Le directeur général de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao), José Graziano Da Silva, a pris part au Forum de l’irrigation dans le Sahel organisé à Dakar par le Cilss et la Banque mondial. Dans cet entretien accordé au Soleil, il a annoncé que la Fao va bientôt réviser sa «Programmation pays» pour l’aligner aux priorités des Etats. Pour le Sénégal, la Fao est en train de travailler avec le gouvernement afin d’adapter l’expérience brésilienne de bourses familiales. L’objectif est de lutter contre l’insécurité alimentaire.
Monsieur le directeur général, pouvez-vous nous faire l’économie de votre visite au Sénégal ?
«Laissez-moi vous dire tout le plaisir que j’éprouve à visiter le Sénégal. Après avoir effectué deux jours de séjour, j’ai été en mesure de mener une rencontre avec la Banque mondiale lors du Forum qu’elle a tenu sur l’irrigation ainsi que le pastoralisme (vendredi dernier, à Dakar, ndlr). Ensuite, j’ai rencontré le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural ainsi que le ministre de l’Elevage et celui de l’Environnement. Nous avons saisi l’occasion pour discuter sur les priorités concernant ces domaines. Nous nous sommes mis d’accord que la Fao va réviser son Cadre de programmation pays pour l’aligner aux priorités du gouvernement. Je poursuis ma tournée au Bénin et au Togo pour saisir la possibilité de rapprocher le plan que la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) a mis en place avec les priorités de la Fao. Je pense que nous avons une possibilité de gérer ensemble toutes les priorités des pays du Sahel parce que nous avons remarqué que les besoins, pour la plupart, sont similaires d’un pays à un autre, dans cette zone. Nous avons également des points communs complémentaires dans tous ces pays du Sahel qui exploitent les produits alimentaires. A mon avis, ils peuvent tous contribuer à la sécurité alimentaire. Je pense que le programme le plus important que nous disposons aujourd’hui dans le Sahel est celui de la sécurité alimentaire parce qu’on sait très bien que l’insécurité alimentaire va de pair avec l’instabilité et les conflits qui peuvent engendrer des difficultés. Nous avons assez de problèmes avec les changements climatiques pour ne plus nous permettre d’y ajouter ceux de l’insécurité alimentaire».
La Fao a élaboré un programme très ambitieux pour le Brésil dénommé « Faim zéro ». Comment comptez-vous l’adapter au Sénégal pour renforcer la résilience des couches vulnérables ?
« Le programme « Faim zéro » a été une initiative très bien mise en œuvre par le président Lula. C’est un programme de sécurité alimentaire basé sur des initiatives locales. Le Brésil a beaucoup de choses en commun avec le Sénégal (même culture, même alimentation presque) et ensuite les mêmes problèmes comme ceux que l’on trouve au Sud-est du Brésil où on avait des difficultés d’assurer la sécurité alimentaire. Pour donc s’attaquer au problème, on a mis en place de petites irrigations locales pour augmenter la production des produits locaux comme le riz, le haricot mais aussi le bétail, et cela a fait la promotion à petite échelle du développement local. Le programme de toute cette politique a été la bourse familiale qui permettait aux pauvres de recevoir une somme d’argent qui leur offre la possibilité d’acheter les produits locaux. Cela a contribué à stimuler la production chez les fermiers locaux. Nous sommes en train de travailler avec le gouvernement du Sénégal sur cette expérience brésilienne. Nous allons envoyer au Sénégal des experts de ces bourses familiales pour le transfert de connaissances. Nous avons, dans votre pays, une représentation qui est disposée à donner tout l’appui-conseil pour les bourses familiales ainsi que la petite irrigation».
Si l’on vous dit que seules 3 % des terres arables sont irriguées au Sahel, cela vous inspire quoi ?
«Nous-nous sommes mis d’accord, avec la Banque mondiale, pour doubler les superficies irriguées au Sahel afin d’avoir le million d’hectares d’ici à 2020. La Fao va dépêcher des experts pour la planification du développement dans cet espace. Je signale que nous avons des experts qui sont au Sénégal et qui travaillent déjà afin de concevoir et d’élaborer le plan d’investissement pour l’obtention des fonds nécessaires à partir de la Banque mondiale pour le développement de cette irrigation à petite échelle».
Le goulot d’étranglement pour l’agriculture au Sénégal reste la reconstitution du capital semencier. Quel pourrait être l’apport de la Fao afin d’inverser la tendance ?
«Il n’y a aucun doute que le goulot d’étranglement pour l’agriculture, c’est le capital semencier. D’ailleurs, ce n’est pas seulement pour l’agriculture mais aussi pour l’élevage. Il faudra faire des efforts dans cette direction. Pour l’élevage, par exemple, nous avons besoin de nourrir les animaux avec de nouvelles variétés d’herbes locaux, et pour cela, il nous faut nécessairement aussi de nouvelles variétés de semences. Ce que vous ne savez pas, c’est que le Brésil a importé de nouvelles variétés de semences de l’Afrique pour les développer sur place. C’est la raison pour laquelle, la Fao a comme plan de ramener ces semences pour améliorer les capacités de production agricole en Afrique».
Les investisseurs qui viennent en Afrique ne s’intéressent qu’à l’exportation dans l’agriculture et accaparent d’importantes surfaces arables. Cela est-il compatible avec la lutte contre la faim et la spoliation des terres ?
«Laissez-moi répondre d’abord à ce que vous appelez accaparement des terres. Ce n’est ni acceptable pour l’importation ni pour l’exportation. Nous avons besoin de maintenir et de préserver le droit des exploitants locaux sur leurs terres et d’en faire ce qu’ils veulent. D’ailleurs, c’est une mesure fondamentale pour le pastoralisme. Nous avons aussi besoin de préserver le droit des petits fermiers qui apportent leur petit excédent sur le marché local afin de satisfaire la demande locale. La majeure partie de l’alimentation locale vient justement de ces petits fermiers, comme c’est le cas au Brésil. Il n’y a donc pas de contradiction entre les petits fermiers et les grandes firmes, si le gouvernement a des politiques de promotion de ces deux secteurs. On aura ainsi la sécurité alimentaire et de l’autre côté les devises. Mais c’est ce qui manque au Sénégal. Nous croyons qu’il faut développer la petite exploitation agricole à large échelle dans le pays pour le bénéfice des populations. Le gouvernement doit intervenir pour harmoniser ces deux options. Nous avons déjà des propositions sur lesquelles nous avons discuté avec 120 pays pour prendre en compte toutes ces dimensions tant pour la foresterie que pour l’élevage et la production agricole afin d’éviter l’accaparement des terres».
Qu’est-ce que la Fao compte-t-elle faire pour renforcer les capacités techniques et organisationnelles des producteurs et des organisations faîtières ?
«Nous avons profité de notre séjour à Dakar pour rencontrer les organisations de producteurs et les fermiers mais aussi le secteur privé et la société civile. Ils m’ont montré qu’ils sont très optimistes pour les mesures que le nouveau gouvernement est en train de mettre en place pour moderniser l’agriculture. Il s’agit d’intégrer davantage les producteurs dans toutes les politiques agricoles arrêtées par le gouvernement. La Fao compte apporter son soutien dans cette orientation».
Cette année encore, le Sénégal pourrait connaître quelques difficultés à cause de faibles rendements agricoles dans certaines parties du monde rural. Le gouvernement peut-il compter sur la Fao si cela se confirmait ?
«Je crois que le gouvernement du Sénégal s’est mis sur la bonne voie. Les difficultés de production sont liées au manque de financement de la recherche agricole. J’ai eu l’occasion de rencontrer à la réunion de la Ticad au Japon, votre président et il me semblait qu’il était très optimiste pour les résultats de la campagne agricole car il y a eu une espèce de rattrapage par rapport à la sécheresse de 2011. Mais, malgré que cette année on ne s’attend pas à un résultat qui soit meilleur, on espère tout de même que la campagne ne sera pas pire que celle de 2011-2012».
Quel sera le rôle de la Fao dans la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition ?
«La Fao travaillait déjà depuis très longtemps sur la sécurité alimentaire. Elle a déjà pris les devants dans cette politique avec les conseils de gouvernements. Nous essayons de mettre en place ce cadre de partenariat dans cette vision entre le secteur privé et les gouvernements pour faire face aux problèmes de sécurité alimentaire».
2014 sera l’Année internationale de l’agriculture familiale. Comment votre organisation compte-elle aborder ce tournant ?
«La Fao est l’agence qui est chargée de mettre en œuvre cette politique dans le monde. Nous avons créé à ce propos des comités permanents dans un certain nombre de pays. Nous avons un programme qui doit couvrir chaque région et chaque pays. Nous avons demandé à chaque pays de saisir une date pour commémorer cet événement consacré à l’agriculture familiale. La cérémonie de lancement aura lieu le 22 novembre prochain à New York. Nous serons là-bas avec le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon ; des ambassadeurs spéciaux ont été nommés pour représenter partout la Fao dans les célébrations de cette journée à travers le monde».
Propos recueillis par Seydou Prosper SADIO – Photo : Sarakh DIOP