Entretien avec Babacar Justin Ndiaye: «Les diplomates ne sont pas des dockers. S’ils hurlent leur colère, c’est que le vase des pratiques non orthodoxes a débordé ».

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Comment comprendre la colère extériorisée par les conseillers et les chanceliers qui dissèquent les nominations et étalent au grand jour leurs conditions de travail ? Y a-t-il un précédent d’une telle ampleur depuis l’indépendance du Sénégal ?
D’abord, le constat est gênant. Et bien entendu, l’analyse risque d’être plus pénible et plus désolante. Les diplomates ne sont pas des dockers ; ils appartiennent à une corporation raffinée, courtoise et cultivée. Alors, si de telles personnes en arrivent à hurler leur colère, c’est certainement parce que globalement le vase… des pratiques non orthodoxes a débordé, comme l’indique le communiqué conjointement signé par les conseillers et les chanceliers. N’étant pas un historien de notre appareil diplomatique, je me limiterai à vous dire que le livre-mémoires publié par le Professeur Assane Seck (ancien ministre des Affaires Etrangères), tout comme les ouvrages des ambassadeurs Falilou Kane et Saliou Kandé, n’ont point fait état d’un tel précédent. Même si tout n’a pas toujours baigné dans l’huile au ministère des Affaires Etrangères.

La réaction vigoureuse des diplomates de carrière signifie-t-elle que Macky Sall a fait pire que Me Wade en une décennie ; au point de fâcher les cadres des Affaires Etrangères ?
Je n’aime pas les jugements à l’emporte-pièce qui sont souvent carrés et excessifs. Cela dit, il y a des problèmes qu’il ne faut ni esquiver ni escamoter. Voyons, par exemple, les nominations ! Il va sans dire que le Président de la république nomme les ambassadeurs qui sont, au demeurant, extraordinaires et plénipotentiaires. Donc lourdement dépositaires de la confiance totale du chef de l’Etat qui les désigne intuitu personae. Mais, l’idéal est que cette prérogative et ce feu vert constitutionnels soient tempérés par la sagesse. Ce qui est vrai pour le chef d’Etat-major des armées (cemga) est aussi vrai pour le chef de mission diplomatique (cmd), à savoir qu’on ne les nomme pas comme on nomme le chef de gare de Bambey. Or, depuis mars 2012, on a enregistré des nominations surprenantes. Et c’est un euphémisme. Je ne veux pas citer des noms pour ne pas crypto-personnaliser à outrance la critique, mais il est évident qu’un ambassadeur du Sénégal au Caire doit être en mesure de dominer les multiples aspects du conflit israélo-arabe qui vont des contours institutionnels de l’Autorité palestinienne en transition vers un Etat, à l’importance géostratégique du Canal de Suez en tant qu’aorte vitale pour relier l’Atlantique à la Mer d’Oman etc. D’où l’importance du profil de l’emploi. Cependant, le Président n’est pas tenu de puiser systématiquement dans le vivier des diplomates de carrière. Ici comme ailleurs, les ambassadeurs – et parfois les meilleurs – proviennent de tous les horizons. Le premier ambassadeur et Haut-Représentant de la France au Sénégal en 1960, Son Excellence Hettier de Boislambert, était simplement, si j’ose dire, un compagnon de la Libération du Général De Gaulle. Dans le même ordre d’idées, feu Latyr Camara, syndicaliste de formation, fut notre inamovible ambassadeur à Addis-Abeba, puis Doyen du corps diplomatique très apprécié par les différents régimes qui se sont succédé en Ethiopie.

Quelles peuvent être les conséquences de cette secousse sur la marche de notre politique étrangère ?
Vous savez, le Sénégal n’a pas de pétrole. Il a une image qui vaut plus que les pétrodollars ; et lui vaut en retour des pétrodollars. Bref, notre uranium c’est notre démocratie. Par conséquent, notre rayonnement international est tributaire de notre double image : interne et externe. Justement, ce sont les diplomates qui sont les artisans et les garants de notre image et de notre performance extérieures. C’est pourquoi le Président Macky Sall doit être tatillon sur le choix des ambassadeurs et des consuls généraux. Je le répète, notre gouvernance est aux antipodes des mœurs « sécurocrates » des régimes d’Algérie, du Rwanda, de l’Angola etc. On n’a pas besoin d’une fournée de Généraux et de Commissaires divisionnaires au plus haut niveau de notre appareil diplomatique.

Actualité brûlante oblige…Macky Sall a successivement expulsé un Gambien détenteur d’un passeport sénégalais et un Tchadien. N’est-ce pas là un tournant inquiétant dans notre politique d’accueil habituellement respectueuse des droits de l’homme ?
Alors, pour le Gambien, les conseillers de Macky Sall n’ont pas été à la hauteur de l’équation. Il ne devait pas être dirigé sur Bamako. Kukoï Samba Sanha devait être traduit devant un tribunal militaire ou une juridiction d’exception, c’est-à-dire jugé pour hécatombes dans les rangs de l’armée sénégalaise. N’est-ce pas lui qui a été l’auteur de l’insurrection de juillet 1981, étouffée par l’opération Fodé Kaba 2 ? Pas question bien sûr de l’expulser vers Banjul synonyme d’abattoir pour les opposants. La première chose à faire était d’enquêter pour savoir, comment un ex-belligérant de l’armée sénégalaise a pu obtenir la nationalité sénégalaise ?

En Amérique, en France et en Turquie, tous les auteurs d’assassinats de citoyens, notamment de citoyens en uniforme, sont pourchassés et punis. Même bien des décennies après. Le terroriste argentin Carlos qui avait tiré sur un commissaire de la DST française, a été enlevé au Soudan et jugé en France où il purge la perpétuité. Quant au Tchadien, son expulsion a donné lieu à une explication officielle très tirée par les cheveux. Donc pas crédible. Moukaïla Nguelba était un élément du décor démocratique et « droit de l’hommiste » du Sénégal. Il a participé à toutes les manifestations du M23 contre Wade. Pour « un clandestin » (Latif Coulibaly dixit) c’était vraiment osé. Dans la foulée, qu’est-ce qu’on attend pour expulser Amadou Toumani Touré alias ATT, un Général qui a abandonné – en temps de guerre – son armée en rase campagne ?

Yakha CN Mbaye Libération

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