Le Problème de l’Ecole Sénégalaise : Un manque de distinction entre ‘instruire’ et ‘former’

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Depuis les temps immémoriaux et tout autour du monde, je suis convaincu que dans toutes les sociétés, les parents ont toujours voulu que leurs enfants aient les mêmes valeurs qu’eux. Dans son livre intitulé « Sociologie dans un monde en mutation », David Kornblum, un Professeur à la City University of New York, définit cela comme étant « le processus par lequel une société transmet ses connaissances, ses valeurs, ses normes et ses idéologies » (Kornblum, p520). En un mot, « ‘éduquer  » aurait du être le moyen de transmission d’une quelconque « culture » à la prochaine génération afin de préparer les jeunes pour les rôles d’adultes. Mais les choses n’ont jamais été aussi simples, et le problème avec le sens que nous donnons à « l’éducation » est probablement intervenu avec l’introduction de la notion d’ « ‘alphabétisation ». L’alphabétisation qui est l’aptitude à lire et à écrire, définira dès lors les disciplines que nous aurons à apprendre dans une institution appelée « ‘école » ; si toutes fois nous y avions été admis, tout en se chargeant de mesurer avec précision nos compétences dans ces matières. La confusion ici c’est que d’un pays à un autre, et dans toutes les sociétés dites modernes, être «éduqué» signifiera seulement être «lettré», et rien d’autre.
En le désignant comme étant un « concept du bourrage », le pédagogue d’origine Brésilienne Paulo Freire utilisa une métaphore pour définir son approche contemporaine de l’école et de l’éducation dans presque tous les pays en voie de développement. Ni un conte de fée et sûrement pas une simple parabole, l’œuvre de Freire nous décrit les contours d’un système complexe et grave où il affirme que de toutes les façons « les intérêts des oppresseurs sont perpétués en changeant la conscience des opprimés et non la situation qui les opprime ». En effet, après lecture l’on se rend compte que Freire nous dépeint les différents angles d’un seul message : En dépit de toutes les évidences, nous ignorons toujours qu’« éduquer, est un acte politique ». Aujourd’hui, au Sénégal en tous cas, nous nous rendons compte certes tardivement, des résultats de cette sous- estimation. L’héritage colonial «subordonnée» à un zèle frénétique où la légitimité sera définie à partir du point de vue du parti au pouvoir perpétue un projet politique limpide de nos élites qui n’est qu’un subterfuge « pour préserver une situation profitable ».
Les gouvernements successifs ont toujours trouvé dans le concept de l’« éducation par le bourrage», leur meilleur outil pour maintenir l’inégalité des chances pour la mobilité sociale. Ils nous ont -et continuent- de nous faire croire que nous sommes ceux qui bénéficient de leur « paternalisme » et qu’éduquer nos enfants est juste une action sociale de leur part. Cependant, au delà de la perte de souveraineté de l’Etat sur l’orientation scolaire, la plus grosse bourde depuis les indépendances se résout en une faute répétée de programmation budgétaire. L’on n’a pas mis assez d’argent la où il fallait, et l’on a continué de faire du paternalisme à outrance la où il ne fallait pas.
Les rudiments des sciences économiques nous enseignent qu’à quelques exceptions près, tous les besoins ont un coût. Par contre, l’on distingue les besoins publics des besoins privés. Les gouvernements sont tenus d’assurer la satisfaction des besoins publics au bénéfice des citoyens. Quant à ceux-ci, ils doivent s’occuper de satisfaire leurs besoins privés jusqu’à concurrence de leurs capacités d’achat. En général l’utilisation d’un bien public par une ou plusieurs personnes doit être gratuite. De ce fait, aucun citoyen ne pourra être exclu du moment qu’il ou elle ne disposerait pas du prix à payer. Par exemple, une armée nationale assure la sécurité pour toutes les personnes à l’intérieure des frontières d’un pays sans qu’on leurs demande de payer un prix « direct ». De même, il revient a n’importe qu’elle municipalité d’éclairer les rues de la ville pour que ses habitants puissent circuler sereinement la nuit sans débourser aucun franc de leurs poches pour payer la facture. Dans les deux cas, puisque le bien est public, il n’y a aucune rivalité pour en bénéficier encore moins ne peut-on exclure quelqu’un du service rendu. Le risque ici en termes de finance publique c’est ce que l’on dénomme « the moral hazard » qui est une tendance commune à abuser du service. Différemment, si vous voulez du pain, il vous faudra aller l’acheter à la boulangerie du coin. Dans la même catégorie une soirée avec Youssou Ndour vous coutera peut-être le prix pour trois repas. Ici, il y a une rivalité car le pain à la boulangerie et les places pour le concert de You sont en quantité limitée. Les premiers arrivants vont être servis et lorsqu’il n’y en aura plus les derniers devront attendre une prochaine fois. Mais en plus dans ce contexte, c’est que toutes les personnes sans argent sont automatiquement exclues de la transaction. C’est cela la loi primaire du marché.
Depuis l’invention de l’institution « école », éduquer a toujours généré un coût. Le problème des décideurs publics a toujours été de savoir qui doit supporter ce coût. Les théoriciens évoquèrent que l’enseignement « est une puissante force de socialisation, car il prépare les futurs citoyens à prendre des décisions éclairées et cohérentes pour une plus grande participation dans une société ordonnée et tolérante de liberté d’expression « . A partir de ce constat, éduquer un enfant devient un bien public puisqu’il est bénéfique pour la société. D’ailleurs, aussi pro-capitaliste qu’il avait été, Milton Friedman ne s’y trompe pas en soulignant que « l’intervention gouvernementale dans l’éducation est rationnelle en ce sens qu’il annihile ‘l’effet du voisinage’ ». En lui inculquant un ensemble de certaines valeurs communes, l’éducation de mon enfant, (sans que vous ne le sachiez) contribuera certainement à votre bien être dans une société stable et démocratique. En opposition, beaucoup d’analystes indiquent qu’ à partir d’un certain niveau, le processus d’éducation perd son « utilité publique » et devient un outil de promotion sociale individuelle. Evidemment, puisque dans le long terme le processus augmente les capacités et/ ou compétences requises qui permettent à l’individu d’avoir une vie professionnelle qui améliorera son bien-être, nous pouvons dire qu’il bénéficie directement à ceux qui vont accéder a ce stade du processus. Dans ce cas, vu sous cet angle, l’éducation est un véritable besoin privé qui a une rivalité et par conséquent renfermerait la caractéristique d’exclusion. A ce stade, l’existence de« l’effet de voisinage » ne se justifiant plus, l’on ne peut plus prétendre à une ‘externalité ‘ positive. Forcément donc, une autre approche devrait être beaucoup plus efficace en termes de prise en charge des coûts.
Si d’une perspective de socialisation, « éduquer » passe à un outil formel pour fournir les moyens de gagner sa vie, il devient légitime de se poser la question de savoir s’il est encore rationnel qu’un gouvernement continue de s’y impliquer ? En termes de « Gestion des Finance Publiques » nous pensons qu’il ne l’est plus. Mais les pays qui nous aident se gardent bien de nous le dire. Par surcroit, ils nous ont aussi pris le contrôle de nos écoles. Alors que chez eux, ils ont tous fait une distinction entre « instruire » et « former ». Chez nous, ils nous imposent de ne s’occuper seulement qu’à faire dans le nombre pour leur fournir les statistiques dont ils ont besoin. Dans cette perspective, nous ne distinguons pas la différence entre « instruire » et « former ». Instruire donne les bases qui permettront à l’individu de pouvoir vivre en harmonie avec les normes que la société s’est fixé. Cela est du ressort des agences gouvernementales pour le bien de la société. Toutes fois, dans tous les pays qui l’ont compris, cette implication a une limite ; elle s’arrête normalement au niveau du secondaire. En contradiction, former équipe l’individu avec les capacités professionnelles nécessaires pour gagner sa vie ; ceci est du ressort du marché. Même si un Etat continue à subventionner les Universités dans son system éducatif, accéder à ces universités, a un prix que les étudiants doivent supporter car cela aussi leur imposera la motivation pour réussir, rejoindre la vie active et payer ses dettes. Au Sénégal, comme partout en Afrique ; le gouvernement met d’énormes sommes – l’on ne le dit pas assez- dans le peu d’écoles supérieures du pays sans que ceux qui y ont accès soient tenus de payer quoi que ce soit. Puisque l’on a peur que ceux-ci rouspètent à longueur d’année, on les accommode en grevant le maigre budget dont la majorité silencieuse d’en bas a plus besoin afin qu’on la fournisse une bonne instruction de base qui l’aidera à mieux s’insérer dans la société.
L’incongruité ici c’est qu’en faisant cela, l’on ne réussit ni à museler les étudiants du supérieur et leur agitation perpétuelle perturbe tout le reste du circuit scolaire. Dans ce contexte, les enfants des gens qui ont le pouvoir s’en sortent mieux parce qu’ils peuvent bénéficier de bourses pour sortir du pays et aller se payer des études quelque part dans ces pays qui contrôlent ce que nous devons faire et ce que nous ne devons pas faire. Le plus effarant c’est que l’on utilise l’argent qu’ils nous ont prêté pour financer leurs Universités.

Antoine Faye, MIA
Degree Candidate – Master in International Affairs (2012)
School of International and Public Affairs (SIPA)
Columbia University in the City of New York, NY-USA – [email protected]

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