Judith Duportail la stagiaire de Walf raconte dans son carnet de bord: J’ai marchandé comme une Sénégalaise… j’ai été considérée comme rien de plus qu’un portefeuille ambulant,

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Carnet de bord d’une toubab à Dakar
Par Judith Duportail

Un samedi soir comme un autre à Dakar. Les restaurants du Plateau se remplissent, les discothèques des Almadies se préparent à accueillir leurs hordes de noctambules, les toubabs ont trop chaud, les moustiques sortent de leur cachette et affûtent leurs dards. Pendant que Dakar ronronne de son inénarrable routine, un avion atterrit en douceur sur la piste de l’aéroport LSS. Dès l’ouverture des portes, la chaleur lourde et suffocante du mois de septembre m’assomme. Mes mains deviennent moites, mes joues rougissent, mes cheveux se collent à mon front humide. ‘C’est ta première fois en Afrique ?’ me demande mon voisin dans la navette qui nous mène à la douane. ‘Oui ? Ah tu vas voir, c’est différent. Moi la première fois que je suis venu en Europe ça m’a fait…bizarre. J’ai pleuré pendant une semaine !’ C’est ma première fois au Sénégal, ma première fois en Afrique et ça va durer deux mois. Deux mois de stage au sein de la rédaction de WalFadjri.

Je récupère mes bagages, lourds d’être remplis de bombes anti-moustiques, de médicaments contre la tourista, de crème apaisante contre les coups de soleil, de pastilles pour purifier l’eau, de pilules contre le paludisme. Je dois alors me rendre à l’évidence : je suis blanche. Etre la seule Blanche quelque part, la seule minorité visible (comme on dit chez moi pour désigner les Africains) vous fait prendre conscience de votre différence. Au milieu de tous les voyageurs qui portent à bout de bras leur valise, qui allument avec soulagement une cigarette, qui téléphonent à leurs proches pour leur dire qu’ils sont bien arrivés, je suis la seule qui dénote. Je ne peux pas passer inaperçue. Encore moins devant les hordes de rabatteurs, colporteurs, taximen, porteurs de valises qui cherchent à me cueillir, flairant la bonne affaire de la toubab désorientée.

Les jours qui ont suivi mon arrivée, j’étais comme anesthésiée. Tout me paraissait si différent de chez moi, même la terre au sol sous mes pieds me paraissait nouvelle. Traverser l’autoroute à pied, croiser des chèvres dans le centre ville, voir des femmes porter toutes sortes de chose sur leur tête…Tout, tout était nouveau pour moi. C’est petit à petit que j’ai pris mes marques dans Dakar. Négocier toute seule mon premier taxi m’a emplie d’une grande fierté, et aujourd’hui je le fais sans même réfléchir, avec autant de naturel, si vous me permettez de frimer, qu’un Dakarois.

Mon premier jour à Walf

Au bord de l’autoroute à côté du stade LSS, je hèle une voiture jaune et noire. C’est mon premier jour à Walf. Je suis vêtue d’une longue et sage robe noire, moi qui aime les mini-jupes, parce qu’on m’a dit qu’être une jeune femme blanche pouvait attirer les dragueurs. Avec le temps, j’ai laissé mes jupes longues au placard. Quelle que soit ma tenue les flambeurs ont tenté leur chance, parfois de manière flatteuse, parfois de manière insistante, voire irrespectueuse. La voiture jaune et noire s’arrête sur le bas-côté, je bredouille un ‘Salam Aleikoum’ qui se veut naturel. ‘Je vais au Walf Adjri’. ‘3 000’, me rétorque le chauffeur. ‘C’est trop cher. 1 500’. Le bonhomme refuse, j’applique les leçons de marchandage que mes colocataires et amis, arrivés une semaine avant moi, m’ont données. ‘Tant pis, j’en prendrai un autre’. Il redémarre. Et là, manœuvre habituelle, le taximan ralentit et me fait signe sous sa casquette avec son bras de grimper dans le véhicule. J’ai réussi ! J’ai marchandé comme une Sénégalaise ! J’apprendrai quelques dizaines de minutes plus tard que je me suis fait prodigieusement arnaquer, mais qu’importe. Cette routine de la négociation est de prime abord difficile à comprendre pour moi. Dans mon pays, il n’y a rien de plus impoli, de rustre, de mal vu que de tenter de grappiller quelques euros. Mais j’ai appris que les Sénégalais ne marchandent pas juste pour voir le prix baisser. C’est aussi un moment d’échange, une manifestation de bagout, une querelle pour savoir qui aura le meilleur mot. Qui s’achève souvent sur un éclat de rire et une tape dans la main.

A Walf, les conférences de rédaction sont autour de 16 heures. Elles ne diffèrent pas de celles auxquelles j’ai pu assister en France. La grande différence est dans le manque de moyens : quelques ordinateurs seulement sont à la disposition des journalistes, pas de climatisation et il faut se lever de bonne heure pour que le chauffeur vous emmène quelque part ! Dans mes reportages et interviews, j’ai constaté qu’il n’était pas rare que mes interlocuteurs me fassent attendre une demi-heure, voire une heure…Tout en me répétant au téléphone ‘je suis là dans quelques minutes !’, comme si le retard était une chose inavouable, et qu’il valait mieux mentir plutôt que de prévenir ‘j’aurai une heure de retard’. Je n’ai jamais réussi à m’y faire, arrivant toujours à l’heure aux rendez-vous et poirotant une fois sur deux. Pour trouver des idées de reportages et d’articles, les journalistes français ont à leur disposition plusieurs agences de presse qui envoient des dizaines de dépêches par heure. Ici, il faut se contenter du maigre fil de l’Aps et user de ses contacts pour ne pas louper les infos essentielles.

Korité dans une famille sénégalaise

Je suis arrivée à Dakar pendant le ramadan. J’ai donc eu la chance d’assister à la fête de la Korité. Pour célébrer la fin de ce mois de jeûne et de privations diverses, Bitèye, un collègue, m’a invité à venir déjeuner avec sa famille. Vêtue d’une belle robe bleue que j’ai négocié fermement la veille au plateau, je saute dans un taxi et descends au bout d’un chemin de terre où semblent vivre en bonne intelligence deux chevaux et une dizaine de chèvres. Bitèye, grand gaillard solide d’une vingtaine d’années, me salue d’un grand sourire, sa nièce dans les bras. ‘Je suis tellement heureux que tu sois là’ m’accueille-t-il chaleureusement. Il me fait rentrer dans une grande bâtisse où l’on retrouve ses trois frères, leurs femmes et divers enfants. On s’assoit d’abord dans le salon pendant que les femmes triment en cuisine. ‘Judith, tu sais faire la cuisine ?’ s’aventure un des frères. En bonne parisienne, je ne cuisine jamais et ne sais rien faire. Mais sa femme l’engueule déjà copieusement en wolof, j’imagine lui disant que ce n’est pas une façon de traiter les invités, puisqu’il n’a plus jamais été question de me faire bosser.

Les femmes installent dans la salle à manger un tapis sur lequel nous nous asseyons en rond. En vertu de ma qualité d’invité, j’ai le droit de m’asseoir sur un tabouret et me lave les mains dans le bac où tout le monde se les lavera en première. Nous plongeons ensuite notre main droite dans un grand plat garni de poulets cuisinés aux épices et de frites. Bitèye déchiquette discrètement des petits morceaux de blanc de poulet et me les glisse. Dès que je m’arrête de manger quelques secondes, mon estomac réclament à corps et à cri une pause bien méritée, il s’insurge : ‘Mais tu ne manges RIEN ! Ce n’est pas bien du tout !’ A peine le plat achevé, les femmes s’activent et en trois minutes chrono il ne reste plus une trace de notre déjeuner. Une verrine de thé à la menthe à la main, Bitèye et moi parlons de nos écoles de journalisme respectives et nous faisons nos mauvaises langues en critiquant les cours de télé dans chacune de nos écoles. Le temps passe, je prends congé sous les ‘Mais tu pars déjà ? Tu n’es là que depuis 3 heures !’.

Entre agacement et émerveillement

Marcher dans une rue de Dakar est toujours aujourd’hui pour moi une aventure. Il faut se faufiler entre deux bolides tout klaxon hurlant pour pouvoir traverser, pendant qu’un car rapide ne manque de vous écraser en toute nonchalance. Des marchands ambulants y vont de ‘tss’ en ‘tss tss madame, c’est pas cher’, des enfants me demandent ‘t’as pas des cadeaux ? t’as pas des cadeaux ?’, des femmes me dévisagent, certains hommes me regardent avec appétit sexuel, d’autres avec un air de désapprobation. Être une toubab à Dakar, c’est parfois se sentir observée comme une extraterrestre.

Un après-midi, dans une rue du Plateau, je marchais pour trouver un taxi et un jeune homme m’a lancé : ‘Te crois pas chez toi, toi’. Mais un autre matin une jeune femme m’a interpellée : ‘T’es trop belle avec ta petite robe !’ J’ai passé ces deux mois à Dakar entre ces deux eaux, entre l’agacement et l’émerveillement. L’émerveillement devant les couleurs du ciel le soir, entre le rose le gris et le bleu, devant le relief escarpé de la corniche, l’émerveillement devant tous ces beaux jeunes hommes sénégalais qui ne cessent de faire des joggings, abdos, et autres tortures. L’émerveillement devant la facilité avec laquelle mes voisins se sont liés d’amitié avec moi, l’émerveillement devant l’énergie déployée sur tous les dance-floors de la ville par une jeunesse débridée. L’agacement aussi, de n’être parfois considérée que comme rien de plus qu’un portefeuille ambulant, de me faire aborder par des individus prétendant recherchant l’amitié mais n’en voulant qu’à mes francs Cfa qu’ils supposaient florissants. Malgré tout, ce samedi soir de septembre c’était une toubab fatiguée, soucieuse, voire déprimée qui a posé un pied pour la première fois de sa vie en Afrique. C’est une toubab ragaillardie et heureuse de raconter son voyage qui posera les pieds en Europe.

* Etudiante en journalisme à Paris, Judith Duportail vient de terminer un stage de deux mois à Walf.

walf.sn

3 Commentaires

  1. lool j’espère que çà fait du bien de découvrir l’Afrique au moins je peux accepter que des personnes comme toi nous, critiquer parce ce que tu as vecu kelkechoz chez nous !!

  2. Ce temoignagne objectif ,de quelqu un de l exterieur ayant vecu a l interieur de nous ,meme si c est deux mois ,reflete l etat de notre societe d aujourdhui avec ce recul qu on a pas toujours soi meme.

  3. dommage k cette … puisse rèsumer la vie à Dakar en 2mois.
    ceci mèrite rèflexion pour ces complèxès qui draguent comme des obcèdès,ces enfants qui demandent des cadeaux,ces marchants ambulants qui vous agassent à la fin.
    Ce texte n’a rien de plaisant, mais après tout deug nèkhoul.
    ça fait mal.

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