Ismaïla Madior Fall, Professeur de Droit à l’Ucad : «Le Conseil constitutionnel ne peut ignorer la clause limitative des mandats

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Avant la parution de son livre : Les révisions constitutionnelles au Séné­gal. Les révisions consolidantes et révisions déconsolidantes de la démocratie sénégalaise, prévue demain, le Pr Ismaïla Madior Fall avait sorti dans le courant du mois de décembre un document de discussions sur le processus électoral, intitulé : Une démocratie «ancienne» en mal de réforme. Un rapport qui diagnostique et apporte des recommandations sur le régime politique sénégalais qu’il dit avoir une «pathologie majeure». Dans cet entretien, M. Fall revient sur le contenu de rapport dont un sujet actuel : le Conseil constitutionnel dont il dit qu’il ne peut faire l’impasse sur la préoccupation de limiter le règne présidentiel dans le temps…

Quelle est la nécessité de sortir ce rapport ?
Il était question dans ce rapport de voir au bout de 50 ans où en était le régime politique sénégalais, quels sont les acquis, les insuffisances, les lacunes et quelles sont les recommandations à formuler pour d’éventuelles réformes du système politique. Ce rapport vient à point nommé, parce qu’il intervient dans un contexte d’élection présidentielle. Une élection, c’est aussi un moment où différents candidats présentent des offres politiques. Et donc nous avons pensé que le moment était opportun pour faire des recherches qui se positionnent  sur les grands problèmes intervenant sur le système politique sénégalais (…)

Le rapport porte sur le système politique sénégalais de façon générale. Il y a un axe qui porte sur le système constitutionnel à l’organisation des pouvoirs, sur comment fonctionnent les institutions, l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. Il y a un deuxième axe qui porte sur la citoyenneté avec la nationalité sénégalaise, les modalités de participation, la liberté d’expression et de manifestation, la participation politique des femmes. Et puis, un axe qui porte sur les partis politiques parce qu’on ne peut parler de démocratie sans partis politiques. Il y a un axe qui porte sur les élections, le système électoral, les acquis et celui qui porte sur la décentralisation.

Que doit-on changer du système électoral ?
Il faut préciser que, parce que ce n’est pas souvent assez dit, depuis 1992, le Sénégal a pu se doter d’un cadre juridique et institutionnel qui permet l’organisation d’élections fiables et transparentes. Depuis cette date, il y a une succession de réformes qui ont consolidé le système électoral. Et récemment, il y a eu une revue du Code électoral où la classe politique dans son ensemble – en tout cas les partis qui étaient représentés à cette revue -, sont d’accord sur les fondamentaux du système électoral. Aujourd’hui, il n’y a plus de désaccord majeur sur un point du système électoral. Le diagnostic du système électoral ne révèle pas de pathologies majeures.

En revanche, aujourd’hui par exemple, au regard de la période qui précède l’élection présidentielle, ce dont il est question, c’est plutôt la candidature du président de la République. Il faut distinguer deux choses : le système électoral et le problème de la candidature du Président qui est un vrai problème pouvant même susciter l’escalade de la violence d’ici des élections. Mais le système électoral en lui-même ne connaît pas de problèmes majeurs. Voilà pourquoi, le rapport essaie de mettre d’abord en évidence cette réalité, et d’essayer de formuler des recommandations. Par exemple au Sénégal, il faut qu’on respecte le calendrier électoral, parce qu’on a connu des cas de report des élections législatives, de couplage et découplage. Le Sénégal doit aussi s’employer à s’abstenir de réformer sa législation électorale à 6 mois des élections, sauf s’il y a un consensus.

Aussi nous avons formulé des propositions pour renforcer l’organisation des élections. Au Sénégal, on a un corps professionnel des élections expérimenté. Mais il faut s’orienter de plus en plus vers l’autonomisation et le renforcement de l’organe de gestion des élections. Le ministère chargé des Elections a beau être composé de personnes compétentes, il n’en demeure pas moins que c’est un organe qui reste sous la dépendance du président de la République (…) Il faut faire en sorte que le ministère chargé des Elections soit érigé en une Haute autorité chargée des élections qui ne dépendra plus de la volonté du président de la République. Un organe indépendant de l’Exécutif, inamovible qui peut gérer le processus électoral qui sera différent de la Cena.

Est-ce que ce rapport a pris en compte la participation du président de la République à la prochaine Présidentielle ?
Le point de vue qui apparaît dans le rapport, c’est le mien. Et je considère qu’en 2001, la Constitution a voulu tout faire pour qu’aucun Sénégalais ne puisse faire trois mandats successifs à la tête de l’Etat. C’est cela l’esprit de la Constitution et c’était cela qui était visé. On ne voulait plus au Sénégal qu’un président de la République fasse 20 ans au pouvoir comme Senghor et Abdou Diouf qui ont fait chacun 20 ans (…) Si le Président actuel est élu en 2012, il fera 20 ans au pouvoir.  Donc, cela n’aura servi à rien d’avoir introduit la clause limitative des mandats dans la Constitution. Et à cet égard, la candidature du président de la République me paraît non conforme à la Constitution.

Il est heureux d’ailleurs que la plupart des spécialistes du droit constitutionnel – je ne veux pas parler de constitutionnalistes car le terme est galvaudé maintenant -, mais ceux qui enseignent la matière, qui ont publié des ouvrages sur le droit constitutionnel, qui ont fait des travaux réputés en droit constitutionnel et qui sont au Sénégal, considèrent que le Président Wade ne peut pas être candidat à la prochaine Présidentielle.
Maintenant, il est vrai que le Président a fait venir des Professeurs de France, mais c’est un problème de déontologie qui se pose. Je peux comprendre que des Professeurs étrangers lui donnent des consultations privées, discrètes, sur sa candidature ; mais je ne peux pas comprendre, du point de vue de la déontologie, que des Européens viennent devant les médias sénégalais défendre la candidature du Président sortant. Il y a un problème d’éthique et de déontologie. En revanche, la science est universelle ; ils peuvent bien donner leur point de vue, pas plus. C’est comme si nous aujourd’hui, on nous montre à Tf1 en train de défendre la candidature du Président Sarkozy, s’il était question qu’il ne doit pas se présenter.

C’est-à-dire que les constitutionnalistes étrangers qui ne sont pas imprégnés des réalités sénégalaises ne peuvent pas se prononcer sur la Constitution du pays ?
D’abord, ils ne connaissent pas le droit constitutionnel sénégalais. S’ils le connaissent, ils ne peuvent pas le connaître mieux que ceux qui sont au Sénégal. Moi, je ne peux pas prétendre connaître mieux le droit français que les Français, mieux le droit allemand que les Allemands. Le droit constitutionnel, c’est quand même un droit national, en réalité. Deuxièmement, ils  peuvent donner leur point de vue dans le cadre d’un colloque ; mais venir le donner dans le cadre d’un mercenariat, cela pose quand même un problème d’éthique.

Si cette candidature du président de la Répu­blique a suscité autant de débats, c’est parce que dans la Constitution il y a une faille ?
Je suis absolument d’accord avec vous. La disposition aurait pu être mieux écrite de sorte qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans son interprétation. Mais, les dispositions constitutionnelles sont souvent rédigées en des termes généraux qui prêtent à interprétation. Lorsqu’il est question d’interpréter une norme, il faut faire une interprétation qui aille dans le sens de la démocratie, une interprétation fonctionnelle. Aujourd’hui, je suis d’accord avec vous que cette disposition n’a pas été écrite avec une encre véridique, comme l’on dit en droit.

Y a-t-il un hiatus entre l’esprit et la lettre dans la Constitution ?
Très franchement, je ne vois pas de hiatus. La plus grande innovation de la Constitution de 2001, c’est la clause limitative du nombre de mandats présidentiels. Maintenant, on dit qu’il appartient au Conseil constitutionnel de rendre sa décision ; mais le Conseil constitutionnel ne peut pas ignorer cet esprit de la Constitution. Il ne peut pas ignorer cette préoccupation de limiter le règne présidentiel dans le temps qui a été consacrée dans cette Constitution. Et aussi le Conseil constitutionnel ne peut pas ignorer la déclaration du président de la République qui a dit : «J’ai verrouillé la Constitution.»

J’ai suivi les Professeurs qui sont venus de France et d’ailleurs, dire que la déclaration du Président n’a aucune valeur juridique. Ils l’ont dit, mais ils ne l’ont pas démontré. Or, la déclaration du président la République est un acte qui a de l’importance, car il n’est pas n’importe quel citoyen ni candidat. Il est le gardien et aussi la bouche de la Constitution (…)
Quand il s’exprime, on peut se dire qu’il s’exprime au nom et pour le compte de la Constitution, jusqu’à ce que sa parole soit remise en cause par un juge qui peut dire que le Président a parlé, mais nous ne sommes pas d’accord avec ce qu’il a dit. Mais si le juge n’intervient pas, cela veut dire que la déclaration du Président a une valeur juridique.

Donc, le Conseil constitutionnel peut se référer à cette déclaration du Président ?
Entre autres éléments d’appréciation, parce que le Conseil constitutionnel pour interpréter, se réfèrera d’abord à la lettre et à l’esprit de la Constitution, à tout élément susceptible d’éclairer sa compréhension de cette disposition.

Parlant du rapport, vous avez évoqué que le Sénégal est certes, un pays stable mais champion en termes d’instabilité constitutionnelle. Expliquez-nous davantage cet état de fait…
Absolument. Quand on regarde notre pays, c’est un constat, c’est un des plus stables d’Afrique. Heureusement, nous n’avons jamais connu de coup d’Etat. Depuis 1960, il se singularise par la continuité de sa stabilité politique. Mais lorsqu’on regarde la vie de nos institutions, nous sommes le pays où on révise le plus la Constitution. De 1960 à nos jours, la Constitution a été révisée 37 fois. Sous Senghor, elle a été modifiée 8 fois en 20 ans. Sous Diouf, 14 fois en 20 ans. Et sous Wade, 15 fois en 12 ans. Sous Senghor, c’est presque tous les 2 ans et demi, la moyenne ; sous Diouf, on était à une moyenne de 18 mois et sous Wade, on a une moyenne de révision tous les 6 mois. Donc, nous sommes un pays stable politiquement, mais instable du point de vue constitutionnel.

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A suivre…

1 COMMENTAIRE

  1. Je suis vraiment navré de constater qu’un praticien du droit de la dimension de Madior, si emminent, continue à alimenter ce débat qui, jusqu’à l’avis du Conseil Constitutionnel, est stérile. S’il y a eu une faille dans la rédaction de l’article ou des articles en question, un principe de droit n’interdit pas à celui à qui cette faille pourrait profiter, d’user de tout argument pour ce faire. Madior nous enseigne depuis plus d’un an que juridiquement, rien ne s’opposait à la candidature de Wade mais que, selon lui, ce serait politiquement inadmissible et moralement scandaleux. Pourtant, Madior sait qu’en politique ces arguments n’en sont qui puissent tenir la route pour dissuader quelqu’un à aller à l’assaut d’une conquête ou d’une reconquête

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