Malick Diagne, spécialiste des questions de décentralisation : « Le HCCT a un enjeu de crédibilité qu’il faut gagner »

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Après son adoption, le 20 mars et son installation le 31 octobre 2016, le Haut conseil des collectivités locales prend progressivement forme sous la houlette du président Ousmane Tanor Dieng. Mais selon Malick Diagne, le leader socialiste et ses camarades Hauts conseillers ont aujourd’hui comme enjeu de crédibiliser l’institution pour montrer son utilité sur la conduite des politiques publiques, surtout au niveau local.

L’adoption et la mise en place du Haut conseil des collectivités territoriales soulèvent jusqu’ici un débat sur l’opportunité de cette institution. Qu’en pensez-vous en tant que spécialiste de la décentralisation ?

Le débat est derrière nous, du moment que cette institution a été mise en place et qu’elle figure maintenant en bonne place dans l’architecture institutionnelle de notre pays. Non seulement, elle a été constitutionnalisée, mais elle a fait l’objet d’une loi organique qui fixe les attributions, les missions, la composition et l’organisation. C’est le propre de ces genres d’institutions de susciter beaucoup de passion et un débat qui tourne en général sur son opportunité ou non, son efficience ou sa non efficience. Au Sénégal, nous avons une tradition bien ancrée qui consiste de prime abord à avoir un regard sceptique sur l’arrivée d’une nouvelle institution.

Généralement, on ne les voit pas d’un bon œil. Le premier Sénat, institué sous Abdou Diouf en 1999, avait soulevé beaucoup de tollés au point que sa suppression figurait sur les programmes de l’ensemble des candidats à l’élection présidentielle de 2000. Il a été supprimé à la survenue de l’alternance, mais a été remis sur le tapis par le Président Abdoulaye Wade avant d’être à nouveau rayé de l’architecture institutionnelle de notre Pays par Macky Sall qui a créé le Haut conseil des collectivités territoriales. Il ne faut s’étonner de voir demain cette nouvelle institution sortir du jeu politique, avec l’arrivée d’un nouveau locataire au Palais présidentiel. Si de telles institutions créent des lignes de fracture dans notre pays, c’est peut-être parce que trop souvent la politique politicienne prend le dessus. Il y a donc un enjeu de crédibilité de nos institutions qui reste un défi permanent pour l’ensemble de la classe politique. Le même constat peut être relevé en ce qui concerne les citoyens qui sont partagés, si l’on s’en tient aux avis donnés ici et là dans les émissions interactives.

Etait-ce selon vous opportun de mettre en place cette institution ?

Si vous regardez l’exposé des motifs de la nouvelle Constitution et de la loi organique qui fixe les attributions, les missions, la composition et le fonctionnement du Haut conseil des collectivités territoriales, il n’y a pas matière à débat. Très clairement, il apparait une volonté politique fortement appuyée de mieux encadrer les politiques publiques locales et de faire franchir à la décentralisation une nouvelle étape. Depuis longtemps, les générations politiques antérieures qui sont les pionniers de la décentralisation au Sénégal que sont Daby Diagne, Thierno Birahim Ndao, feu Mbaye Jacques Diop, Mamadou Diop rêvaient de voir la décentralisation ériger en politique publique. On peut dire que leur rêve s’est réalisé.

Avec le Haut conseil des collectivités territoriales, le Sénégal dispose aujourd’hui d’une chambre spécialement dédiée, pouvant parler au nom et pour les citoyens, les contribuables locaux, les élus locaux, les collectivités locales et les territoires. On ne peut pas demander mieux. Cette nouvelle institution peut être d’autant plus utile que lors du dernier sommet Africités tenue à Johannesburg, tous les pays qui disposaient d’une telle chambre ont été plébiscités. Cites et gouvernements Locaux Unis d’Afrique qui est une voix d’autorité quand il s’agit de la décentralisation en Afrique plaide régulièrement auprès des Etats pour la mise en place d’une institution dédiée à la décentralisation. Maintenant, tout dépendra de ce que les Hauts conseillers en feront. Il y a un enjeu de crédibilité qu’il faut gagner. Il y a un fort climat de suspicion et de défiance qu’il faut retourner.

En quoi peut-elle être utile ?

Elle peut être utile à plusieurs niveaux. D’abord, il faut rétablir et maintenir intacts la concertation et le dialogue entre l’Etat et les collectivités locales. La dernière réforme portant Code général des collectivités territoriales plus connue sous le nom d’Actes III de la décentralisation a beaucoup perturbé les relations entre les différentes parties prenantes. C’est une opportunité qui s’offre au Haut conseil de procéder à une évaluation exhaustive, inclusive et objective de cette réforme pour débusquer les blocages et les paralysies et ainsi corriger les dysfonctionnements. Le Haut conseil des collectivités territoriales peut aider les pouvoirs publics au niveau central a être attentifs aux préoccupations des élus et à s’approcher davantage des citoyens et des contribuables locaux qui ont beaucoup de récriminations sur la vocation même de nos collectivités locales et sur l’absence des services publics locaux de proximité. La décentralisation ne peut pas donner des résultats, s’il n y a pas de dialogue permanent entre les différentes parties prenantes.

Quel rôle doit-elle jouer, selon vous, dans la politique de décentralisation du Président Macky Sall ?

Il y a déjà un processus entamé avec le Code général des collectivités territoriales. Le gouvernement lui-même et la présidence de la République ont reconnu que c’est une réforme inachevée qui comporte une deuxième phase portant sur la question des finances locales, plus généralement, et du régime financier des collectivités locales, plus particulièrement. Des sujets passionnels ont été agités, notamment la suppression des régions en tant qu’entités administratives et leur substitution par des pôles territoires. Pour une réforme aussi importante, il faudra beaucoup de pédagogie et des outils d’aide pour éclairer la décision et l’action. Il faudrait impérativement mettre la concertation et le dialogue au cœur de la démarche, en définissant clairement et en s’accordant sur les modalités. C’est le rôle du HCCT d’encadrer et d’accompagner la réflexion.

Il y a aussi ce regard pointu qui est attendu sur les liens qui apparaissent au grand jour sur l’enchevêtrement entre décentralisation, communautarisme, repli sur soi, radicalisme, terrorisme et partition territoriale. Il y a des exemples malheureux au Mali et au Rwanda, avec des découpages du territoire qui ont abouti à une guerre civile et à des tentatives de partition. Il y a des lignes de conduite à fixer très clairement pour épargner à notre pays de telles dérives. C’est un grand chantier pour le Haut conseil des collectivités territoriales

Comment voyez-vous le profil des gens qui composent cette institution parmi lesquels, le Secrétaire général du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng ?

Il y a d’anciens ministres de la décentralisation, Souty Touré et Aliou Sow. C’est déjà très bien d’avoir des personnalités politiques qui ont été au cœur de ces problématiques, pendant plusieurs années, pour avoir été à la tête de ce ministère. Ils comprennent les enjeux et ont certainement une idée claire de la direction où il faut aller. Le Président de cette nouvelle institution est une personnalité politique de premier plan dans notre pays. Il a été pendant longtemps à côté d’Abdou Diouf qui, il faut le dire, a ouvert le plus grand chantier de la décentralisation au Sénégal avec la réforme de 1996. Il a libéré les collectivités locales avec la suppression de la tutelle qui pesait sur elles et il a été le premier président du Sénégal à constitutionnaliser la liberté des collectivités locales.

Il y a ensuite la régionalisation, le transfert de compétence de l’Etat vers les collectivités locales, etc. Donc, forcément l’expérience, l’expertise et le vécu parlent pour Ousmane Tanor Dieng. Maintenant, tout dépendra de ce qu’il fera de ce capital. Pour les autres Haut conseillers, il sera difficile d’avoir un jugement, puisque pour la majorité d’entre eux, à l’exception de quelques-uns comme Ousmane Badiane, Cheikh Guéye, Yatma Fall, ils sont inconnus du grand public. Mais, le fait d’être inconnu ne leur enlève nullement la légitimité d’être Hauts conseillers, puisqu’ils ont été élus pour certains et nommés pour d’autres par le président de la République

Le Hcct est institué dans un contexte où les communes rencontrent d’énormes difficultés liées à leur survie, surtout avec la réforme de l’Acte 3 de la décentralisation. En tant que laboratoire de la décentralisation, le HCCT est-il capable de proposer des solutions pertinentes à même de solutionner ces problèmes ?

Oui. Dans son fonctionnement, dans ses missions comme dans son organisation, le Haut conseil a tous les pouvoirs pour agir. Non seulement, il sera associé en amont par le gouvernement pour donner son avis sur les projets de loi touchant à la décentralisation et aux territoires, mais également, il soumet un rapport annuel au président. Il peut aussi de lui-même prendre des initiatives allant dans le sens de conforter la décentralisation

Quels sont les chantiers sur lesquels l’institution dirigée par Ousmane Tanor Dieng doit s’investir le plus ?

Les chantiers sont nombreux. Il y a le statut de l’élu local qu’il faut clairement définir une bonne fois pour toutes, les libertés locales à approfondir, le régime financier des collectivités locales qu’il faut rénover, les dispositions législatives et règlementaires à toiletter, les compétences transférées qu’il faut élargir ou restreindre, la charte de la déconcentration qu’il faut réactiver, la spécialisation de nos territoires qu’ il faut expérimenter, les bonnes pratiques qu’il faut aller chercher à l’extérieur pour les donner en exemple, s’il le faut, etc. Sur toutes ces thématiques, il faut un dialogue politique inclusif qui suppose la mise en place de dossiers de plaidoyer et une sensibilisation des différentes parties prenantes. C’est de cette façon qu’on arrivera à des consensus, à des lois et à des codes de conduite partagés par tous et acceptés de tous.

Interview réalisée par EnQuête

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