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Le mutisme inquiétant des magistrats (Par Dr Cheikh Faye)

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Nos hauts fonctionnaires nous ont habitué à se complaire dans les vestiges du modèle bureaucratique hérité de la colonisation. Leur manque de courage, de la majorité d’entre eux s’entend, est manifeste et se cache sous la forme d’un respect apparent de vocables dont la signification et la portée ont beaucoup changé depuis les années 60 notamment le fameux devoir ou obligation de réserve. Ils font montre d’une incapacité inquiétante à s’adapter à l’évolution des pratiques professionnelles innovantes, indépendantes et modernes, pour ne pas dire qu’ils restent des conservateurs au sens primitif du terme. La magistrature n’échappe à cette règle.

En effet, l’absence de réactions vigoureuses des membres de l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) face à la volonté explicite du pouvoir Exécutif de museler le Président Souleymane Téliko et les propos abjects ainsi que les attaques injustifiées dont il a fait l’objet de la part d’un vil mercenaire de la plume nous rappellent cette triste réalité. La mollesse des réactions de nos magistrats, voire leur quasi-silence contraste avec les attitudes et comportements de magistrats sous d’autres cieux notamment de pays avec lesquels nous partageons le même espace communautaire et le même legs (les magistrats nigériens, par exemple, sont connus pour leur indépendance et leur combativité). 

Dans une tribune publiée ce 30 septembre 2020 par le quotidien Le Monde, les deux plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire français, la première présidente de la Cour de cassation et le procureur général près la Cour de cassation, critiquent la décision du nouveau Ministre de la justice, garde des sceaux, Éric Dupont-Morretti, de saisir l’Inspection générale de la justice pour diligenter une enquête administrative contre trois magistrats du Parquet national financier. Leur prise de position publique intervient une semaine après les manifestations devant les tribunaux organisées par les deux principaux syndicats de la magistrature française. Ne sont-ils pas des magistrats comme les femmes et hommes chargés de rendre la justice au nom du peuple sénégalais dans nos cours et tribunaux ? Bien sûr que oui ! Ils sont des magistrats comme ceux que nous avons au sein de l’UMS. Donc, pourquoi sont-ils capables de s’élever, publiquement, contre les décisions de leurs autorités politiques touchant la magistrature sans que personne n’ose leur rappeler le respect de leur devoir de réserve ? Répondre correctement à cette question, reviendrait à pointer du doigt le retard abyssal des mentalités et des façons de faire dans notre magistrature. La mentalité de serviteurs zélés de certains parmi eux ainsi que la compréhension étriquée qu’ils ont de leur rôle dans une société juste et démocratique à bâtir comme la nôtre, les ont habitués à faire le dos rond et à laisser passer l’orage au lieu de faire face, même pour les combats qui les concernent au premier chef.  

Le combat que mène l’UMS et, à sa tête, le Président Souleymane Téliko, pour une plus grande indépendance de la magistrature sénégalaise, est un combat noble. En effet, sans indépendance, il est illusoire de croire en l’existence d’une bonne administration et d’une bonne distribution de la justice. C’est cela qui a amené les deux plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire français à écrire, si pertinemment, que « l’indépendance des magistrats n’est pas un privilège octroyé dans leur intérêt propre ; elle leur est garantie dans l’intérêt des justiciables. Elle est nécessaire pour maintenir la confiance des citoyens dans la justice ». Dans ce contexte, il est inquiétant, voire troublant de ne pas voir ni entendre nos magistrats se prononcer et dénoncer vigoureusement la tentative de musèlement dont le Président Téliko fait l’objet, mais surtout des attaques et propos abjects qu’il a subis. Nous savons qu’ils sont majoritairement outrés par ce qui est en train de se passer et qu’ils le dénoncent entre eux et, peut-être, mènent-ils des tractations de couloirs au nom de notre légendaire « soutoura » ou fameux devoir de loyauté envers l’Autorité politique. À notre sens, cela ne saurait suffire. Ils devraient se faire entendre, au besoin bruyamment, et être prêts à engager une épreuve de force contre nos gouvernants actuels qui ne connaissent que le langage musclé sans fioritures. Ils n’ont rien à craindre, car disposant de moyens fort appréciables pour se battre contre un pouvoir qui tente de les vassaliser.

Dans tous les pays du monde, l’indépendance des magistrats est inscrite en lettres d’or dans les textes. Là où les magistrats sont parvenus à gagner leur indépendance, à se faire respecter, voire être crains par les tenants du pouvoir politique, c’est au prix de plusieurs combats, parfois menés de façon frontale. Oui, c’est excellent le travail de vigie et de dénonciation que font certains acteurs de la société civile, particulièrement Amnesty international et la Ligue sénégalaise des droits de l’homme, mais il demeure qu’il revient aux magistrats d’être en première ligne pour défendre leur indépendance et de faire cesser les attaques injustifiées et abjectes contre le Président Souleymane Téliko. C’est en levant toute ambiguïté sur leur apparente vassalisation par l’Exécutif qu’ils parviendront à convaincre les populations sur l’importance, l’acuité et la pertinence de tout combat inscrivant l’indépendance de la justice et des magistrats au cœur de ses préoccupations. Les populations comprendront ainsi les retombées bénéfiques qu’elles pourraient en tirer en termes d’administration et de distribution de la justice, donc à apporter un soutien massif aux magistrats.

Cheikh Faye,  Ph.D

Professeur – UQAC (Canada)

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