Bul faalé est mort: vive « Y’en a marre » ! Par Madior Fall

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Le visage de Mohamed Ndaw Tyson « enfariné » par le sable fin du stade Demba Diop, transformé à l’occasion en arène pour montagnes de muscles dimanche dernier, par les soins de son cadet de 16 ans, Balla Gaye à l’issue d’un combat éclair et les récriminations d’El Hadji Diouf contre la sanction sévère de la Fédération sénégalaise de football à son encontre, sonnant comme le glas de sa tumultueuse carrière, ont-ils enterré cette généreuse génération de la fin des années 1990 et début 2000 des« Bul faalé » (t’occupe pas) du nom d’un tube du groupe de rap Positive Black Soul ?

Quand Balla Gaye, le vainqueur du jour, arbore un tee-shirt à l’effigie du Sénégal avec les inscriptions aux couleurs nationales de « j’aime mon pays », son adversaire malheureux se drape de la bannière étoilée américaine. Balla Gaye se veut l’héritier de Double Less, son père et de Balla Gaye son homonyme, deux champions de lutte au glorieux passé dans l’arène et parle de sport de combat avec des références endogènes, Mohamed Ndaw qui parle de sport business, parait sortir lui, de nulle part. Il n’est l’héritier de personne. Il a des renvois exogènes si ce n’est la hiérarchie « Niassène » qui lui indique la sortie, tandis que lui voulait réussir son entrée en scène.  Deux générations, deux conceptions du monde ?  Peut-être pas.

 

Passage de témoin
La génération Bul Faalé cède-t-elle aujourd’hui tout au moins la place à « Y’en a marre » incarné par d’autres nouveaux groupes de Rap, dont principalement Keur Gui  (la maison) de Kaolack semble la tête de file, dans ce cycle infini du renouvellement qui commande au monde et rythme sa vie en l’enfantant?

L’un et l’autre, El Hadji Diouf, le footballeur au talent insolent et Mohamed Ndaw « Tyson », le lutteur au charisme éblouissant, ont incarné au plus haut niveau, le désir d’émancipation et la capacité d’innovation d’une jeunesse sénégalaise, principalement des centres urbains de cette époque là. Personnifiant et assumant le symbole, ils ont représenté tous deux, le modèle d’un mouvement porteur d’une véritable perception nouvelle de soi et de sa communauté qui valorise la réussite par l’effort et le travail.

Ce qui traduit un indéniable processus d’individualisation dans une société jusqu’ici dominée par un communautarisme souvent inhibant. Une nouvelle conception qui doit certainement beaucoup à « l’American way of life » des années 1980-90 dont la jeunesse du monde s’était emparée après la chute du mur de Berlin et la dislocation du plus grand empire que l’Humanité ait connu jusqu’alors : l’Union des Républiques socialistes soviétiques (Urss). Ces deux événements ont accéléré le processus de la mondialisation. Mais l’impact de ce mouvement générationnel est considérable, tant du point de vue social que du point de vue politique dans notre pays. Il n’est pas sans conséquence dans l’avènement historique de l’alternance politique au sommet du pouvoir d’Etat de 2000, s’il n’en a pas été le facteur principal.

 

Miroir aux alouettes
Certes, fait remarquer Babacar Touré interpellant dans un Postface intitulé : « ¨Provoc’ Le héros, l’Anti-modèle et le Bouc émissaire », publié dans l’édition du 13 octobre 2004, le philosophe écrivain, Hamidou Dia, « (…) A priori, le trublion du foot sénégalais (…), le héros, enfant de la balle, tombé dans le pétrin de la planète du foot, malaxé par la baguette magique d’un génie bienveillant. Coqueluche des médias et du public, formaté pour séduire, reluire et passionner, il fascine, dérange, déroute, irrite et dope son monde  (…) » Son cas « s’apparente à un jeu de miroir aux alouettes… » (Fin de citation).

Ces mots auraient pu caractériser indéniablement dans son domaine spécifique, l’autre Bul faalé, Mohamed Ndaw « Tyson ».  Tant les deux hommes ont incarné la rupture qui s’était produite en 1988, lorsque les jeunes – urbains notamment – dont la majorité n’avait pas encore le droit de vote cependant, parce que n’étant pas âgée de 21 ans et plus, étaient descendus dans la rue pour contester la réélection du président sortant, Abdou Diouf.  Ils étaient acquis au changement qu’aucun mot wolof n’avait su traduire mieux que le « Sopi » de Abdoulaye Wade, le Secrétaire général du Parti démocratique sénégalais (Pds). Douze ans plus tard, le 19 mars 2000, leur exigence de changement et leur soif d’une gouvernance nouvelle trouvèrent écho auprès de l’électorat sénégalais et l’on assista à la réalisation de la première alternance démocratique postindépendance au sommet du pouvoir du pays avec l’élection à sa tête de l’avocat politicien, Abdoulaye Wade.

 

Promesses non tenues
Qu’en est-il aujourd’hui de ce changement qu’ils ont appelé de tous leurs vœux par rapport au système de valeurs hérité des anciens, un système gangrené par la corruption et jugé responsable de la crise protéiforme dont les jeunes sont les premières victimes ? Trahi ! Et leurs espoirs déçus au point qu’ils n’ont pas manqué de braver les mers et les gardes-côtes espagnols en ralliant Barça ou en rejoignant Barsaq (l’enfer ou l’au-delà, c’est selon) dans un mouvement d’exode à l’intensité et à l’importance inobservées antérieurement.

Trahies les ruptures attendues l’ont été assurément ces dix dernières années. Les aînés, une fois au pouvoir se sont empressés en effet, de se vautrer dans un népotisme exacerbé, dans la gabegie et dans une gouvernance où le clinquant domine, reléguant aux calendes grecques, les promesses faites pourtant avec tant de force de persuasion que les jeunes en buvaient littéralement les mots. Promesses d’emploi, d’épanouissement culturel, d’accomplissement social ! Tandis que les aspirants ou les remplacés, néo-opposants paraissent éprouver quelques difficultés à formuler discours nouveaux et captatifs, empêtrés qu’ils sont dans la glu du « ôtes toi que je m’y mette » qui les empêche de penser leur société et son devenir. Qui disait miroir aux alouettes ?

Une situation qui n’a pas pour autant tué la contestation, ni émoussé un seul instant le besoin d’émancipation d’une jeunesse résolument tournée vers la modernité, soucieuse de citoyenneté assumée, de discipline, de protection de l’environnement, de comportement civique, n’appelle-t-elle pas à une inscription massive sur les listes électorales et ne nettoie-elle pas ses aires de regroupement après ses manifestations ?  Tributaire des mobilisations de ses devanciers : du « Set Setal » d’après les tueries de 1989 des tragiques événements nés du différend sénégalo-mauritanien de cette année là, à la génération « Bul Faale », le mouvement :« Y en a marre »  perpétue la tradition. Mieux, il sublime la révolte et la transforme dans une révolution qui se dessine sous nos yeux, grâce à des concepts porteurs et appropriés : « daas fananale (aiguiser et attendre, traduction approximative), ma carte, mon arme, NTS (Nouveau type de Sénégalais), NON (Nouvel ordre national)».

LE NON

A l’ordre ancien que décrie le politologue camerounais Achille Mbembé et qui veut que les jeunes doivent respect et obéissance aux pères, et toute contestation politique serait en quelque sorte considérée comme irrespectueuse, comme si un enfant insultait ses parents, « Y’en a marre » oppose le NON (le Nouvel ordre national), plus conforme à ses yeux à la démocratie, plus adapté aux exigences d’un monde globalisé.

Ses animateurs ne se contentent plus simplement de dénoncer, ils prouvent le mouvement et énoncent le monde. Ils entendent mettre un terme définitif à cette instrumentalisation politique des relations sociales et culturelles traditionnelles, le respect aveugle et inconditionnel des jeunes aux anciens qui plombent toute velléité de contestation sous nos tropiques.

Mieux, ils veulent prendre le pouvoir et tracer la nouvelle voie. Bacary Domingo Mané ne s’y trompe point. Lui qui dans une réflexion publiée dans l’édition de Sud Quotidien du 14 juillet 2010 dernier, trouve que « ces jeunes ont porté sur leurs frêles épaules le lourd fardeau des générations antérieures. Celles qui, aujourd’hui, ont des choses à se reprocher. (…) Le moment est donc venu pour cette jeunesse de faire le deuil de cette élite insouciante. Elle doit désormais s’inscrire dans une logique d’inverser la table des valeurs. Tel l’enfant au marteau, assis sur un tas de ruines, projette un regard sur un avenir qui devient entre ses mains une œuvre d’art… »

Empruntons à Hamidou Dia dans sa réponse à Babacar Touré, ce passage extraordinaire qui souligne on ne peut mieux, le passage de témoin entre les deux générations, mais qui n’en explique p as moins les imperfections qu’elles ont en commun et en partage et avec leur société: « (…) Mais trêve de précautions oratoires. Que se passe t-il avec El Hadj Ousseynou Diouf ? Weuz (sobriquet d’Ousseynou). A-t-il définitivement pris le dessus sur le pèlerin (El Hadj) de nos rêves de foot. Me demandes-tu en te le demandant à toi-même et aux autres. Je serais tenté de répondre : Rien. Ne faisons pas de El Hadj Ousseynou Diouf, un bouc émissaire, ni un exutoire.

Pour le dire autrement, il est l’image grossie de l’homo senegalensis, comme tu l’as si bien posé. Son double tort est de s’être fait prendre puisque nous l’avons élevé à la dimension d’un art de la roublardise, la dissimulation et de l’imposture, doublées d’un culte démesuré des apparences, d’une part, son refus obstiné (ou son incapacité) à jouer le jeu : se permettre tout pourvu que les apparences fussent sauves ». Tout est dit.  Bul faalé est mort, vive « Y’en a marre » ?   sudonline.sn

2 Commentaires

  1. Article intéressant. Cependant, confondre Tyson et Diouf dans le boul falé est disons une « méprise », pour ne pas dire autre chose, par respect pour M. Fall, journaliste talentueux et pertinent. Le boul falé émerge dans l’espace public à une époque (fin des années 80) où personne ne connait Diouf. En 2000, lorsque ce dernier prend son envole, le boul falé a fini sa mue. Aussi, la convergence ou l’intelligence entre ce qu’a pu représenter les initiateurs du bul falé et Diouf est très faible. Au demeurant, la question la plus importante du point de vue sociologique, au lieu des comparaisons laborieuses, est: « pourquoi le boul falé est mort? »

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