Suite à la saisie, au Nigeria, du bateau d’armes destinées à la Gambie : L’axe Dakar-Téhéran se détériore

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Le torchon brûle entre Dakar et Téhéran. La visite du ministre iranien des Affaires étrangères, arrivé dimanche soir à Dakar, n’a pas permis de dissiper les malentendus. Le Sénégal envisage de revoir son orientation diplomatique avec la République des «mollahs». Le Sénégal est bien fâché contre l’Iran. Le ministre des Affaires étrangères Madické Niang et le Président Abdoulaye Wade, qui l’a reçu à l’Hôtel Méridien Président, l’ont, tour à tour, fermement fait savoir, hier soir, à Manouchehr Mottaki, ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Iran en visite pour quelques heures à Dakar. Le chef de la diplomatie iranienne était venu pour faire amende honorable auprès des autorités sénégalaises, suite à la découverte le 27 octobre dernier, d’une cargaison d’armes de guerre par le Nigeria. La cargaison était destinée à l’adresse personnelle du Président gambien Yahya Jammeh à son village natal de Kanilaye. Les armes étaient supposées être destinées au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), en rébellion armée au Sud du Sénégal depuis plus de vingt ans.

Les armes qui provenaient d’Iran étaient en transit au Nigeria, embarquées dans un navire censé transporter des matériaux de construction. Les autorités douanières du Nigeria ont découvert le pot aux roses après un contrôle de routine. Selon certaines indiscrétions, ce sont les services de renseignements américains qui avaient alerté leurs homologues nigérians du chargement suspect du navire provenant d’un pays frappé d’un embargo militaire décrété par les Nations unies. Les deux hommes d’affaires iraniens, qui étaient à la base du convoiement des armes, ont trouvé refuge auprès de l’ambassade de leur pays à Abuja.

TEHERAN FAIT UN BEBE DANS LE DOS  DE DAKAR
Cette affaire d’armes de guerre saisies au Nigeria a fait grand bruit, car le Nigeria avait immédiatement saisi le Conseil de sécurité de l’Onu de la question. De même, le Sénégal a manifesté sa préoccupation que les armes pourraient être destinées au Mfdc. Ainsi, le Sénégal a saisi les Etats-Unis qui président actuellement le Conseil de sécurité de l’Onu. D’ailleurs, au cours d’une audience que le Président Wade a accordée, il y a quelques semaines, à Mme Marcia Bernicat pour lui remettre une lettre du Sénégal destinée aux autorités américaines sur la question, l’ambassadrice des Etats-Unis à Dakar en a profité pour dire clairement au chef de l’Etat du Sénégal que les Etats-Unis ont assez d’informations qui prouvent la responsabilité de l’Iran et de la Gambie dans cette affaire.

Qu’à cela ne tienne, Manouchehr Mottaki a, la main sur le cœur, voulu convaincre les autorités sénégalaises que l’Iran ne leur a pas fait un bébé dans le dos. L’explication semble n’avoir pas convaincu le Président Wade. Le chef de l’Etat sénégalais éprouve le sentiment d’avoir été trahi par un «pays ami». Un diplomate sénégalais explique : «C’est désolant que l’Iran nous fasse un coup pareil avec tout ce que le Sénégal fait pour ce pays. Notre engagement aux côtés de l’Iran nous a valu tellement d’inimités et d’incompréhension à travers le monde !» C’est dire que les explications fournies par le ministre Mottaki laissent les autorités sénégalaises sur leur faim.

«Si le gouvernement iranien n’a rien à voir avec cette affaire et que ce serait le fait de simples hommes d’affaires agissant à titre strictement privé, comme le ministre Mottaki l’a dit, pourquoi l’Iran leur assure t-il la protection diplomatique au Nigeria», s’interroge un haut responsable sénégalais. Notre interlocuteur de poursuivre : «Tout le monde connaît la nature totalitaire du régime du Président Ahmedinejad. L’Iran est un Etat policier. Il n’est pas possible qu’une telle transaction portant sur des armes de guerre et pour une valeur aussi importante estimée à plus de vingt millions de dollars (Ndlr : soit 10 milliards de francs Cfa) se déroule au nez et à la barbe du gouvernement iranien».

De toute façon, cette affaire ne manquera pas d’avoir des conséquences sur l’avenir des relations entre le Sénégal et l’Iran. «Cela nous permettra de procéder à une réorientation de notre diplomatie avec l’Iran. Notre amitié avec l’Iran nous coûte cher alors qu’en retour ce pays ne nous apporte pas grand-chose. A part l’usine de montage de véhicules automobiles Seniran, – encore que sur ce dossier l’Iran n’a pas fait tout ce qu’il avait promis – et la ligne électrique Tobène-Touba, l’Iran n’a rien fait d’autre. Ahmedinejad nous avait promis une usine pétrochimique et des cargaisons de pétrole. Nous n’avons rien vu de tout cela», fulmine un proche du Président Wade.

Comme pour montrer aux Iraniens leur courroux, les autorités sénégalaises ont traîné les pieds avant d’accepter de recevoir le ministre Motakki, qui se rend ce matin à Thiès pour visiter l’usine de montage de véhicules de la société Seniran auto. A deux reprises, le Sénégal a invoqué des contraintes de calendrier pour différer les demandes d’audience formulées par l’Iran. Du coup, Me Madické Niang a aussi annulé un voyage qui était préalablement prévu à Téhéran.
La rupture de ses relations diplomatiques avec l’Iran, décidée de façon unilatérale par la Gambie, suite à la découverte de la cargaison d’armes ne semble pas tromper les diplomates sénégalais. «Cela ne trompe personne. En diplomatie, de pareils jeux sont parfois de mise», tranchent des autorités sénégalaises.

LES GROSSES FRAYEURS DE L’ARMEE SENEGALAISE
Du côté des autorités militaires sénégalaises, on ne voudrait pas aussi badiner avec cette affaire. Un officier de la Sécurité militaire renseigne que l’Onu avait dépêché des experts militaires au Nigeria, qui ont examiné la cargaison et ont pu établir avec précision l’arsenal de guerre. Ainsi, les experts ont trouvé des mortiers, des lances roquettes, des armes de guerre individuelles et des batteries anti-aériennes. «Si de telles armes tombaient entre les mains du Mfdc, on ne peut s’imaginer les dégâts que cela provoquerait pour l’Armée sénégalaise», persiffle cet officier. En effet, poursuit-il : «Les rebelles n’ont pas d’armes anti-aériennes et de telles armes leur permettent d’abattre notre Rallye guerrier ainsi que nos hélicoptères de combats que nous avait donnés le Maroc. Ces appareils permettent de localiser les mouvements des bandes rebelles et de leur infliger de lourdes pertes.»

Le Sénégal n’a pas la certitude que les armes saisies étaient destinées au Mfdc. Les armes pourraient alimenter un autre trafic dans la sous-région. Mais, les craintes sont d’autant plus fondées que la Gambie ne coopère pas avec le Sénégal pour la traque des rebelles qui se réfugient dans son territoire. «Il existe un accord militaire qui donne au Sénégal le droit de poursuite jusqu’à une profondeur de vingt kilomètres en territoire gambien, mais cette disposition ne peut opérer à cause de l’opposition de la Gambie. Une fois nous avions voulu la mettre en œuvre mais l’Armée gambienne s’était mise dans une position de guerre contre le Sénégal. Ainsi, les rebelles qui attaquent le Sénégal se trouvent un refuge en Gambie». Il s’y ajoute que les bonnes dispositions de la Gambie à l’endroit de certains responsables du maquis casamançais renforcent les craintes.
Les autorités sénégalaises veulent croire que certains rebelles du Mfdc voyagent avec des passeports diplomatiques gambiens sans compter que l’Armée sénégalaise a eu, au niveau de certaines positions abandonnées par les rebelles, à mettre la main sur des cartons d’armes provenant de la Libye et qui auraient bien transité par la Gambie

lequotidien.sn

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