Blanchiment d’argent: le doyen des juges lave le cambiste Demba Sy et Samuel Sarr

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SOUPÇONS DE BLANCHIMENT SUR 52 MILLIARDS ET UN CHANGE DE 108 MILLIONS

Le Doyen des juges d’instruction de Dakar a pris le 8 juin dernier une ordonnance de non-lieu en faveur du cambiste Demba Hamel Sy, de ses deux enfants Cheikh Ahmeth Tidiane Sy et Samba Sy, tous soupçonnés par la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) de « recyclage de fonds » portant sur 52.853.54.469 Fcfa. Dans son ordonnance qui fait suite à plus de quatre mois de procédure, sanctionnés par l’inculpation des trois membres de la famille Sy le 6 avril 2010, le juge du premier cabinet blanchit Samuel Sarr « invité » dans cette affaire pour avoir échangé, sur une période de trois ans, 108 millions de Fcfa auprès du cambiste.

Les soupçons de la Centif

Le 13 septembre 2010, le président de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) transmettait au Procureur de la République Ousmane Diagne le rapport numéro Fnk/Mef/Centif relatif à des soupçons de blanchiment de capitaux portant sur la somme de 52.853.54.469 Fcfa imputables principalement à Demba Hamel Sy, agréé de change manuel. La Centif expliquait dans son rapport avoir été informée par un déclarant (en référence à la déclaration de soupçon, l’identité de l’information est toujours gardée confidentielle selon les textes) de la passation par Demba Hamel Sy de nombreuses transactions suspectes auprès de la United Bank of Africa et de Ecobank, qui retraçaient dans leurs livres d’importants mouvements de capitaux révélateurs d’indices de blanchiment de capitaux. Il précisait que pour Uba, Demba Hamel Sy avait ouvert un compte numéro 3030700000029 le 12 mai 2009 avec une procuration donnée sur ce compte à ses fils Cheikhouna Ahmed Tidiane Sy et Samba Demba Sy ; lequel compte avait entre le 12 mai 2009 et le 31 août 2010, enregistré des versements en espèces de 27.48.063.865 Fcfa dont les 24.996.101.854 Cfa avaient servi à l’achat de devises pour des montants respectifs de 17.072.500 euros et 100.000 dollars. Toujours selon la Centif, le compte ouvert dans les livres de Ecobank enregistrait à son tour des mouvements similaires entre janvier 2009 et juin 2010, portant sur la somme de 28.071.422.150 Fcfa ayant servi à l’achat de devises, dont 23.195.000 euros et 28.570.000 dollars.

Comment Samuel Sarr est entré dans le dossier

La Centif ajoutait que ces manipulations portent sur de fortes sommes dont le volume dépassait de très loin les besoins et autres potentialités du marché local en matière de change manuel. Les renseignements financiers ajoutaient qu’elles étaient faites en violation délibérée des obligations professionnelles contenues dans le règlement numéro 09/Uemoa portant réglementation des changes et relatif à l’identification des acheteurs de devises et à la tenue d’un registre des opérations comportant les informations sur l’identité des clients.

Le rapport concluait que Demba Hamel Sy n’avait pu produire le moindre justificatif sur les reventes de devises. Avant de le soupçonner de « recyclage de fonds qui ne peuvent provenir que de la corruption, du versement de commissions occultes, de dessous de table au bénéfice de personnalités qui ont un pouvoir de décision dans des secteurs stratégiques ». À la suite de ce premier rapport, la Centif avait adressé un « Complément » au Procureur de la République. C’est ce « Complément » qui fait entrer l’ancien ministre de l’Energie, Samuel Sarr dans le dossier. En effet, la Centif y affirme que des réquisitions adressées à Ecobank révèlent que Samuel Sarr avait remis à Demba Sy, les 14 août 2008, 22 juin 2009 et 27 avril 2010 trois chèques de montants respectifs de 33.600.000 Fcfa, 6.800.000 Fcfa et 68.000.000 Fcfa soit un total de 108.400.000 Fcfa « sans aucune justification économique apparente ».

La Section Recherches entre dans la danse

Le Procureur de la République ouvre alors une information judiciaire et ordonne une enquête préliminaire à la Section Recherches de la Gendarmerie nationale. Entendu sur procès-verbal par les hommes du capitaine Mbow, chef des enquêteurs, Demba Hamel Sy affirme qu’il se livrait à l’activité de change à travers un bureau légalement constitué et bénéficiait d’un agrément. En même temps, précisait-il, il était l’intermédiaire entre des établissements bancaires et des personnes qui lui font confiance pour procéder à des opérations d’achat de devises. C’est à ce titre, selon sa déposition, qu’il a été sollicité à deux reprises par Samuel Sarr qui lui remettait des chèques durant le week-end, contre de l’argent liquide. Le cambiste précisait qu’il était aidé dans sa tâche par ses fils Cheikhouna Ahmed Tidiane Sy et Samba Demba Sy, ainsi que par un collaborateur du nom de Mamadou Demba qu’il chargeait lors de ses déplacements à l’étranger d’assurer la gestion.

Le cambiste brandit ses carnets

Pour se disculper, le cambiste a produit devant les gendarmes des copies de carnet de compte-rendu des activités du bureau de change. Il concédait cependant que certaines factures avaient disparu durant son voyage à la Mecque, puisque son neveu à qui il avait confié le bureau avait fait main basse sur les recettes, emportant avec lui certains documents. Convoqués et entendus par les enquêteurs, ses fils Cheikhouna Ahmed Tidiane Sy et Samba Demba Sy confirment les déclarations de leur père relatives à la procuration et à leur implication personnelle dans la gérance du bureau de change, toutes les fois que ce dernier devait s’absenter pour les besoins du pèlerinage à la Mecque. Samba Demba Sy ajoutait que chaque matin, son père lui remettait un million de Fcfa, pour alimenter les caisses du bureau de change en achetant sur le marché des devises.

L’enquête des gendarmes bouclée, le Doyen des juges prend le relais du dossier à la suite d’une information judiciaire pour blanchiment de capitaux et complicité de blanchiment ouverte par le Procureur de la République contre Demba Sy, ses deux enfants et X. A charge pour le juge du premier cabinet de voir si « X » pouvait être Samuel Sarr ou une quelconque autre personne. Demba Hamel Sy et ses deux enfants seront inculpés le 6 avril 2011 de blanchiment d’argent pour le père et complicité pour ses fils. Ils seront tous placés sous contrôle judiciaire. À charge pour eux de se présenter aux réquisitions du juge, sous peine d’un mandat d’amener.

Neveu et voleur

Entendue dans le fond du dossier, la famille Sy maintient ses déclarations et va plus loin. Demba Hamel Sy déclare devant le juge instructeur que son bureau de change était parmi les plus importants du pays en termes de volume de chiffre d’affaires, mais que les chiffres avancés par la Centif étaient inexacts. Ceux-ci, selon lui, pourraient à la limite représenter des provisions dégagées par la banque et non des liquidités détenues par le bureau qu’il dirige. S’agissant des carnets perdus, il en imputait la responsabilité à Demba Sy (son neveu et homonyme) qui avait profité de son absence pour commettre des malversations et disparaître avec certaines factures. Le cambiste ajoutait que ses fils faisaient office de coursier et ne le suppléaient dans ses activités qu’en cas d’absence ; ce que ces derniers allaient confirmer devant le juge.

La conviction du juge

Pour fonder les non-lieu décernés dans cette affaire, le Doyen des juges explique dans son ordonnance que l’article 2 de la loi numéro 2004-09 du 06 février 2004 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux prévoit, au titre de l’élément matériel de cette infraction, quatre modalités. Premièrement, la conversion, le transfert ou la manipulation de biens dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit, ou d’une participation à ce crime ou à ce délit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne impliquée dans la commission de ce crime ou délit à échapper aux conséquences judiciaires de ses actes.

Deuxièmement, la dissimulation, le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réelle de biens ou de droits y relatifs, dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit, ou d’une participation à ce crime ou ce délit.

Troisièmement, l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens dont l’auteur sait, au moment de leur réception, qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit ou d’une participation à ce crime ou délit.

Enfin la quatrième modalité est l’entente ou la participation à une association en vue de la commission d’un fait constitutif de blanchiment de capitaux, l’association pour commettre ledit fait, les tentatives de le perpétrer, l’aide, l’incitation ou le conseil à une personne physique ou morale, en vue de l’exécuter ou d’en faciliter l’exécution. Ces actes matériels de dissimulation, de conversion ou déguisement doivent cependant pour être pénalement répréhensibles, « être conjugués à une intention clairement orientée vers le recyclage de sommes d’argent « impropres », car acquis illicitement pour avoir été le produit d’une activité criminelle.

Les 108 millions échangés par Samuel Sarr sur trois ans, une goutte d’eau dans les 52 milliards mis en cause

En l’espèce assène le doyen des juges, en dehors de l’importance des montants en jeu et des développements de la Centif qui imputait à Demba Sy (« qui les contestait », selon le magistrat) les déclarations selon lesquelles « il rétrocédait les devises à des personnalités politiques et se servait de son agrément pour le recyclage des fonds qui ne peuvent provenir que de la corruption, du versement de commissions occultes, de dessous de table au bénéfice de personnalités qui ont un pouvoir de décision dans des secteurs stratégiques ». Pour le juge, il ne ressort nullement du dossier des éléments pouvant asseoir l’existence d’une infraction sous-jacente dont la commission aurait procuré les sommes concernées.

En effet, estime le juge du siège, la somme de 108.400.000 Fcfa reçue en trois temps par Samuel Sarr sur trois ans (33.600.000 Fcfa le 14 août 2008, 6.800.000 Fcfa le 22 juin 2009 et 68.000 Fcfa) rapportée à celle faramineuse de 52.853.469 Fcfa ne renseigne pas, « au regard de son insignifiance, sur l’existence de rapports soutenus entre Demba Hamel Sy et ces personnalités politiques qui ont un pouvoir de décision dans des secteurs stratégiques » et qui, « comme le soutient le président de la Centif, s’appuyaient sur lui pour blanchir ces sommes qui « proviennent de la corruption, du versement de commissions occultes et de dessous de table », affirme le juge. Pour qui, l’implication personnelle des fils Sy dans la gestion du bureau de change et leur position confirmée de coursier d’un employeur exerçant sur eux une autorité professionnelle, mais surtout morale traduisent tout simplement un mode de gestion courant dans les entreprises familiales. « Il serait abusif de considérer cela comme une nébuleuse aux fins de recyclage d’argent sale », tranche le juge instructeur, avant de dire qu’il n’y a pas lieu de poursuivre davantage contre Demba Hamel Sy, Cheikhouna Ahmed Sy et Samba Demba Sy, désormais lavés de tout soupçon.

C.M. G

Une signature qui vaut 46 milliards de Fcfa aux Enquêtes douanières

C’est un dossier qui aura contribué à envenimer davantage les relations déjà tendues entre le ministre d’Etat, ministre des Finances Abdoulaye Diop et l’actuel conseiller financier du Président, qui vient d’être classé sans suite. La Centif étant sous la tutelle des Finances, les proches de Samuel Sarr avaient vu la main de Abdoulaye Diop derrière ce dossier, alors que la Centif affirmait avoir fait son travail en toute indépendance, conformément aux textes qui la régissent. Pour autant si l’enquête judiciaire est clôturée, une autre enquête s’est menée en dehors de la Justice. Il y a de cela une quinzaine de jours, le cambiste Demba Hamel Sy a été entendu à deux reprises par les Enquêtes douanières. Le bureau des Enquêtes avait été chargé d’exécuter les conclusions d’une commission mise en place par le ministère des Finances et comprenant un agent de la Douane, de la Direction de la Monnaie et du crédit et la Bceao. La commission avait déjà convoqué le même cambiste pour l’entendre sur des faits relatifs à l’infraction aux changes. Les conclusions de cette enquête ont été communiquées aux Enquêtes douanières pour exécution. C’est ainsi qu’à la suite de sa deuxième audition, Demba Hamel Sy a signé un papier attestant avoir commis des infractions sur des changes portant sur 46 milliards de Fcfa. Le dossier est actuellement au ministère des Finances qui peut, soit le contraindre à payer au minimum 10% du montant mis en cause, soit le gracier purement et simplement. Cela dit, les conseils de Demba Hamel Sy comptent attaquer la procédure et pour cause. Ces derniers estiment que Demba Hamel Sy, marabout originaire de Médina Gounass et qui effectue le pèlerinage chaque année (comme on le constate tout au long du dossier judiciaire), est illettré et c’est seulement après coup que ses conseils lui ont expliqué la nature du papier qu’il a signé.

C.M.G lasquotidien.com

 

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