L’annonce, dimanche 4 mars, par une équipe américaine de la première guérison « fonctionnelle » d’un bébé né porteur d’une infection par le virus du sida (VIH), transmis par sa mère, a suscité de nombreuses réactions mêlant espoir et prudence. L’histoire de ce bébé, né dans une zone rurale du Mississippi et à présent âgé de deux ans et demi, est en effet étonnante. Son nom et son sexe n’ont pas été divulgués par le docteur Deborah Persaud du centre pédiatrique de l’Université Johns Hopkins dans le Maryland.
A l’automne 2010, la mère de l’enfant s’est présentée dans un hôpital rural alors que le travail avait déjà commencé. Elle n’avait pas consulté de médecin au cours de sa grossesse et elle ignorait qu’elle vivait avec le VIH. Lorsque le test pratiqué à son arrivée a détecté une cette infection et donc un risque de transmission du virus au nouveau-né, l’équipe hospitalière a transféré ce dernier à l’hôpital de l’Université du Mississippi, où il a été accueilli trente heures après sa naissance. Les tests sanguins effectués sur le bébé ont montré la présence de matériel génétique du virus et une concentration (charge virale) d’environ 20 000 copies du virus par millilitre de sang. Un test positif si précocement après la naissance laisse penser que l’infection ne s’est pas produite lors de l’accouchement mais plus tôt au cours de la grossesse.
L’équipe hospitalière a pris l’initiative de donner à l’enfant, non pas un ou deux médicaments antirétroviraux comme c’est la règle, mais directement une trithérapie, combinant trois molécules différentes. Au bout d’un mois, la charge virale était devenue indétectable chez le bébé, c’est-à-dire que le nombre de copies du virus dans le sang est inférieur à 1000 par millilitre de sang. Après 18 mois de traitement, la mère a cessé de conduire l’enfant à l’hôpital et de lui donner ses médicaments, avant de se présenter à nouveau cinq mois plus tard. Les nouveaux tests pratiqués par les médecins ont surpris et ont fait soupçonner une erreur du laboratoire d’analyse puisque la charge virale demeurait indétectable. Seules de petites quantités de matériel génétique du VIH étaient décelables.
PAS EN AVANT
L’enfant est toujours porteur du virus, mais celui-ci ne paraît pas capable de se répliquer. D’où le terme de « guérison fonctionnelle » employé par l’équipe médicale, puisque la guérison complète supposerait l’éradication complète du virus de l’organisme. La mise très rapide sous traitement intensif contre le VIH expliquerait un tel résultat, mais il reste à démontrer qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé.
Le cas de cet enfant, qui n’a pas encore fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique à comité de lecture mais seulement d’une communication orale, rappelle celui de Timothy Brown. Il a été baptisé le « patient de Berlin », car c’est dans la capitale allemande que cet américain séropositif pour le VIH, a été traité pour une leucémie par une greffe de moelle. Si un tel traitement est des plus classiques, les médecins berlinois ont eu l’idée originale de choisir un donneur de moelle sanguine présentant des caractéristiques génétiques faisant qu’il maîtrise spontanément, sans traitement antirétroviral, son infection par le VIH. Directeur général de l’Agence nationale de recherche sur le sida, le professeur Jean-François Delfraissy a rapproché le cas de l’enfant américain, le premier du genre, de celui d’une douzaine de patients adultes vivant avec le VIH suivis en France et chez qui l’infection demeure parfaitement contrôlée sans traitement.
Pour sa part, la professeure Françoise Barré-Sinoussi, co-lauréate du prix Nobel de médecine pour la découverte et l’identification du VIH s’est réjouie de ce pas en avant : » Nous avons à présent des preuves suggérant que traiter l’infection par le VIH serait possible. Nous devons stimuler le financement de recherches pour les traitements. » Néanmoins, il reste à confirmer qu’un traitement intensif très précoce, durant un an et demi ou deux, serait susceptible de déclencher un contrôle de l’infection par le VIH même après l’arrêt des médicaments.
De plus, la question est d’ores et déjà posée de savoir comment exporter à l’avenir cette nouvelle approche dans les pays pauvres, là où vivent la plupart des 3,3 millions d’enfants infectés. Seulement 28 % d’entre eux bénéficient à l’heure actuelle de traitements anti-VIH et, même si ce nombre diminue nettement, on dénombrait en 2011 plus de 330 000 nouvelles infections chez des enfants. Outre leur procurer des traitements il faut commencer par atteindre les femmes enceintes pour mettre en œuvre une prophylaxie de la transmission. En 2011, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, environ 1,5 million de femmes vivant avec le VIH étaient enceintes mais seulement 57% ont reçu un traitement pour prévenir la transmission du virus à leur enfant.
Paul Benkimoun
lemonde.fr