Connaître le plaisir sexuel, malgré un viol

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Philippe Brenot, psychiatre et thérapeute de couple, directeur des enseignements de sexologie et sexualité humaine à l’université Paris-Descartes, répond au témoignage d’Isabelle (35 ans) :

« Violée à 15 ans, je n’arrive pas à avoir des relations sexuelles satisfaisantes. Je suis tendue pendant l’acte et je me bloque avant de jouir. Tout mon corps se contracte et me referme. Je n’arrive pas à me vider la tête pendant ce moment. A 35 ans, je me demande si vais un jour en guérir. Malgré plusieurs séances d’hypnose, rien ne change. Comment puis-je me faire aider ? Comment en sortir et connaître enfin le plaisir sexuel ? »

Philippe Brenot : Le viol est malheureusement très fréquent – on estime en France que soixante-dix mille femmes sont victimes de viol chaque année. Les femmes en sont de très loin les premières victimes en raison de la fréquente violence masculine qui tente d’imposer sa loi ; en raison aussi de la force musculaire des hommes, bien supérieure à celle des femmes ; en raison enfin de l’ascendant psychologique dont usent ces hommes envers leurs victimes. Vient tout de suite à l’esprit – mais en aucune manière comme une excuse ni une fatalité – l’argument de la testostérone, à la fois hormone du désir, chez les hommes comme chez les femmes, mais aussi hormone de la musculation essentiellement chez les hommes. La force musculaire et la puissance sexuelle semblent coexister chez l’homme et non chez la femme.

À L’ORIGINE

Historiquement, ce sont ces hommes, physiquement plus forts et au désir permanent, qui, au début de l’humanité, ont pris possession des femelles que sont les femmes, alors que cela n’existe nulle part dans la nature d’où nous sommes originaires. Chez les primates, nos grands cousins, pas de viol ni d’inceste, pas de coercition des mâles par les femelles, ce sont au contraire ces dernières qui expriment leurs désirs sexuels et attirent le mâle de leur choix. Dès l’origine de l’humanité, cet ordre féminin semble s’être inversé, car il s’exprime ainsi dans toutes les sociétés de la tradition, dans toutes les cultures, c’est ce que l’on a appelé « la domination masculine ». Cet ordre masculin règne malheureusement encore dans la majorité des sociétés, souvent traditionnelles. Il a changé en Occident depuis les années 1970 avec l’instauration d’une tentative d’égalité entre mâles et femelles et d’une société à dominante plutôt féminine : d’écoute et de compréhension de l’autre, de partage, d’égalité, de parité… Nous sommes cependant loin d’un équilibre satisfaisant.

En ce qui concerne la domination des hommes sur les femmes, elle s’est considérablement atténuée avec une réduction de « l’empire masculin », mais il persiste toujours une part non négligeable d’hommes ne comprenant pas ou n’acceptant pas l’égalité avec l’autre sexe, dans une sorte de poursuite « naturelle pour eux » de la domination masculine. La violence et la coercition, sexuelle ou non, sont alors les outils de cette domination : elles ne sont en aucune manière acceptables et doivent être signalées, dénoncées, réprimées.

LE VIOL

Le viol est une violence sexuelle qui ne connaît aucune justification : les pseudo-arguments de pulsions irrépressibles ne sont jamais acceptables, sinon dans des cas très particuliers de pathologies médico-légales. L’agresseur sexuel est conscient de son agression, en cela il en est pleinement responsable.

Le viol (viol ou inceste) des mineurs constitue un acte très particulier de par l’intrusion d’un adulte dans la sexualité encore immature d’un enfant en construction. Et cet acte peut alors interrompre la construction psycho-sexuelle de cet enfant, de cet adolescent. Le fait majeur de cet acte imposé consiste dans le non-consentement de la victime, parfois même dans la non-compréhension par la victime de ce qui est en train d’être joué. C’est ainsi que la victime se voit dépossédée de son identité et d’une existence propre à faire face à l’agresseur. Plus encore lorsque l’agresseur est un proche, un parent – c’est le cas le plus habituel. Les réactions sont ensuite très différentes selon les individus, leur histoire : refoulement et pseudo-oubli pour certains, parfois pendant une longue période, culpabilité, pensées obsessionnelles, réaction dépressive… Les conséquences sur la sexualité sont également très variables. Parfois sans conséquences notables si, en définitive, l’adolescent(e) était déjà suffisamment construit(e) avant de vivre cette agression. Dans d’autres cas, les pulsions sexuelles peuvent se trouver exacerbées, amplifiées, désordonnées, dans une sorte de recherche compulsive de ce qui a été vécu. Dans la plupart des cas enfin, cette intrusion adulte dans la sexualité de l’enfant, de l’ado, joue comme un frein sur sa sexualité en construction.

LE DÉPASSEMENT DU VIOL

A la suite d’un viol, d’un inceste, d’un abus sexuel quel qu’il soit, une prise en charge spécifique doit aujourd’hui être faite par un professionnel qui connaisse réellement la démarche à suivre, et non par la simple écoute bienveillante de la victime. De nombreux groupes d’experts ont émis des recommandations pour cela. Il est important que le thérapeute, formé à cette écoute particulière des traumatismes sexuels, soit un écoutant actif représentant de la société et pouvant émettre des opinions claires par rapport à la loi, par rapport au droit des victimes, afin que la personne se sente confortée dans la réalité inacceptable de ce qu’elle a vécu. En cela, l’écoute passive silencieuse et l’approche psychanalytique ne sont pas indiquées pour les victimes de viol et d’agressions sexuelles, car le sujet n’a pas de réponses directes aux interrogations légitimes qu’il se pose par rapport à ce qu’il a vécu.

Un travail psychothérapique actif est ensuite utile et, sur un plan sexologique, des approches psycho-corporelles peuvent être proposées, toujours avec un praticien expérimenté.

Isabelle, que vous soyez tendue pendant l’acte et que vous vous bloquiez avant de jouir est tout à fait compréhensible puisque votre corps (votre esprit) revit symboliquement une situation qui n’a pas encore été totalement dépassée. Cette tension est une défense naturelle pour empêcher que se renouvelle l’agression et pour s’interdire une jouissance non désirée dans les conditions de l’agression. Vous faites d’ailleurs un lapsus en rédigeant votre question : « Tout mon corps se contracte et me referme. » En cela, vous dites bien que votre réaction profonde est un renfermement sur vous-même. Tout cela étant un signe que la situation initiale se poursuit sur un plan symbolique, un peu comme si votre psychisme ne savait pas qu’il se trouvait dans une autre circonstance, avec un homme désiré, aimé, choisi. Le travail psychothérapique, en relaxation par exemple, est destiné à dépasser cette dimension symbolique. Malgré son caractère apparemment magique, l’hypnose n’a rien de spécifique au suivi des blessures sexuelles. Mais il est difficile, dans une chronique aussi générale, de vous indiquer une marche à suivre personnelle, ce que peut faire un psychothérapeute sexologue.

Quelques aides bibliographiques :
– Brenot P., Les Violences ordinaires des hommes envers les femmesOdile Jacob, 2007.
– Morbois C. et Casalis M-F., L’aide aux femmes victimes de viol, L’Esprit du temps, 2002.
– N’Guyen S., Comment aider une victime de viol ou d’inceste, L’Esprit du temps, 2011.
– Des thérapeutes sexologues référencés sur le site de l’Association inter-hospitalo universitaire de sexologie.

Philippe Brenot pour Le Monde.fr


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