A propos de la requête en annulation de la loi n°13/2015 portant révision du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale : trois défis au Conseil constitutionnel

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La saisine du Conseil constitutionnel par des députés de l’opposition tendant à l’annulation de la loi n°13/2015 portant révision du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale est une occasion pour le Conseil constitutionnel de clarifier certaines approximations concernant aussi bien le droit de saisine des députés que les restrictions législatives relatives aux droits des parlementaires. Le Conseil constitutionnel connaît-il la constitutionnalité du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ? Telle n’est pas la question, car le Conseil est compétent pour contrôler toutes les lois votées par l’Assemblée nationale. La question à poser plutôt est de savoir si la requête en inconstitutionnalité répond aux conditions de saisine fixées par la Constitution ? Le Conseil ne devrait pas se limiter à apporter une réponse positive. A notre sens, le potentiel jurisprudentiel de la décision attendue tourne au tour de trois défis.

      1)   La clarification de la nature juridique du Règlement intérieur de    

             l’Assemblée nationale

Dire que le Conseil constitutionnel devrait déclarer la requête irrecevable parce que le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’a pas la valeur d’une loi organique est une curieuse interprétation des conditions de saisine du juge constitutionnel. Le droit pour les députés de saisir le juge constitutionnel afin de déclarer une loi non conforme à la Constitution n’est pas fondée ni sur la nature juridique ni sur valeur juridique da la loi en cause. L’article 74 qui le consacre est à sujet indifférent.

D’ailleurs, pour permettre au Conseil constitutionnel de clarifier la nature juridique du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il serait intéressant que le gouvernement, comme il vient de le faire à travers le conseiller juridique du Président de la République et surtout en vertu de l’article 12 de la loi 92-23 produise devant le Conseil un mémoire écrit à cet effet. L’intérêt d’une telle démarche est double. D’un coté, avec ses observations, le gouvernement officialise sa position et au besoin pourrait étoffer son argumentaire. D’un autre coté, elle donne l’opportunité au juge constitutionnel de se prononcer sur cette question sans qu’il ne soit forcément nécessaire de lui reprocher d’avoir statué ultra petita.

En attendant cette initiative, déterminer la nature organique du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale est un exercice très abordable. La combinaison de seulement quelques dispositions de la Constitution et de l’actuel Règlement intérieur invalide la thèse contraire.

Selon l’article 121 al.1 du Règlement intérieur, ce dernier peut être modifié conformément aux dispositions des articles 62 et 78 al.1 de la Constitution.  L’article 78 al. 1 dispose que: « Les lois qualifiées organiques par la Constitution sont votées dans les conditions prévues à l’article 71. Toutefois, le texte ne peut être adopté par le Parlement qu’à la majorité absolue de ses membres. » Par conséquent, l’article 121 al.1 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale rappelle que toute modification à son propos ne peut se faire que suivant la procédure de vote et d’adoption applicable aux lois organiques et consécutivement à cette adoption- c’est l’objet de l’article 62- sa promulgation est obligatoirement subordonnée à un contrôle de constitutionnalité dont le Président de la République a seul compétence à déclencher. Ces dispositions renferment les critères formels de définition, en droit constitutionnel sénégalais,  des lois organiques en général (majorité absolue exigée pour leur adoption) et du Règlement intérieur en particulier (contrôle à priori obligatoire).  Et il n’est pas possible de prouver qu’une quelconque révision ait pu remettre en cause ces éléments essentiels qui caractérisent la loi organique portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Mieux encore, le Règlement intérieur concrétise plusieurs dispositions constitutionnelles de renvoies relatives à l’Assemblée nationale qui ne peuvent être réalisées que par une loi organique. A titre d’illustration on peut citer l’article 88 du Règlement intérieur qui précise que les conditions de délégation de vote des députés en application de l’article 64 de la Constitution : « La loi organique peut autoriser, exceptionnellement, la délégation de vote. » Aussi peut-on citer, entre autres, le chapitre XXVII (art. 109 à 118) du Règlement intérieur qui, parce qu’il fixe au moins en partie le régime des incompatibilités concernant les députés applique l’article 60 al. 3 de la Constitution qui précise que c’est « [u]ne loi organique qui fixe (…) le régime (…) des incompatibilités. »

D’un point de vue strictement théorique, le Règlement intérieur d’une Assemblée législative se prête mal à la qualification de loi ordinaire. La notion de loi organique se définit aussi par son contenu. Une loi est dite organique parce qu’elle a pour fonction de compléter la constitution en fixant de façon plus détaillée l’organisation et le fonctionnement d’un pouvoir public ou d’une institution désignée comme telle par la Constitution. En suivant la thèse négationniste, l’Assemblée nationale serait la seule institution de la République qui soit régie par une loi ordinaire. Cette approche est d’autant plus surprenante qu’elle affaiblit le principe de la séparation des pouvoirs en dégradant le statut normatif du texte régissant l’institution parlementaire. Les lois constitutionnelles et les lois organiques sont en fait les principales sources du droit des institutions politiques ayant un statut constitutionnel. C’est ainsi que par exemple la plus part des juridictions qui forment le pouvoir judiciaire sont régies par des lois organiques ; même le statut des magistrats n’échappe pas à la règle.

      2°) L’affirmation de l’autonomie du droit de saisine des députés

Dire également que le Conseil constitutionnel devrait déclarer irrecevable la requête parlementaire en annulation de la proposition de révision du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale parce que la Constitution réserve l’exercice d’une telle saisine uniquement au Président de la République relève d’une lecture partielle des règles de saisine du juge constitutionnel. En effet, on ne peut exclusivement tabler sur l’article 62 al.2 de la Constitution pour clôturer l’accès au juge constitutionnel. Quand cet article dispose que « [le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ne peut être promulgué si le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi par le Président de la République, ne l’a déclaré conforme à la Constitution »], c’est pour obliger le pouvoir exécutif, de s’assurer que le pouvoir législatif en fixant lui-même, conformément au principe de la séparation des pouvoirs, ses règles d’organisation et de fonctionnement n’a pas outrepassé les limites tracées par la Constitution. Telle est ici la fonction essentielle de ce contrôle a priori obligatoire. Il ne saurait faire obstacle à l’application de l’article 74 al.1 de la Constitution en vertu duquel : « Le Conseil constitutionnel peut être saisi d’un recours visant à faire déclarer une loi inconstitutionnelle : (…) par un nombre de députés au moins égal au dixième des membres de l’Assemblée nationale, dans les six jours francs qui suivent son adoption définitive. » Le dire, c’est non seulement créer une hiérarchie entre l’article 62 al.2 et l’article 74 al. 1 mais aussi créer une exception au droit de saisine des députés. En réalité, le droit de saisine des députés aux fins d’annulation de la proposition de loi portant révision du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale est autonome par rapport à l’obligation, pour le Président de la République, de saisir le juge constitutionnel afin de statuer sur la conformité du Règlement intérieur à la norme fondamentale. Dit autrement, le droit pour les parlementaires de saisir le juge constitutionnel n’est pas fondé sur la nature organique de la loi mais simplement sur sa nature législative.

Enfin parce que la réforme, pour l’essentiel, bouscule des droits fondamentaux des parlementaires, le défi du juge constitutionnel est désormais de les garantir.

         3°) La garantie juridictionnelle des droits fondamentaux des parlementaires

Le Parlementarisme majoritaire est un cancer qui ronge notre système politique. Il se joue de nos aspirations démocratiques et pervertissent nos mœurs politiques. Il est du rôle du juge constitutionnel de contribuer à le canaliser, car la loi qui lui sert de support n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution.

La proposition de réforme comporte deux modifications qui justifient la saisine du juge constitutionnel: l’exigence d’un nombre de députés au moins égal à 1/10e des membres de l’Assemblée pour constituer un groupe parlementaire et la règle suivant laquelle tout député qui quitte son groupe parlementaire ne peut, en aucun cas, rejoindre un autre. Ces propositions de révision du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale violent-elles les droits fondamentaux des parlementaires ?

Concernant la première règle, évidemment, elle marque un recul démocratique. La condition numérique qu’elle porte valse depuis 1960 en fonction des calculs politiciens du parlementarisme majoritaire et en l’absence de règle constitutionnelle expressément contraire elle reste conforme à la Constitution. Elle ne porte pas non plus atteinte à ce que nous désignons par droits fondamentaux du parlementaire.

Par contre, s’agissant de la seconde proposition, le conflit est bien là. Si l’on accepte de définir les droits fondamentaux du parlementaire au sens formel, c’est à dire l’ensemble des droits et libertés protégés par des normes constitutionnelles reconnues aux députés en tant que membres de l’institution parlementaire et non en tant que citoyen tout court, il est tout à fait envisageable que le juge constitutionnel annule la disposition litigieuse.

Cependant, l’argumentaire disponible, et développé par certains auteurs de la requête, laisse davantage entrevoir la défense des droits fondamentaux du député ‘‘citoyen ordinaire’’ que du député membre de l’Assemblée nationale. C’est ainsi que l’argument de la violation de la liberté d’association a été plusieurs fois soulevé. Son opérationnalité devant le Conseil constitutionnel nous paraît largement incertaine, car la liberté d’association ne s’applique pas aux organes parlementaires. Le groupe parlementaire n’est pas une association. Il n’en a pas le statut. C’est un organe de travail du Parlement dont le régime juridique est spécifique et n’a rien à voir avec celui qui s’applique aux associations. Par conséquent la constitutionnalité de ces nouvelles propositions de restrictions législatives quant à leur mode de constitution ou de participation ne peut être appréciée au regard de la liberté d’association du député ‘‘citoyen ordinaire’’.

En revanche, le groupe parlementaire peut bien avoir le statut d’association à condition que le Règlement intérieur apporte, dans l’avenir, la modification nécessaire à cet effet.

En l’espèce donc nous ne pensons pas que le droit fondamental que le juge constitutionnel doit garantir est la liberté d’association mais la liberté d’expression. Quelle liberté d’expression, du ‘‘citoyen ordinaire’’ ou du citoyen député ? Il s’agit de la liberté d’expression du citoyen-député. Il trouve son fondement juridique dans l’article 58 de la Constitution. Cette disposition consacre un droit fondamental spécifique : le droit de s’opposer. Qui en est le titulaire ? Si l’on se contente d’une interprétation littérale de l’article 58 al. 1 on pourrait facilement conclure à la nature collective du droit de s’opposer. Mais c’est oublier que la combinaison de ses dispositions montre en fait que la Constitution, concernant la notion d’opposition, retient deux sous-catégories juridiques : l’opposition parlementaire (art. 58 al. 3) et l’opposition non parlementaire (implicitement). La précision consécutive selon laquelle l’opposition parlementaire est représentée par les députés à l’Assemblée nationale  autorise à dire que le droit de s’opposer est d’une part, un droit aussi bien collectif qu’individuel et d’autre part, son respect doit être observé à l’Assemblée nationale quelle que soit l’appartenance politique de son titulaire (partis politiques ou coalitions). Dès lors la proposition législative en vertu de laquelle tout député qui quitte son groupe parlementaire ne peut rejoindre un autre constitue manifestement une entrave à l’exercice du droit de s’opposer dans le cadre des organes de travail du Parlement. La restriction est d’autant plus surprenante qu’elle empêche le député membre d’un groupe parlementaire formé par une coalition politique issue des élections législatives, d’intégrer (selon ses affinités du moment ou de toujours) un second groupe ou de participer à la formation d’un autre groupe. Même la limitation du nombre de changement de groupe possible, plus raisonnable d’ailleurs comme proposition,  mettrait le législateur dans une situation inconfortable par rapport au respect de l’article 58.

En résumé, la question de l’existence d’un droit  fondamental de s’opposer pour le député ne se pose pas ; l’opérationnalité du droit de s’opposer non plus : il est justiciable, à la fois subjectif et collectif et d’applicabilité directe.

Le droit de s’opposer est de ce point de vue une manifestation constitutionnelle du mandat représentatif. Le protéger c’est assurer l’intégrité du mandat représentatif, du moins ce qui en reste. En effet, depuis l’apparition de l’article 60 al. 4 en 2001, le mandat politique du député est un mandat représentatif situé ou un mandat impératif partiel. Cela veut dire, même si le député ne représente pas ses électeurs, il représente au moins le parti qui l’a investi. A l’exception constitutionnelle selon laquelle le député qui démissionne de son parti perd son mandat, la proposition de réforme ajoute une autre d’après laquelle le député qui quitte son groupe parlementaire (créé par son parti ou par une coalition) devient un non inscrit jusqu’à la fin de la législature.

La garantie des droits fondamentaux des parlementaires en général et des députés de l’opposition en particulier constitue l’une des déclinaisons modernes du principe de la séparation des pouvoirs. Aujourd’hui, un gouvernement modéré est celui qui accorde une place choix à l’opposition et qui favorise l’alternance politique. C’est pourquoi, dans le placard des révisions déconsolidantes de notre démocratie, cette proposition de loi y a certainement sa place. C’est au juge constitutionnel de la ranger dans la catégorie qu’elle mérite – et qui est pourtant la moins pire- c’est-à-dire de celles qui n’entrerons jamais en vigueur.

Ibrahima KA

Enseignant-chercheur en droit public.

Université du Littoral Cote d’Opale (France)

 

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