Albert Bourgi sur la candidature de Wade : «C’est juridiquement illégal»

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Accroché en marge de l’ouverture du colloque organisé, mercredi dernier par le Parti socialiste dans le cadre du Forum social mondial, Albert Bourgi professeur agrégé de Droit, s’est prononcé sur la candidature controversée du Président Wade. Selon lui, cette candidature est «juridiquement illégale, politiquement et moralement malvenue». Vous êtes venu participer au Forum social mondial. Pensez-vous que cette rencontre peut changer le cours des choses ?
Changer à court terme, je ne sais pas. A long terme nécessairement. N’oubliez pas que ce forum s’inscrit dans une dynamique qui a été enclenchée durant une dizaine d’années. Que Dakar reçoive le Forum est déjà un indice de l’intérêt que ceux qu’on appelle les Alter?mon?dialistes portent au continent africain. La réunion de Dakar est importante. Elle n’est pas plus importante, non pas dans un court terme mais dans le futur immédiat.
On a constaté que les grandes puissances prennent des engagements qu’elles peinent à respecter. Qu’est-ce qui explique cela ?
Les grandes puissances ont des intérêts communs ; elles défendent leur position hégémonique et dominante. Il s’agit d’un combat permanent. Il s’agit de remettre en cause un certain nombre de choses. Je prends un seul exemple des institutions internationales : la part congrue qui est réservée à l’Afrique et aux pays en développement par rapport aux grandes puissances qui, à elles seules – voire même les Etats-Unis dans le Fond monétaire international -, ont de fait un droit de véto. Un droit de véto qui empêche toute prise de décisions majeures au sein de ce Fonds monétaire internationale et au sein de toutes les institutions internationales ; c’est vrai qu’il y a un blocage. Ceci étant, le Forum de Dakar et ceux qui l’ont précédé constituent un élément majeur, un moyen de pression des opinions publiques et des sociétés civiles par rapport aux pouvoirs politiques, y compris les grandes puissances. Aujourd’hui, il y a un nouveau mode de communication entre le Nord et le Sud qui ne passe plus par les Etats, mais par les opinions publiques nationale et internationale, par les médias internationaux et les moyens de communication alternatifs : Internet, Twitter. On ignore, on minimise souvent les moyens de communication dont dispose l’opinion publique internationale, alors que celle-ci se façonne au fil des rencontres comme le Forum social mondial.
Un vent de changement souffle dans les pays du Mahgreb notamment en Tunisie et en Egypte. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Si on veut faire le lien avec ce qu’on vient de dire, on peut dire que c’est la société civile tunisienne qui s’est révoltée en dehors des partis politiques organisés, même si beaucoup d’entre eux n’étaient pas organisés, c’est vrai. La contestation est passée par Internet, le numérique ; elle s’est faite sur la base des réseaux sociaux alternatifs. C’est ce que m’inspire la révolution en Tunisie et en Egypte qui ira jusqu’à son terme et qui conduira à la disparition politique de Moubarack et de son régime. Nous sommes dans une ère où la quête de démocratie est plus forte que la résistance constituée par l’Etat, y compris les Etats dont la résistance repose sur les arsenaux répressifs que constituent les policiers et l’Armée.
Pensez-vous que ce vent de changement peut souffler sur l’Afrique subsaharienne, notamment au Sénégal où l’on parle de plus en plus de dévolution monarchique ?
Ce vent de démocratie souffle extrêmement fort. Evidement, cela nous concerne ici au Sénégal. Sauf qu’au Sénégal, nous avons eu des batailles antérieures, et il y en aura d’autres. La dévolution monarchique du pouvoir ; c’est une hérésie. S’il y a une chose qui n’arrivera pas au Sénégal parce que la résistance sera réelle, peut-être qu’on ne la sent pas aujourd’hui, c’est véritablement qu’un père puisse être succédé par son fils. Cela me paraît totalement suranné, surréaliste et monstrueusement ravageur.
Il y a aussi la polémique autour d’un 3e mandat du Président Wade. Ses partisans envisagent mê?me de faire voter une loi in?terprétative…
(Il coupe). Ecoutez, je suis professeur de Droit. Je suis agrégé de Droit. Franchement la candidature de Abdoulaye Wade est illégale. La Constitution, avant qu’elle ne soit modifiée en 2001, parlait de deux mandats. Il y a la durée du mandat qui changeait. Cela a été modifié en 2001. C’est-à-dire que la philosophie, le soubassement juridique restent les mêmes. Le propos juridique d’alors était tout simplement de considérer que les deux mandats courent, en particulier celui qui a été fixé sous l’égide de la première Constitution, celle sous laquelle Wade a été élu en 2000. Donc, juridiquement, la candidature de Abdoulaye Wade est illégale, politiquement et moralement malvenue.
En Côte d’ivoire, la situation n’évolue guère en dépit des efforts diplomatiques. Laurent Gbagbo tient toujours tête à la communauté internationale. Jusqu’où cette crise peut-elle mener ?
Il faut faire confiance aux Ivoiriens quant à leur capacité à dialoguer et à trouver une issue politique. On parle beaucoup de communauté internationale, mais je ne la vois pas. La communauté internationale est une sorte de caméléon qui change de configuration selon les intérêts des grandes puissances. Ne nous leurrons pas. Il faut peut-être revoir les conditions dans lesquelles le verdict des urnes a été livré. Il y a une espèce de pas de charge du processus électoral. Je crois que les Ivoiriens trouveront leur solution. Ce qui est extrêmement important, c’est que l’Union africaine s’est saisie de cette question. Si la Côte d’ivoire est en crise, c’est toute l’Afrique de l’ouest qui est en crise
Selon vous, l’option militaire est-elle une bonne idée ?
C’est une fadaise. On va envoyer des militaires togolais, centrafricains, burkinabé, au nom de la Cedeao, se battre pour la démocratie. D’abord, il faut se battre pour la démocratie chez soi. Soyons sé?rieux. Ce ne sont pas des militaires de Eyadema qui seraient prompts à sauver la démocratie en Côte d’Ivoire.
La solution pourrait-elle être le powersharing à la kenyane ?
Non ! Il y a un dialogue qui va né?cessairement s’installer. Si on regarde de près ce qui s’est passé, il y a une accélération du processus électoral. Je ne dis pas que le Con?seil constitutionnel a raison, ou que la Commission électorale a tort, pas du tout. Mais il y a un phénomène qui ne s’est produit nulle part ail?leurs dans le monde. Un représentant d’un Secrétaire général qui est venu proclamer les résultats d’une élection présidentielle. Il faut peut-être revenir à un certain nombre de fondamentaux pour régler ce litige. C’est un contentieux post-électoral. Dans un contentieux postélectoral, on ne va pas envoyer des militaires fai?re la guère aux Ivoiriens. Géné?ra?le?ment, celui qui triche aux élections, c’est quelqu’un qui ne fait pas 10%. Or, dans cette élection on est à 46, 47%, c’est-à-dire qu’on a deux camps de poids politique égal ; et on ne va pas voir s’affronter deux Côte d’Ivoire. Les pays comme l’Afrique du Sud sont plus aptes à trouver une solution a un contentieux électoral que le Nigéria ou le Burkina Faso.
lequotidien.sn

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