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Le poisson pourrit par la tête par Madior Fall

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Le Sénégal est-il malade de ses élites, souffre-t-il de sa classe politique, toute tendance et toutes obédiences confondues ? 2000 avait suscité tant d’espoirs pour une démocratie mature, une citoyenneté nouvelle, assumée, avant que ceux qu’Abdoulaye Ndiaga Sylla, dans un édito retentissant d’un numéro spécial de Sud consacré à l’an 1 de l’alternance, avait désignés par le vocable approprié de « courtiers de l’alternance » ne viennent corrompre le système et en ruiner les espérances. Ils avaient, organisé au profit d’un nouveau pouvoir, une transhumance à grande échelle de pans entiers des vaincus d’hier devant l’œil goguenard des caméras de la Rts.

Des déconfits tout heureux de retourner brouter les bleues prairies, après s’être pourtant repus des vertes qui venaient d’être alternées. Ils avaient travaillé, ces courtiers, à anéantir les aspirations d’une démocratie majeure et à corrompre le vote citoyen, corroborant l’adage chinois qui veut que le poisson pourrisse par la tête. Etait-ce pour justifier par la suite la gabegie, le népotisme et tous les autres manquements aux règles les plus élémentaires souvent de la gestion des deniers publics que l’on a pu observer dans la gouvernance libérale ces dix ans ? Cherchait-on déjà à mettre tout le monde dans le même sac ? Tentait-on de discréditer tous les segments de la société que l’on ne s’y prendrait pas autrement ?

La conduite éventée des conseillers de la commune d’Arrondissement de Dieuppeul-Derklé qui ne se privent pas de se partager sans pudeur les deniers de Judas est d’autant plus répréhensible que l’on conçut au sortir des élections locales de mars 2009 un retour à l’éthique républicain, à une citoyenneté endossée, à une démocratie réaffirmée. Le peuple souverain s’étant défié clairement de ses dirigeants corrupteurs en se choisissant d’autres, même si, c’est pour l’heure, seulement à la base. Mais il n’avait certainement pas compté avec une élite disposée à se vendre aux plus offrant.

L’absence totale de solidarité qu’exprime le plus souvent celle-ci, qu’elle soit politique, sociale et/ou économique, de l’opposition, de la société civile ou de la majorité, à l’égard des intérêts de la collectivité est un symptôme préoccupant de la dégradation des mœurs, d’un manque d’éthique et de la morale en politique, confortant le wolof qui désigne tout faux par le terme : « politique ». Cette conduite décriée de certains conseillers de Dieuppeul s’inscrit aussi en droite ligne des violations observées depuis un an dans la gestion des collectivités locales, mettant en cause une décentralisation qui vise à la restitution du pouvoir à la base et à la démocratisation de la responsabilité. Il est vrai qu’aucun pays n’est totalement exempt de corruption.

Lorsque le phénomène ou plutôt le fait social prend cependant des proportions comme c’est le cas aujourd’hui au Sénégal, au risque de freiner la croissance économique, de contrarier les efforts accomplis, il concourt inévitablement à la dégénérescence générale du tissu social, à la dislocation de l’Etat, à la mort de la République. Obstacle au développement durable, à la lutte contre la pauvreté, la corruption aggrave en effet les disparités économiques et favorise la criminalité organisée. En fait, si la corruption se développe sans entrave, la démocratie peut difficilement s’épanouir, la liberté se répandre, la justice prévaloir. Ceux qui en usent aujourd’hui comme moyen de dévoyer le suffrage universel, de changer l’ordre naturel des choses, d’altérer le choix citoyen en tentant de s’acheter des conseils locaux en entiers, sapent consciemment ou inconsciemment les fondements de notre nation en construction.

La classe politique ainsi qu’une bonne partie de l’élite en vérité ne sont point exemptes de fautes dans cette situation. S’il est vrai qu’il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs, il est également avéré qu’il n’y a pas de corrupteurs sans corrompus, même si le regretté capitaine du Faso, Thomas pour ne pas le nommer, préférait sabrer le corrupteur. L’élite semble poreuse et se prête trop souvent aux desiderata du Dieu argent et de l’ange du matériel et du confort au point de dévoyer tous les rapports en société. Elle devrait se convaincre pourtant que dans un système démocratique, la majorité gouverne, la minorité s’oppose, surveille et contrôle la gestion du pouvoir. Elle contribue ainsi à l’équilibre et sert de garde-fous contre tout pouvoir qui corrompt absolument.

Malheureusement, dans notre pays, nous remarquons qu’une bonne partie de ceux qui sont dans l’opposition utilisent plutôt leur position pour se vendre. Cette frange de la classe politique sénégalaise aime tirer avantage des aspirations du peuple en monnayant sans honte la posture usurpée de représentant.

Dans son zèle de marchander ses attributs, cette classe politique ne se sent pas obligée de représenter effectivement les intérêts des collectivités qui l’ont élue, mais seulement ses intérêts propres. Ce faisant, elle oublie cependant qu’elle est en train de scier la branche sur laquelle, elle est assise en se décrédibilisant de plus en plus auprès des citoyens qui sont plus informés qu’elle ne croit.

Madior FALL

sudonline.sn

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