Audition de Mariam Hassan Bagueri, veuve d’un commerçant – « Habré a égorgé mon mari de ses propres mains »

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Les témoins continuent de défiler devant la barre des Chambres africaines extraordinaires (Cae). Hier, la cour a recueilli les témoignages de Mariam Hassan Bagueri. Agée de 20 ans à l’époque, elle a affirmé devant la barre que son mari, un ami de Habré, aurait été égorgé par ce dernier de ses propres mains. Elle a en outre brandi des bordereaux de livraison de dizaines de véhicules destinés à Habré et une facture de 2 milliards que Habré devait à son époux qui serait un richissime commerçant avant sa disparition.

La cour a recueilli hier un témoignage très émouvant. Mariam Hassan Bagueri, 48 ans habitant à Ndjamena, est largement revenue sur les circonstances et les détails de l’arrestation et l’exécution de son mari, Hissein Said Nanga.

Tête soigneusement couverte d’un foulard, Mariam Bagueri parle sur un ton grave. Cette victime indirecte, en état de grossesse avancé au moment des faits, a déclaré devant la barre que son mari était le plus riche commerçant de Ndjamena à l’époque de la répression.

Il vendait des voitures entre Douala au Cameroun et Ndjamena. Sans trop connaître les raisons de l’arrestation de son mari, elle affirme qu’il a été enlevé et arrêté nuitamment par des militaires, le 29 mai 1987 dans la maison de son père où elle vivait avec son époux. Cette arrestation est intervenue dans un contexte de répression tous azimuts contre l’ethnie Hadjarais en représailles à l’entrée en dissidence de Maloum Bada Abbas et de Haroun Gody.

Mariam Bagueri donne les détails de cette folle et longue journée qui a suivi l’enlèvement de son mari. «Des militaires sont venus dans la maison pour procéder à la fouille des chambres. Mais, ils n’ont rien trouvé. Entre-temps, indique la victime, ma maman a dissimulé dans un sac des bijoux, de l’or et des tapis. Il a confié ce sac aux voisins car on ne se sentait pas en sécurité», note-t-elle. 12 jours après, les militaires sont revenus à la maison, accompagnés de leur chef.

«Cette fois-ci, ils ont intimé l’ordre aux membres de notre famille de quitter la maison. Car, ils avaient reçu comme instruction de saisir la maison. J’ai voulu faire de la résistance. Je leur ai dit que la maison appartenait à mon père et que je n’irais nulle part», soutient-elle devant Gberdao Gustave Kam.

Son père lui a dissuadé de faire ça et lui a demandé de quitter la demeure. C’est ainsi, déclare-t-elle, que les militaires sont entrés en possession de la maison, des meubles, d’une Mercedes et d’une somme d’argent fruit de la vente d’un terrain de son mari.

Après cet épisode, la famille Nanga sera hébergée par le père de Mariam Hassan Bagueri, d’après ses dires jusqu’en 1990 coïncidant avec la chute du régime de Hissein Habré. «C’est après qu’on a récupéré notre maison. Mais, je n’ai plus revu mon mari», explique la dame.

Par contre, révèle-t-elle, une terrible rumeur circulait à propos des circonstances de la mort de son mari. «Les gens disaient que c’est Hissein Habré lui-même qui l’a égorgé de ses propres mains.» Pourtant, elle soutient que son mari entretenait des relations amicales avec le Président Habré. Mariam Hassan Bagueri souligne que Habré figurait parmi les invités de la deuxième noce de son mari.

«Et c’est là, dit-elle, que j’ai compris qu’ils étaient vraiment amis.» Elle s’est souvenue d’un don de 100 voitures de marque Toyata que son mari, plus connu sous le nom de Michelin, à cause de sa masse corporelle, avait donné au Président Habré avec du carburant. Pour appuyer son témoignage, elle sort de son sac, sur demande de l’avocate Jacqueline Moudeina de la partie civile, des documents sur lesquels on pouvait lire que des dizaines de véhicules Land-Rover avaient été livrés à la Présidence. Et une facture de 2 milliards de francs que Hissein Habré devrait payer à Hissein Said Nanga.

«Après 30 ans, est-ce que vous savez aujourd’hui les motifs de l’arrestation de votre mari ?», interroge Me Assane Dioma Ndiaye. «Je pense qu’il a été arrêté pour son argent car Michelin était très riche», répond la dame. Malgré cette richesse, Mariam Hassan Bagueri dit qu’elle n’a rien hérité de la fortune de son mari.

«Après la chute de Habré, nous sommes partis à la banque pour récupérer l’argent qu’il avait laissé mais on nous a dit que Habré avait tout pris. Aujourd’hui, je vis avec mes frères qui m’aident et l’enfant que je portais dans mon ventre pendant l’arrestation de mon mari a grandi. Il a pris femme et a des jumeaux», conclut-elle.

DÉPOSITION DES TÉMOINS BABOUBOU GAGOLMA ET ABGOUDJA KHANIS

«Habré a exterminé le Peuple tchadien»

Tous les témoignages indexent Hissein Habré. L’ancien homme fort de Ndjamena est décrit par les témoins comme quelqu’un qui a «exterminé le Peuple tchadien».

Les témoignages se suivent et ressemblent dans le procès de Hissein Habré. Les témoins, qui continuent de défiler devant la barre des Chambres africaines extraordinaires (Cae), depuis l’entame de cette affaire, font porter la responsabilité des massacres à l’ancien chef de l’Etat du Tchad. Baboubou Gagolmo a suivi la cadence de ses prédécesseurs.

Dans sa déposition, ce percepteur d’impôt a imputé aussi au régime de Habré, les massacres commis au Mont Guera en 1987. «Le 16 juin 1987, on nous a fait sortir de la prison. Nous avons été embarqués dans une voiture bâchée. Quand nous sommes arrivés au pied de la Montagne Guera, ils nous ont séparés en deux groupes. Il y avait un groupe de 4 personnes dont je faisais partie et un autre de 16 personnes qui était mis à l’écart à 50 m derrière les collines. Elles ont été exécutées par balle», a-t-il déclaré.

M Gagolmo précise cependant que leur groupe a été ramené en prison après l’exécution de ces 16 détenus. «Et c’est là qu’a commencé le carnage», sert-il.

Le témoin a, en outre, indiqué que les éléments de la Dds, qui l’avaient arrêté le 26 mai 1987 sous prétexte qu’il devait répondre au sous-préfet, procédaient à des exécutions des détenus les mardis et les jeudis après leur interrogatoire. Ils exécutaient, poursuit-il, deux à trois détenus par jour.

Et cela pendant une durée de 6 mois. «Au fil du temps, dit-il, j’ai été isolé dans une cellule. Et quand une mission est arrivée, les autres codétenus étaient libérés et moi je suis resté en prison encore pendant 3 mois avant de recouvrer la liberté en février 1987.»

Le calvaire que les agents de la Dds lui ont fait subir était loin d’être terminé. En plus des «châtiments corporels» qu’on lui a infligés, le percepteur d’impôt a été aussi dépouillé de tous ses biens. «Ils m’ont pris 37 bœufs, 32 sacs de gomme arabique, une montre et une somme de 600 000 francs après avoir obligé mon épouse à leur donner mon chéquier», a-t-il révélé.

Avant lui, Abgoudja Khanis, cultivateur âgé de 55 ans, a témoigné à la barre avoir participé à l’inhumation de 12 cadavres trouvés à la montagne de Mongo. Selon ses déclarations, cette découverte macabre a été faite le lendemain par des gens qui se rendaient au marché.

Ces derniers, dit-il, avaient informé le chef de canton qui les a requis pour l’enterrement. «Nous sommes venus et nous avons creusé un trou pour les enterrer dans une fosse commune. Il y avait la peur. Après l’enterrement, chacun a regagné sa maison», a-t-il précisé en soulignant que parmi les cadavres, certains avaient la tête à moitié fracassée, trois d’entre eux étaient ligotés et ceux qui étaient en uniforme étaient tous des arabes.

Après lui, Mahmet Nour Dadji a fait son témoignage. Ce fils de l’ancien Pdg d’une société nationale a fait l’économie des évènements malheureux que sa famille a vécus. Emu aux larmes, le témoin a déclaré que les agents de la Dds avaient pillé tous leurs biens.

«Ils ont tout ramassé même nos motos et la machine à laver qu’on avait branchée. Ils nous ont demandé de quitter la maison. On était obligés de quitter, de partir dans un quartier au sud. Nous sommes allés louer une maison. On était dix enfants plus notre mère. Nous avons fait un an. Imaginez ce que ma mère a dû subir sans ressources. C’était douloureux. Elle pleurait toujours», dit-il.

ULCÉRÉ PAR LE TÉMOIGNAGE DE MARIAM HASSAN BAGUERI

Mbacké Fall gronde Habré

Jusqu’ici, Habré était ignoré par la cour et le Parquet général des Cae. Hier, le Procureur général Mbacké Fall n’a pas pu se retenir après la déposition de Mariam Hassan Bagueri.

Il a vivement interpellé Hissein Habré. «Il y a des rumeurs qui disent que vous avez décapité de vos mains Hissein Saïd Nanga et que vous avez spolié tous ses biens. Qu’est-ce que vous répondez ?», vocifère Mbacké Fall hors de lui.

Le président Gberdao Gustave Kam intervient : «Monsieur le procureur, il y a une manière de dire ce que vous pensez. Vous êtes en train de poser des questions à la victime», lui rappelle-t-il.

«Oui ! Je sais M. le Président. La tendance est d’oublier l’accusé. Il joue le beau rôle…», râle encore le procureur.

Le Quotidien

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