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ECLAIRAGE – Y’en a marre, Doyna seuk, Nafi joggee, Jogg jotna, Jelee fi Ablaye Wade, Nadems… : La fureur des mots pour dire les maux de l’Alternance

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Il n’y a point d’innocence dans l’usage d’un mot. Le mot n’est pas simplement que signe graphique, qu’arabesque au sens esthétique du terme. Il est signe et signification à la fois, vecteur et projecteur de sens. Nous nous autorisons de dévaliser ici Hegel dans Philosophie de l’esprit qui fait remarquer ce qui suit : «Nous n’avons conscience de nos pensées, nous n’avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions de notre intériorité, et que par suite nous les marquons d’une forme externe, mais d’une forme qui contient aussi le caractère de l’activité interne la plus haute. C’est le son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l’interne et l’externe sont si intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots est une entreprise insensée.» Donc, dans la texture du mot, il y a en même temps le sens, car le mot confère à la pensée une forme objective. Il renseigne sur une époque, exprime parfois une évolution du langage, mais aussi les vécus enthousiasmés et/ou tourmentés d’une génération. C’est connu aussi que les cassures de civilisations et de valeurs provoquent des cassures du langage à partir desquelles on peut lire la psychologie des hommes, pour ne pas dire leur état d’esprit.

Aujourd’hui, le champ politico-lexical sénégalais, à lui seul, constitue une clé de lecture de l’immensité de la dévastation que le régime de Wade a entraînée dans le pays. Y en a marre, Doyna seuk (ça suffit), Nafi joggee (qu’il dégage), Jelee fi Ablaye Wade (faire quitter Ablaye Wade), Nadems (qu’il s’en aille), Nadaw (qu’il se sauve), Jogg jotna (Il est temps de se lever), Luy jot jotna (l’heure a sonné). L’identité remarquable entre ces mots, ces expressions ou slogans, c’est de refléter, à quelques nuances près, l’écœurement qu’ont provoqué une gouvernance injuste et les désillusions énormes causées par un régime de prévarication, de gaspillages et de gâchis. Ces mots, expressions et slogans fusillent l’arrogance et l’exhibitionnisme d’une nouvelle classe d’arrivistes dont d’illustres chômeurs il y a naguère 10 ans, qui étalent aujourd’hui avec ostentation leurs nouvelles richesses de Messieurs Jourdain.

Ils sont comme les éructions et les éruptions des rages, des rancœurs et des rancunes longtemps accumulées qui sortent, comme des laves d’un espace politique volcanique qui promet déjà des furies et des fureurs dans la perspective d’une élection présidentielle dont la candidature controversée attise les braises. Nous sommes là face à des cris rageurs, des hoquets protestataires intensifiés par un règne de plus d’une décennie devenu à la limite insupportable du fait de la promotion outrancière des vices et des impunités flagrantes, d’une vassalisation des institutions républicaines, mais surtout d’une persécution de populations ravalées dans les abysses de la désolation sociale.

LES MOTS ET LES CIBLES

Y’en a marre, Doyna seuk, Nafi joggee, Jelee fi Ablaye Wade, Nadems, Nadaw, Jogg jotna, Luy jot jotna. Si ces mots, ces vocables et slogans ont pour dénominateur commun un sentiment de révolte, il n’en reste pas moins qu’ils ont des cibles relativement différentes. Certains d’entre eux expriment un ras-le-bol général contre un régime et un système ; d’autres charrient un mal-vivre devenu insupportable. Leurs géniteurs en ont marre, disent «ça suffit», s’exclament qu’«il est temps de se lever» et que «l’heure a sonné». D’autres mots, vocables et slogans ont une cible identifiée, sur laquelle sont géométriquement centrés leurs cris de révolte, leur «ras-le-bolisme». Cette cible, c’est le Président-candidat, Abdoulaye Wade, qui en fait les frais, sans doute à cause de son présidentialisme envahissant et son égotisme surdimensionné. La rudesse des mots et des expressions est ici à la mesure du monopole outrancier et outrageant de la violence de l’Etat auquel se confond l’hyper Président Wade. Alors, «Nafi joggee (qu’il quitte)», «Jelee fi Ablaye Wade (qu’on fasse quitter Ablaye Wade)», «Nadems (qu’il s’en aille)», «Nadaw (qu’il se sauve)». Si donc, comme le dit Hegel dans son ouvrage précité, «le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plus vraie», alors tout cela renseigne sur l’état d’esprit des déçus et des désillusionnés de l’Alternance.

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