D’après Voltaire, interpréter une loi « c’est presque toujours la corrompre », pour cela, il préconise « que toute loi soit claire, uniforme et précise ». D’autre part, selon Philippe Bouvard « l’Assemblée nationale est une réunion de parlementaires auxquels le gouvernement ne demande plus leur avis que s’ils sont majoritairement d’accord ». Ces deux assertions campent notre regard et, notre réflexion sur le code électoral actuellement en vigueur au Sénégal.
Ainsi, une loi doit être intelligible, dans le cas contraire, elle demande à être interprétée, entre autres, si elle est peu claire, ambiguë, floue, ou imprécise. Pour la rendre accessible et, compréhensible pour le plus grand nombre, ce qui facilite aussi sa mise en application ou, sa mise en œuvre. Pareillement, une telle étude et, analyse s’avèrent être nécessairement utiles, lorsque des normes régissant une même situation sont peu pénétrables ou, contradictoires. Tel est le cas, de certaines dispositions du code électoral, issues de la loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017.
Avec une écriture très approximative et, un texte voté, sans nul doute, dans la précipitation par une Assemblée Nationale inexistante, la loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017 portant Code électoral, n’est que le reflet d’un travail mal fait, pendant toute la douzième (12e) législature. Qui, de l’aveu même, de Moustapha Diakhaté a été la plus nulle de toutes les Assemblées Nationales, depuis l’accession de notre pays à l’indépendance.
Nullité des députés pouvant aussi s’expliquer, par la méconnaissance de leur mission, de leur rôle, de leur valeur, de leur travail et, de leur véritable position dans l’architecture des Institutions de la République. Parce que, de notre point de vue, certaines dispositions de cette loi n’auraient pu être adoptées en l’état, si les députés s’étaient sentis concernés, impliqués et, appliqués dans le travail législatif, par exemple, en usant pleinement de leur droit d’amendement.
Aussi, une telle institution, sans aucun sens critique, cénacle d’acquiescement, et d’approbation sans réserve, inefficace dans son travail, budgétivore et, vraiment inutile. Ne s’interrogeant nullement sur l’approfondissement ou, l’amélioration d’un texte, sa composition, son fonctionnement et, son devenir doivent ou, devraient nous interpeler, très sincèrement. En notre qualité de citoyens, ils nous incombent d’inciter l’Etat voire le contraindre, à engager une réflexion approfondie, pour y remédier définitivement. Et les élections législatives du 30 juillet 2017, est un bon début pour la refondation ou, réformation culturelle de l’Assemblée nationale.
Le travail législatif au sens strict du terme repose sur la connaissance des techniques de la science légistique (science des règles de technique d’élaboration de la loi), qui est un processus complexe, dont le vote de la loi n’est que la partie visible et, la moins contraignante. Mais, pourquoi s’entourer de détails, avec une Assemblée nationale acquise entièrement à la cause de Macky Sall, pour lire, pour réfléchir et/ou, pour comprendre un texte soumis au débat et, au vote, de « ses députés ». De tels efforts intellectuels peuvent (leur) paraitre superfétatoires dès lors que, sa finalité est seulement son adoption en plénière.
Ainsi, certaines dispositions du code électoral sont notoirement en contradiction avec d’autres contenues dans ledit code, à l’exemple de l’article L. 335, qui n’est nullement un cas isolé. Puisque, la légèreté l’imprécision ou, l’approximation relevée, dans sa rédaction, est présente dans d’autres articles. Ce texte dispose « il est créé, pour chaque département de l’extérieur du pays, une Commission départementale de recensement des votes. Ces commissions siègent à Dakar, dans un lieu déterminé par le Président du Conseil constitutionnel. Elles sont composées et fonctionnent conformément aux dispositions des articles L.86 et LO.138 du présent code ».
Selon la deuxième phrase du premier alinéa dudit article (art. L. 335) « ces commissions siègent à Dakar (…) », comment et quand, le code n’est pas très prolixe en détail sur ces points. Mais, sans tenir compte de l’éloignement, le législateur a voulu les aligner mécaniquement, sur celles (les Commissions départementales de recensement des votes), situées sur le territoire sénégalais, ce qui est tout à fait normal, mais fort regrettable par absence de rigueur dans la rédaction. Et, avec le verbe « siéger », contenu dans ce groupe de mots, se pose un problème de primauté d’application ou, d’articulation avec d’autres dispositions, car, conjugué au présent, il accentue incontestablement l’impérativité de la mesure, alors qu’il n’en est rien, selon notre analyse.
Ce texte se trouve en opposition avec les articles LO. 135 et suivants, du code électoral, et au contenu de l’article L. 336 du même code. Pour rappel, les articles LO. 135 et suivants se trouvent dans le titre premier du code électoral intitulé « Dispositions communes à l’élection du président de la République et aux élections des députés, des conseillers départementaux et municipaux ». Pendant, le même temps, l’article L. 335 relève du titre VII, intitulé « Dispositions spéciales relatives au vote des sénégalais établis ou résidant hors du Sénégal à l’élection du président de la République et aux élections de députés ».
Il convient d’affirmer, il est de principe en droit, qu’une loi spéciale déroge sur une loi qui a une portée générale « specialia generalibus derogant » dit l’adage. Donc, si ce principe est appliqué, l’article L. 335 devrait prévaloir sur les articles LO. 135 et suivants, du présent code. Parce que, comme précédemment relevé les articles LO. 135 et suivants, se trouvent dans le titre premier du code électoral intitulé « Dispositions communes à l’élection du président de la République et aux élections des députés, des conseillers départementaux et municipaux », qui sont des dispositions générales. Et que, l’article L. 335 relève du titre VII, intitulé « Dispositions spéciales relatives au vote des sénégalais établis ou résidant hors du Sénégal à l’élection du président de la République et aux élections de députés », qui sont des dispositions spéciales. Toutefois, ce principe, de la loi spéciale qui déroge sur une loi de portée générale, doit être relativisé, parce qu’il ne vaut qu’entre des normes de même valeur.
Lorsqu’il y a divergence entre une loi organique (art. LO. 135 et s. C. élect), et une loi ordinaire (art. L. 335. C. élect), primauté d’application doit être donnée à la première catégorie citée. Puisque, une loi organique complète, explicite, ou interprète une disposition constitutionnelle et, hiérarchiquement, elle se situe au-dessus de la loi ordinaire. Donc, ce dernier article (art. L. 335. C. élect) ne peut aucunement avoir primauté d’application sur les autres articles de référence, faisant de surcroit échec à l’adage « specialia generalibus derogant ».
Ainsi, lorsqu’il (l’article L. 335. C. élect) prescrit dans la deuxième phrase de son alinéa premier que « ces commissions siègent à Dakar, dans un lieu déterminé par le Président du Conseil constitutionnel ». Il se trouve en nette opposition avec les dispositions des articles LO 135 et suivants du même code. D’une part, selon l’alinéa 1 de l’article LO. 135 « le dépouillement a lieu immédiatement après la clôture du scrutin ». C’est dire l’adverbe « immédiatement » contenu dans ce texte (art. LO. 135. C. élect) impose qu’il ne peut y avoir de différer dans le dépouillement des opérations électorales, ce qui ne sera pas le cas, lorsque la Commission de recensement des votes ne peut légalement siéger, que réunie à Dakar.
D’autre part, la première phrase de l’article LO. 136 énonce « le résultat du scrutin est proclamé et affiché dans la salle de vote ». Ce qui ne saurait être le cas, si la Commission départementale de recensement des votes (CDRV), à l’extérieur du pays, devait se réunir dans un autre lieu. Donc, selon nous, au regard de cet article, toute la procédure de recensement des votes, des sénégalais de l’extérieur doit/devra se passer dans le bureau de dépouillement des votes. Nonobstant la faculté de dérogation prévue à l’article 337, in fine, du code électoral, notre affirmation est très nettement confirmée par l’alinéa 1, de l’article L. 336 du même code. Puisque, selon ce texte « à la clôture du scrutin et à la fin des opérations de dépouillement, le président donne lecture à haute voix des résultats, qui sont aussitôt affichés ».
Faut-il le rappeler la Commission départementale de recensement des votes (CDRV), comme son nom l’indique a pour mission de recenser les votes du département « au vu de l’ensemble des procès-verbaux des bureaux de vote du département et des pièces qui leur sont annexées » (art. LO. 138. C. élec). Donc, la CDRV n’intervient qu’à postériori, c’est-à-dire, une fois les opérations électorales terminées dans les bureaux de vote.
Donc, l’obligation de transfert de la Commission à Dakar découlant de la rédaction actuelle du texte (art. L. 335. C. élect) est non seulement injustifiée, mais une telle affirmation se trouve en contradiction avec le contenu desdits articles (art. LO. 135 et s. C. élect). Par contre, que le législateur veuille la rattacher à la Commission nationale de recensement des votes (CNRV), cette démarche est tout fait compréhensible et, à approuver. Cependant, nous déplorerons la légèreté, dans la rédaction très approximative de l’article L. 335, qui ne serait pas conforme à la volonté et, au but que les parlementaires auraient voulu lui assigner.
En conclusion, nous pouvons affirmer, dans cet article (L. 335. C. élect), comme dans nul autre le législateur n’a entendu déroger formellement, aux dispositions des articles LO. 135 et suivants, du code électoral. Dans pareille situation, les réunions de la CDRV des sénégalais de l’extérieur à Dakar, comme semble le prescrire l’article L. 335 du code électoral, ne sont ni recevables juridiquement, ni systématiques.
Selon nous, ces commissions siègent dans leurs départements de vote, situés à l’étranger, et leurs procès-verbaux sont à envoyer à Dakar, sans délai. D’où, ces réunions à Dakar pourraient avoir lieu, en cas de recours en contestation d’élection introduite devant le Conseil constitutionnel, dans les cinq jours à compter de la proclamation provisoire des résultats, par la Commission nationale de Recensement des Votes (art. L. 191. C. élect). Ou encore, dans tous les autres cas prévus pour les institutions, du même ordre, situées sur le territoire national.
Par conséquent, à l’issue des élections législatives, lorsqu’un recours est introduit, par exemple, par un parti politique ou, une coalition de partis politiques, les membres de la Commission départementale de recensement des votes des sénégalais de l’extérieur vont siéger à Dakar. A notre avis, l’analyse de l’article L. 335 du code électoral doit être ainsi comprise. C’est d’ailleurs dans ce sens, que son interprétation retrouve toute pertinence, mieux encore, elle parait plus correspondre à l’esprit et, à l’économie générale de la loi n° 2017-12 du 18 janvier 2017.
Daouda NDIAYE
Juriste/Analyste politique
Article dédié à Ndèye Aïssatou SENE