Réforme des institutions : et si ce qui est « bon » pour le Chef de l’Etat est dangereux pour notre démocratie ?

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Les sénégalais qui caressaient le rêve d’assister à des réformes institutionnelles majeures à même de faire franchir de nouveaux paliers à leur système démocratique doivent vite déchanter. L’accueil que le Chef de l’Etat et ses plus proches collaborateurs ont réservé aux propositions de la Commission Nationale de Réforme des Institutions -CNRI- n’incite vraiment pas à l’espoir. Le point qui semble le plus gêner les détracteurs de la CNRI est relatif à la disposition qui rend incompatible la charge de Chef d’Etat avec la fonction de chef de parti. Le Parti du Président de la République étant jeune, ses membres estiment nécessaire qu’on lui laisse le temps de grandir et de se massifier pour offrir à son chef un second mandat. Aux partisans d’une vision aussi réductrice, il me plait d’adresser les questions suivantes : dans ce débat, la carrière d’un Homme politique et le sort de son parti sont-ils en jeu ou plutôt la viabilité de nos Institutions ? Si le statuquo institutionnel doit être maintenu au nom des intérêts exclusifs d’un clan, à quoi aura servi l’alternance du 25 mars ? Si les Institutions héritées du régime sortant doivent rester intactes au seul motif qu’il ne faut pas compromettre le désir d’un acteur politique à conserver le pouvoir, quel intérêt y avait-il pour de nombreux Sénégalais à braver pendant des semaines à la Place de l’Indépendance l’odeur des grenades lacrymogènes au prix de leur vie à un moment où celui qui a tiré les profits de tous ces sacrifices effectuait des tournées paisibles à l’intérieur du pays pour son propre compte ?
Toute réforme, qu’elle soit politique, économique ou sociale, produit forcément des conséquences qui touchent à des intérêts particuliers. Mais, ce n’est pas une raison pour y renoncer. La loi portant baisse des loyers génère au niveau de nombreux Sénégalais -les bailleurs et leurs familles- des pertes financières énormes que l’Etat n’est pas disposé à compenser. Pourtant, c’est une loi acceptée parce que salutaire.
A vrai dire, la gestion de l’Etat dans notre pays de l’indépendance à nos jours est marqué par des confusions telles qu’il est difficile pour les sénégalais de distinguer ce qui est lié à la vie du parti et ce qui relève des affaires de l’Etat. Les pratiques et attitudes partisanes décriées sous le régime de Wade et qui avaient motivé l’introduction dans la « Charte de gouvernance démocratique » d’une disposition interdisant au Président de la république de diriger un parti ont malheureusement survécu à la nouvelle alternance. Qui peut nier que le Palais de la République, patrimoine commun à tous les sénégalais, continue d’abriter des rencontres du parti et de la coalition au pouvoir sous la présidence du Chef de l’Etat ?
Mais, le dédoublement fonctionnel du Chef de l’Etat pose un problème plus grave. L’on ne peut oublier les propos tenus par le Président de la République le 22 décembre à Mbodiène devant une foule de militants et d’alliés politiques au cours d’une rencontre organisée par une structure de son parti, la « Convergence des jeunesses Républicaines » : « A partir d’aujourd’hui, je n’accepterai plus d’être attaqué impunément ; je ne permettrai plus à personne de porter atteinte à mon image… Ce n’est pas moi qui le dis : c’est la Constitution de notre pays ». Le caractère partisan de la manifestation qui a servi de cadre au Président de la République pour invoquer ses prérogatives constitutionnelles sur fond de menaces à ses adversaires politiques prouve à suffisance que lui-même est incapable de dissocier la fonction présidentielle et celle de chef de parti. Sinon ; il aurait compris qu’en laissant ce jour-là la tunique de Chef d’Etat au palais pour enfiler celle de chef de parti s’adressant à ses militants et alliés, il n’avait plus le droit de recourir aux pouvoirs que lui confère la Constitution qui va au-delà des contingences partisanes et qui ne saurait en conséquence s’inscrire dans une logique de règlements de comptes politiques. La conséquence triste qui découle d’une telle confusion au sommet de l’Etat, c’est que l’article 80 de notre Charte fondamentale est devenu un sabre suspendu sur la tête des opposants privés du droit de répondre à la dimension des attaques d’un adversaire politique -le chef du parti au pouvoir en même temps Chef de l’Etat- qui n’hésite pas à s’abriter sous la parapluie de la Constitution. Quelle rupture d’égalité ! Les « attaques » qui ont valu la réponse du Chef de l’Etat à traves les propos cités plus-haut visent-elles l’institution présidentielle ou le Président du parti au pouvoir ? Difficile de répondre.
Au total, dans un pays où les gouvernants n’ont pas la culture républicaine nécessaire pour séparer le parti et l’Etat, seule la Constitution permet de délimiter de façon claire les frontières propres à chaque sphère. Les réformes institutionnelles ne doivent pas tenir compte seulement de ce qui est « bon » pour un clan, mais de qui peut apporter une valeur ajoutée à notre démocratie.
Serigne Assane Kane
Parti Socialiste
Membre de la Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme
[email protected]

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