LE HALAL : LES MUSULMANS A LA RECONQUETE D’UN SENS

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Ces derniers mois, le halal a fait en Occident l’objet d’un rare emballement médiatique.  La chroniqueuse du journal montréalais La Presse, Rima El Khouri, parle à ce propos d’une «hystérie médiatique». En réalité, cette frénésie médiatique fait écho à un engouement politique sans précédent autour de cette question. Retour sur une polémique.

« Que les Français sachent bien que, sous ma présidence, rien ne sera toléré en termes de présence de viande halal dans les cantines de nos écoles! ». Ces mots, François Hollande les a prononcés lors du débat de l’entre-deux tours qui l’a opposé à Nicolas Sarkozy, le 2 mai 2012. C’est que dans la campagne électorale qui a précédé l’élection présidentielle, le halal est apparu comme le marqueur d’une immigration musulmane qui menacerait la laïcité et l’identité françaises. D’ailleurs, le 05 mars, c’est un Nicolas Sarkozy distancé dans les sondages, qui avait affirmé devant les journalistes, lors d’un déplacement dans l’Aisne : « Le premier sujet de préoccupation, de discussion des Français, je parle sous votre contrôle, c’est cette question de la viande halal », avant de se demander : « faudrait-il ne laisser s’exprimer sur ce sujet que ceux qui aboient? ». Ceux qui aboient? D’aucuns y ont vu une référence implicite à Marine Le Pen qui auparavant, le 18 février, avait annoncé que « 100 % de la viande distribuée en Île-de-France est de la viande halal ». La polémique qui s’ensuivit aura des répercussions outre Atlantique. En effet, au Québec, la controverse sur le halal a atteint son point culminant pratiquement au même moment (mars 2012) lorsque le député et porte-parole du Parti Québécois sur les questions agricoles, André Simard, a exigé du gouvernement des mesures protégeant la traçabilité et la qualité de la viande halal, tout en s’interrogeant sur sa conformité avec les valeurs québécoises. Dès lors, les leaders politiciens québécois, les journalistes, les universitaires et les citoyens ont multiplié les interventions, les émissions et les prises de position sur la question du halal.

Le professeur Khadiyatoulah Fall et le chercheur post-doctorant Mouhamed Abdallah Ly, deux universitaires  qui effectuent des recherches sur la présence  de l’islam au Canada, avancent  ici que «le fait halal», contrairement  à ce que disent les critiques islamophobes, est  le signe de visibilité de l’islam qui négocie le mieux  son adaptation au contexte de  la société occidentale. Ils soutiennent également que le halal est au cœur d’un conflit de sens  entre le monde musulman et une partie de l’Occident, dont particulièrement la France.

Le halal fait aujourd’hui l’objet d’une visibilité, d’une porosité et d’une variété accrues couvrant des sphères aussi diverses que l’alimentation, les activités financière et commerciale (prêt, hypothèque, carte de crédit, assurance, origine du revenu), les cosmétiques, les produits ménagers, les vêtements, les médicaments, les loisirs, l’Internet, la télévision, les relations interpersonnelles (sexualité, mariage)… On parle ainsi de «dentifrice halal» et de «médicaments halal», de «bonbon halal», de «business halal», de «sexe halal», de «halal dating», de «sites internet halal», de «cosmétique halal», d’«humour halal», de «séries télévisuelles halal», d’«hôtels et voyages organisés halal», etc.

Le halal : la fermeture catégorielle

Cette extension des objets et services halal contraste avec la fermeture catégorielle qui a affecté le mot « halal » depuis qu’il est devenu un mot d’emprunt du lexique français. En effet, le mot « halal » est apparu dans les dictionnaires du français contemporain dans les années 70-80 avec une spécialisation de son sens. Il s’y définit comme le licite en rapport avec la nourriture et tout particulièrement la viande d’un animal égorgé  selon les rites prescrits  par le Coran et la Sunna. D’une définition plus large du halal dans le Coran (le halal y renvoyant à tout ce qui est moralement licite dans le comportement du musulman), il s’est donc opéré, dans la langue française, un figement du sens autour du «permis et de l’interdit»,  principalement en relation avec la viande. Ce sens s’est imposé dans le champ discursif du monde occidental. Il est d’ailleurs intéressant de relever une contemporanéité du mot « halal » et du mot « islamisme » dans le lexique du français. Le mot «islamisme» existe bien sûr en français depuis le 18ème  siècle. Voltaire l’avait utilisé pour désigner la religion des musulmans à la place du mot « Mohamétans ». Mais le mot « islamisme» acquiert une forte fréquence lexicale dans la langue française au 20ème siècle pour renvoyer plus spécifiquement  à un islam politique et social qui veut faire  de la Charia la source de la gouvernance des sociétés musulmanes. C’est  autour de la même période  que le mot « halal » aussi s’installe dans le lexique du français comme si une complicité de parcours s’était tissée  entre les deux expressions.

Le halal : un mot de la langue arabe devenu un mot de l’Occident

Le mot « halal », un mot de la langue arabe,  semble devenu aujourd’hui un mot de l’Occident. Il circule plus dans le monde occidental, notamment dans les pays confrontés à l’immigration musulmane. L’emprunt du mot à la langue arabe, en lieu et place d’une traduction en français, peut être lu  comme la volonté de faire entendre un signifiant qui convoque avec lui un effet d’étrangeté, un effet d’extériorité. «Halal» s’inscrit ainsi dans la langue française comme un mot «épinglé» pour dire une distanciation, voire une mise à l’écart. Il évoque la frontière  et indexe  un monde autre, avec ses pratiques autres, et donc en rupture avec le mouvement de la société d’accueil. La stratégie de dénigrement est simple : de tout le potentiel de signification d’une pratique,  il n’est retenu que ce qui pourrait faire penser  à un geste archaïque, même barbare (l’égorgement sans étourdissement) et  qui  pourrait heurter la sensibilité des occidentaux. La circulation du mot en Occident retrace  le même parcours que celui   de   « hidjab », expression plus disponible que celle  de  « voile islamique» ou de  «foulard islamique». Les mots «voile et foulard» pouvant renvoyer à une proximité avec des objets de la culture occidentale, l’entreprise  discursive  politique  et médiatique, à travers l’usage privilégié du mot d’emprunt, tente d’éloigner la synonymie, donc un éventuel rapprochement culturel.

Le halal : la reconquête du sens d’une expression

Aujourd’hui, les musulmans sont dans un processus de «reconquête du sens» de l’expression halal. Dans la nouvelle mise en récit de l’expression  « halal », les musulmans s’inscrivent dans une démarche de «recatégorisation» de la notion mais aussi dans le spectacle de son intégration au mouvement du monde  et au vivre ensemble. En effet, la  porosité de la notion, sa  variété et sa  visibilité  étendent  le domaine du halal  à tous les objets et attitudes (nourriture, civisme, finance, solidarité, écologie, Ntics, gouvernance..) qui concernent le comportement éthique attendu du musulman. En même temps, cette polysémie déconstruit les figements, les stigmatisations qui cherchent à faire de l’islam une religion dominée  par les interdits, la restriction, le statisme  et le communautarisme.  Le mot « halal » est devenu pour beaucoup de musulmans une expression de ralliement, l’expression d’une pratique et d’une pensée de l’islam qui négocie les voies d’une implantation cohérente dans le tissu laïque  et les transformations socioculturelles de l’Occident.

 

Le halal : convivialité  et vivre ensemble

Les enquêtes que nous menons au Québec fournissent des réponses sur le « fait halal» qui s’éloignent fortement des représentations du halal mises en circulation par plusieurs journalistes, leaders politiques et citoyens qui se sont exprimés, il y a quelques semaines, sur ce qu’on peut nommer «l’Affaire québécoise du halal». Ce que le terrain donne à voir, c’est que contrairement au hidjab et au niqab, contrairement aux débats sur la construction de mosquées et de cimetières musulmans, le halal s’inscrit sans heurts dans le tissu socio culturel québécois.   Avec ses boucheries bon marché, ses restaurants qui ouvrent à la cuisine exotique, ses traiteurs qui garnissent la palette des offres de saveurs différenciées, sa clientèle multiethnique avec une forte composante de «Québécois de souche», ses accommodements dans le rituel d’abattage etc., le halal est un signe de visibilité de l’islam qui construit  des passerelles, des espaces de rencontres interculturelles, qui ouvre les frontières ethniques, qui favorise la sociabilité, le  partage  et surtout la  relecture des recommandations de  l’islam en fonction  d’un nouveau contexte et des valeurs communes qui définissent l’espace public.  Le portrait  du halal au Québec est bien le reflet du jaillissement d’une nouvelle société du visible musulman à travers l’affirmation d’une identité religieuse  mais aussi d’un mode de vie adaptatif qui s’éloigne du rigorisme et qui négocie bien son  raccordement aux valeurs de convivialité et du vivre ensemble de la société globale.

Le halal : les risques d’une banalisation

Si l’on perçoit bien que l’élasticité de l’expression permet au mot « halal » de retrouver son véritable sens, il n’en demeure pas moins que cet élargissement sémantique véhicule aussi le risque de confondre le religieux, le spirituel et le consumérisme. Elle porte aussi le risque d’une dilution du sens de l’expression jusqu’à l’amalgamer à tout et faire ainsi le lit de remarques ironiques comme celles d’un journaliste québécois qui récemment titrait  bien malicieusement une de ses chroniques par : «Ce texte n’est pas halal».

Par Monsieur Khadiyatoulah Fall, titulaire de la Chaire de recherches interculturelles CERII de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et directeur du site UQAC du Centre interuniversitaire CELAT (UQAM, UNIVERSITÉ LAVAL, UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À CHICOUTIMI) & Mouhamed Abdallah Ly, assistant de recherche IFAN-CAD, chercheur post doctorant CELAT/CERII

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