La réflexion est de Amilcar Cabral. Le chemin le plus court pour forger la conscience nationale passe par la guerre de libération ou une grande catastrophe pour un pays. Le Sénégal a fait l’économie de la première option. Son histoire récente est parsemée de faits s’inscrivant dans la deuxième direction. Le naufrage du Joola est, sur ce registre, la dernière illustration après que nous avons connu l’accident de l’usine de la Sonacos qui fit de nombreuses victimes de l’amoniac à Dakar en 1991.
D’illustres disparus ont jalonné la marche du Sénégal depuis l’indépendance. Des figures religieuses, d’éminents hommes politiques, des sommités du Droit et des bienfaiteurs de renommée ont quitté ce monde sous le ciel Sénégal, sans avoir été célébrées comme l’est depuis quelques jours, l’international de football, Jules François Bocandé arraché à l’affection de tous. Un cercueil au beau milieu de la pelouse de Demba Diop grouillant de monde comme l’antre du sport-roi n’en a pas connu depuis longtemps, il ne restait que la touche institutionnelle pour battre le record côté évènementiel. Le Président Macky Sall a «comblé le vide» de ce côté. Présence diversement appréciée dans l’opinion. Quand certains saluent la pertinence du message de reconnaissance à une icône nationale dont il faut saluer la mémoire, d’autres auraient souhaité que le Chef de l’Etat se fît simplement fait représenter. Ceux qui font une lecture politicienne s’insurgent contre une « maladroite récupération».
J’ai retenu en conférence de rédaction, les remarques d’un journaliste se mettant à la place des dirigeants du Club français de Metz. Ces derniers se demanderaient, analyse mon confrère, «pourquoi donc les Sénégalais dépensent-ils tant à célébrer un mort qui, de son vivant, avait si besoin de l’aide des autorités de son pays pour se soigner» ? En terre sénégalaise, sous ce rapport, on n’est pas à une indécence près.
Avion pour le transfert de la dépouille mortelle, location de bus pour les familles et les proches, une manifestation digne d’un champion de la dimension du Lion plongé dans son sommeil éternel… la République a déployé les grands moyens, quoique largement plus que ce qu’il fallait pour aider socialement le nationaliste salué par tout un peuple.
On imagine le désarroi et l’incrédulité de familles aujourd’hui privées du soutien d’un père, d’un frère d’une mère voire d’une sœur, et obligées en retour, d’entretenir un(e) malade soufrant en silence, dans la dignité, mais impuissant(e) à se faire à l’idée que demain, ce pourrait être son tour de sentir, de l’intérieur de son cercueil, la procession de gens se souvenant brusquement des services rendus à la Nation par celui qui s’en est allé, dans le dénuement total.
Le tout politique ne fonctionne pas à tous les coups. Les experts en communication qui entourent le Chef de l’Etat sont les premiers à savoir jusqu’où il ne faut pas aller trop loin dans la médiatisation de l’image et du nom du Premier des Sénégalais. A Macky Sall, on attribua maladroitement d’avoir «instruit son Premier ministre de demander au ministre des Sports de dire au CNG de Lutte», de s’impliquer dans la gestion du face-à-face Yékini-Balla Gaye 2 pour éviter la récidive d’une soirée du 11 avril 2012 de triste mémoire dans l’arène.
C’est également au Président de la République qu’a été attribuée l’initiative de se faire représenter aux obsèques d’une dame, victime d’une crise cardiaque le soir du combat… Les auteurs du message faisant de Macky Sall le président si attentionné, qu’il envoya exprimer son soutien moral à une famille éplorée, ne pouvaient prévoir qu’il y aurait, au sortir du même combat dit «du siècle», d’autres morts ailleurs dans le pays. Il n’était pas possible d’aller partout ; la sagesse commandait dès lors de ne pas trop communiquer sur le déplacement du ministre des Sports qui, en allant présenter des condoléances à Guédiawaye, ne faisait que son devoir de responsable politique, supporter et soutien des sportifs de la banlieue, les lutteurs y compris. Quand il pose un acte d’une telle importance, le ministre El hadji Malick Gakou n’a pas besoin de s’effacer devant ses supérieurs qui l’ont mis là où il est pour officier au nom du gouvernement. Sa seule présence à Demba Diop hier aurait pu suffire à montrer la grandeur de la République en des circonstances comme la perte d’un grand patriote qui a quand même redonné au peuple sénégalais, un élan d’unité (retrouvée) quand frappe la douleur.