Mariages au Sénégal : Quand la crise favorise la monogamie

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Au Sénégal, il existe plusieurs formes de mariages. Mais toute union célébrée devant un officier d’état civil suit le régime monogamie ou polygamie. Cependant, le nombre de mariages signés sous le régime de la polygamie est plus fréquent, même si la monogamie gagne du terrain.

Un entretien avec les responsables du centre principal d’état civil de Grand-Dakar révèle qu’ils enregistrent plus de mariages monogames.

« Notre dernier bilan des mariages en 2009 a donné comme résultats 1.569 unions célébrées. Et environ 800 à 900 sont signés suivant le régime monogame et le reste consacré à la polygamie », révèle Sidy Sy le chargé des mariages de l’état civil susmentionné.

« Et les cas de monogamie sont souvent signés par les Chrétiens et les étrangers. Ce sont aussi des Sénégalais résidants à l’extérieur ou ceux des autres pays vivant au Sénégal », explique-t-il. Il est rare de voir ces derniers revenir ici pour des problèmes de foyer.

Par rapport à la population, le nombre de mariages est minime et ceci parce que beaucoup ignorent dans ce pays l’importance de l’état civil », explique M. Sy. Contrairement au centre principal d’état civil de Grand-Dakar, la mairie de la Médina célèbre plus de mariages polygames. L’officier de ce centre, Saloly Ndiaye, révèle qu’ils ont enregistré 250 mariages avec une minorité monogame.

« Comme vous le savez, certains suivent les recommandations de l’Islam qui admet jusqu’à quatre conjointes. Donc hormis les Chrétiens et étrangers, il y a peu de gens qui optent pour la monogamie », poursuit M. Ndiaye. Aussi parmi ces couples, il y a toujours ceux qui nous interpellent pour des problèmes qui aboutissent à un divorce. Et nous les renvoyons au tribunal puisque ce dernier n’est pas de notre compétence, renseigne Saloly.

Vivre en monogamie, le vœu de toute femme

Sur cette question, les points de vue divergent. Certains pensent que la polygamie est la bonne option, tandis que pour d’autres la monogamie est meilleure. M. Sy, interpellé, avance : « j’ai signé polygame mais je sais que je serai toujours monogame. Mais comme tout musulman est permis d’avoir jusqu’à quatre épouses, c’est plus prudent d’opter pour la polygamie. Et vraiment puisque tout va bien dans son ménage… », M. Sy révèle qu’il ne voit pas l’importance d’en trouver une autre.

Pierre Tavares lui estime que «cela ne fera qu’augmenter mes charges, avec la cherté de la vie je ne juge pas nécessaire». Il poursuit : « j’ai signé monogamie parce que c’est du à ma foi chrétienne : un homme, une femme et nous avons des biens communs. Aussi tout se passe à merveille dans notre vie de couple ». Même si sa religion permettait la polygamie, il affirme qu’il restera monogame car ce dernier peut entraîner des frustrations ou problèmes entre coépouses et au niveau de l’héritage aussi. Bousso Gaye assure qu’elle est monogame depuis plusieurs années. Cette vieille dame avoue qu’elle est la seule de son conjoint mais affirme qu’il est des fois préférable de vivre polygame. « Les hommes on les connaît. Ils ne se limitent jamais à leurs femmes et cela peut être source de maladies », explique-t-elle.Cette femme, qui préfère garder l’anonymat, annonce : « je suis polygame ; cela n’est pas ce que je souhaitais. Et le vœu de toute femme, c’est d’être en monogamie, mais on est obligée de se soumettre à la loi musulmane. Et je préfère être polygame que d’avoir un mari qui se retrouve avec plusieurs maîtresses et me transmettre des maladies après ».

Ibrahima Diop, à son tour, opte pour la polygamie et indique : « avec les femmes, il faut toujours signer polygamie. C’est plus rassurant parce qu’une fois qu’elles sont conscientes que leur époux a signé monogame, elles se permettent tout. C’est ce qui nous pousse à faire ce choix mais ça ne nous arrange pas. Car de nos jours, c’est dur de prendre en charge une famille. Mais ceux qui se soucient de cela, ce sont les intellectuelles et ceux qui vivent en ville surtout. Je suis de la banlieue mais là-bas, on ne s’occupe pas bien des femmes encore moins des enfants », conclue-t-il.

Pauline Ndèye THIANDOUM

Ndeye awa SYLLA THIOYE, sociologue : « Les comportements matrimoniaux sont sensibles aux contraintes économiq ues »

Dans cet entretien, la sociologue Ndèye Awa Sylla Thioye revient sur les choix concernant le mariage civil, mais aussi les causes du divorce. Elle estime que la monogamie a tendance à prévaloir chaque fois que les unités familiales réduites sont aussi efficientes que des unités familiales plus larges.

Pourquoi les jeunes choisissent de plus en plus les mariages monogamiques ?

La majeure partie des jeunes hommes, quelle que soit leur condition d’existence, désapprouve de plus en plus la polygamie en raison des nombreux échecs occasionnés aussi bien dans la cohésion de la famille que dans la rupture du lien social. Il y a un lien entre les différentes formes de la famille et du mariage et l’organisation matérielle des sociétés. Ainsi, les comportements matrimoniaux figurent sans aucun doute parmi les plus sensibles aux contraintes économiques, qu’elles soient conjoncturelles ou structurelles. Le recul de l’âge au premier mariage des femmes, longtemps considéré comme le signe d’une amélioration du statut des femmes, apparaît aussi comme la résultante des impératifs économiques. Les difficultés des jeunes hommes et femmes dans l’accès à l’autonomie économique et résidentielle, ainsi que les difficultés à honorer la compensation matrimoniale conduisent à un report de la mise en union ou à la simplification par l’union monogamique. Si l’aggravation de la pauvreté impose des ajustements dans l’entrée en union des jeunes, on s’attend, à plus forte raison, qu’elle conduise à une redéfinition des comportements polygamiques. Les contraintes économiques qui limitent l’accès à une première épouse sont de nature à peser sur l’accès au statut de polygame.

Entre autres facteurs de l’entrée en union monogamique des jeunes, on peut noter aussi l’affaiblissement du contrôle familial et social, la propagation de modèles familiaux et conjugaux venus de l’Occident, ainsi que la plus forte scolarisation des femmes et leur accès à l’emploi salarié, mais aussi les difficultés économiques qui entraînent des mutations importantes des modes de formation des couples.

Il semblerait également que la monogamie ait tendance à prévaloir chaque fois que les unités familiales réduites sont aussi efficientes que des unités familiales plus larges.

Beaucoup d’hommes ont opté pour la polygamie, alors que dans la pratique ils ne vont pas jusqu’au bout. Est-ce par peur ou par précaution ?

Si les hommes optent pour une union polygamique dans l’acte de mariage, c’est pour gagner plus de sécurité et faire face aux lendemains qui déchantent et la possibilité de pouvoir en épouser une autre, sans courir le risque de poursuite en justice. Vous savez, il peut y avoir d’autres raisons que la peur. La question est plutôt de savoir si la polygamie vise l’établissement d’une famille stable, solide et tranquille ? La plupart des hommes qui ont mal vécu leur enfance dans une famille polygame ou en ont vu des formes de mariages polygamiques qui n’ont pas réussi dans leur entourage proche, ont une sensibilité aux tensions et problèmes rencontrés dans les ménages polygames et ne souhaitent pas faire revivre la même situation à leurs femmes et enfants.

Les conséquences de la polygamie sont énormes et beaucoup de jeunes en sont conscients, parce qu’eux-mêmes sont victimes du système. Beaucoup de ménages polygames désunis sont confrontés aux problèmes d’héritage et de succession dont les dossiers traînent encore dans les tribunaux. Comme je l’ai souligné plus haut, l’émergence de nouveaux modèles familiaux et de nouvelles règles de jeu social dans les couples ont aussi changé la donne. On assiste de plus en plus à la multiplication de rôles sociaux assumés par les femmes dont une féminisation de certaines activités jusque-la réservées à la population masculine et d’une insertion progressive des femmes sur le marché du travail.

Même si certains hommes ont peur de la polygamie à cause de leur première épouse, c’est en particulier lié au statut des femmes qui se modifie. Cela entraîne assurément des changements dans les relations qu’elles entretiennent avec leur mari. Avec l’activité économique des femmes, ces dernières vont négocier leurs droits pour améliorer leur statut, acquérir un certain pouvoir de décision et réduire leur position inégale au sein du couple et de la famille. Beaucoup de femmes par exemple s’entendent avec leurs maris pour suspendre un certain temps la production d’enfants à cause de leur activité économique. De leur côté, les hommes essaient aussi de garder la tête haute en préservant cette monogamie tant que leur honneur n’est pas atteint et dans la mesure où ils ne perdent pas de pouvoir et même si on sait qu’à côté ils n’hésitent pas à chercher un « deuxième bureau ».

Quelles sont les raisons des nombreux divorces actuellement ?

Pour de nombreuses femmes, le mariage est un moyen de valorisation sociale. Mais, le constat du nombre élevé de divorces, dans une ville comme Dakar, pousse certains à s’interroger sur le sens et l’objectif du mariage.

Les causes d’un divorce relèvent pour la majeure partie de l’incompatibilité d’humeur ou de l’effritement des sentiments. L’une des causes également possible du divorce correspond à une séparation de fait avérée depuis plus d’un certain nombre d’années. Dans ce cas précis, le lien conjugal est altéré voire dissous. Entre autres causes du divorce, l’on note le non-respect des devoirs et obligations du mariage par les ou l’un des époux, l’infidélité ou l’adultère, les violences sur le conjoint ou les enfants, ainsi que l’abandon de domicile. Dans un couple également, il y a toujours un troisième acteur qui peut être motif de divorce : la maîtresse, la belle famille ou la copine ou le copain de l’un des époux ou bien la voisine qui met son grain de sel.

Mais l’ampleur du divorce et des remariages montre qu’on assiste à une transition de la nuptialité où les plus jeunes générations adoptent des comportements différents de ceux de leurs aînés. Est-ce un effet de génération ? Mais une étude approfondie montrera que l’une des causes principales du divorce est la perte des valeurs. Le divorce, qui était rare en Afrique traditionnelle, s’est multiplié de nos jours. Avec l’arrivée du système colonial et des croyances de type occidental, le mariage coutumier et religieux sénégalais s’est vu envahi et absorbé par des coutumes venues d’un autre monde. Ils se sont imposés aux modèles sociétaux de jadis comme étant les seuls valables, sans respect pour la tradition du mariage. On devine sans peine que la transformation du système par le mode occidental perturbe l’ordre matrimonial initial et multiplie les difficultés dans les foyers. Par exemple, le modèle occidental met plus d’accent sur un mariage ponctuel et sur la liberté individuelle, ce qui engendre, en cas de difficultés entre les époux, la non implication de la communauté dans le règlement des conflits puisqu’elle n’a pas été consultée avant le mariage. Un tel mariage peut finir par un échec, alors que dans la tradition, il pouvait encore être sauvé. Il faut savoir en effet que dans certaines communautés ethniques toujours ancrées dans la tradition, le mariage perdure au-delà de la mort. Si des conflits surgissent dans le foyer, ce ne sont pas seulement les époux qui peuvent les résoudre, mais toute la communauté doit s’y impliquer afin de trouver un consensus.

Propos recueillis par Aly DIOUF

lesoleil.sn

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