l’interdiction absolue d’accéder à l’audiovisuel public devenu pire que la Pravda et la Voix de Moscou en matière de propagande, le débauchage systématique de l’opposition à travers la généralisation du phénomène de la transhumance, le démantèlement des groupes parlementaires de l’opposition ou, du moins, la création de conditions telles qu’ils ne puissent pas se constituer, le refus jusqu’à présent d’instaurer un statut de l’opposition, l’absence de financement public des partis politiques, l’accaparement de toutes les directions de sociétés nationales et de toutes les fonctions civiles par le parti-Etat au pouvoir…

Autant de choses censées réduire l’opposition à sa plus simple expression. N’en jetons plus ! Et welcome dans une démocratie africaine modèle, Mr Blinken !

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