« Le paysage du ciel me fascine, j’ai toujours rêvé de faire un tour du monde dans un engin spatial ». Ces confidences du président Wade figurent dans sa biographie « Une vie pour l’Afrique », un livre d’entretiens avec (feu) Jean-Marc Kalflèche et Gilles Delafon, publié en 2008. Un riche autoportrait dans lequel le président sénégalais se livre sans tabou.
« En vérité je suis né à Kébémer »
Son rêve de survoler les airs remonte à très longtemps, dans son enfance, lorsqu’il a reçu des cadeaux composés de livres se rapportant à la navigation aérienne. Parmi lesquels, « Guynemer », un ouvrage illustré d’Henry Bordeaux retraçant la vie du héros français de l’aviation. « Aujourd’hui encore, je lis tout ce que je trouve sur l’univers et son corollaire, l’atome », confie le président sénégalais, qui parle de « ces merveilleuses images du ciel que l’on peut voir du hublot d’un avion », des images de sérénité, de tranquillité ou de tourmente et de « tragédie ». Mais rien à voir avec ceux qui voient une tragédie dans son acte de naissance qui le fait naître à Saint-Louis, et non à Kébémer. L’éclairage est apporté dans le chapitre premier intitulé « L’enfant de Kébémer », où le président lève un coin du voile en révélant qu’un des amis de son père résidant dans la capitale d’alors, a déclaré sa naissance à l’état civil de la Ville de Saint-Louis. « Officiellement, comme je l’ai laissé entendre, il est écrit dans tous les documents administratifs que je suis né à Saint-Louis alors qu’en vérité je suis né à Kébémer », a-t-il reconnu à la page 23 du livre.
Et le président d’aborder les relations qu’il a entretenues avec son père, Momar Massamba Wade, « un homme très considéré et respecté de tous ». « Ce n’était pas le genre à rester sans rien faire » précise-t-il. Bien au contraire, c’était quelqu’un de « très intelligent », et bien que n’ayant jamais été à l’école, « il avait appris tout seul à lire et à écrire. A compter aussi ». Ce qui, selon le président, lui a permis de devenir gérant de succursales des grandes maisons de commerces et de tenir sa comptabilité… « Il était connu pour avoir été l’un des premiers Sénégalais à posséder une automobile. La mécanique n’avait pas de secret pour lui », révèle le Président, fier de sa lignée, une « dynastie » qui a régné sur le Waalo-Gandiol au XIIIème siècle. Justement la royauté : un de ses aïeuls, un certain Mbagne Wade, fut le deuxième brak à régner sur le royaume, et (selon le récit de Vincent Monteil), « avait la particularité d’être extrêmement riche, et possédait beaucoup d’or. » Après onze ans d’exercice du pouvoir, peut-on en dire autant pour le président ?
« Ce sont les blancs qui nous ont amenés à associer sein et érotisme »
Abdoulaye Wade n’a pas manqué de dénoncer l’article 80 du code pénal impérial que les Etats africains ont tous conservé après les indépendances, « pour en faire un délit fourre-tout », a-t-il regretté. On se demande bien ce que lui aussi en a fait, bien des années après son accession à la Magistrature suprême.
Si Wade a été plus ou moins critique à l’égard du système colonial, il ne rechigne pas à en garder les avantages, comme lorsqu’il entame des démarches en vue de l’obtention de la pension militaire au profit de son père, lui aussi « déclaré né à Saint-Louis, donc de nationalité française. » Il a porté les armes, explique le Président, mais n’avait pas été reconnu par la métropole à son retour du front. Devenu avocat, le fils a tenu une promesse : faire rentrer le père « dans ses droits » en tant qu’ancien combattant de la guerre 14-18, pour avoir participé aux batailles de Verdun, de la Champagne et de la Somme d’où il est revenu « blessé et hospitalisé à l’hôpital Ste-Hélène de Lyon », avant d’être finalement démobilisé en 1919.
« Candidat libre au baccalauréat, je fus recalé pour un demi-point,… je n’ai pas été repêché »
A l’école comme sur presque l’ensemble de son parcours, le futur président et ancien élève de William Ponty dit avoir été « brillant », parmi les meilleurs, à une exception près, le baccalauréat, un passage sur lequel il reste peu loquace.
Son échec au baccalauréat, l’enfant de Kébémer l’impute à son service militaire dans l’armée coloniale, en tant que « natif » d’une des quatre communes, Saint-Louis. C’est précisément dans le 7ème régiment des tirailleurs sénégalais qu’il effectua son service. Candidat libre au baccalauréat, il fut recalé « d’un demi-point, 39,5 au lieu des 40 exigés », a avoué le président le plus diplômé du Caire au Cap. Un aveu qui sonne comme un désir de vengeance, un repli aux relents panafricanistes voire identitaires. Pour dénoncer la politique d’assimilation instauré par l’ancienne métropole ?
Abordant la question de la femme, précisément la scolarisation des filles, – retardée du fait de certaines appréhensions morales -, le président, dans une digression, explique qu’en Afrique, « une femme peut découvrir tout ce qui est au dessus du nombril, ses seins par exemple, sans que personne n’y voie du mal. » Il cite l’exemple d’une maman qui sort son sein pour allaiter. Mais, précise-t-il, « ce sont les blancs qui nous ont amenés à associer sein et érotisme. » Quelle association établir alors entre l’assimilation culturelle et l’enseignement scolaire instauré par le système Jules Ferry ?
« Nos ancêtres, les Gaulois ? »
A propos du fameux « nos ancêtres les Gaulois », le président n’y est pas allé avec le dos de la cuiller pour dénoncer « l’exploitation abusive » qui en a été faite. Il dit avoir appris comme beaucoup d’autres, mais qu’il avait compris aussi, que « ces barbus et velus » n’étaient pas ses ancêtres. « Personne d’ailleurs n’y a cru un seul instant, surtout qu’on nous enseignait en même temps que nos ancêtres étaient les Négrilles.» S’il a été peu tendre avec l’école occidentale, Abdoulaye Wade n’a pas épargné l’école sénégalaise dont il a dénoncé « la dévalorisation » par la scolarisation à mi-temps, qu’il considère comme un drame. Wade ne s’est pas fait prier pour démanteler cette école à double flux instituée par la Banque mondiale, et qui a perturbé le système scolaire dans les années 80. « En étudiant la moitié du temps, dit-il, on étudie la moitié des programmes. » Reste à se demander ce qui justifie encore aujourd’hui le maintien de cette école à double-flux dans certaines localités du Sénégal, alors que l’Etat se targue d’avoir consacré 40% du budget à l’éducation.
La suite dans un prochain article
Momar Mbaye
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Biographie : Wade se livre sans tabou
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