Elections locales et communautarisme : réflexions politiques d’un philosophe (Par Mamadou Ciré Sy)

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Pour commencer, précisons le sens par lequel nous entendons le concept de «communautarisme». C’est une tendance à faire prévaloir les spécificités d’une communauté (ethnique, religieuse, culturelle, sociale…) au sein d’un ensemble social plus vaste. Cette conception implique donc que les individus appartiennent invariablement à des communautés distinctes endogènes et homogènes. Une telle conception présuppose ainsi qu’il y ait globalement peu d’échanges et des incompréhensions fondamentales entre chaque communauté, ce qui les empêcherait de se fondre dans une seule. Cette idée s’oppose ainsi à l’universalisme, qui considère négligeables de telles différences devant l’unicité du genre humain.
Permettez, pour entrer dans le vif de notre sujet, de décliner dans l’exorde, les dix questions dont la tentative de réponse constituera l’essentiel de notre réflexion.
Qui sont les prétendants au poste d’élu local ?
Quels sont leur statut, rang social et expertise ?
La gestion des affaires publiques ne requiert-elle pas un certain nombre d’exigences ?
La gouvernance locale doit-elle être confondue à un repli identitaire ?
La ruée des personnalités indépendantes vers les locales signifie-t-elle une déception ou une aspiration à une réussite sociale facile ?
Cette attractivité est-elle le fruit d’un chauvinisme ou d’une cupidité inavouée ?
Le retard de certaines collectivités est-il le résultat des politiques publiques inadéquates ou le déficit de ressources propres ?
Sommes-nous dans l’ère de l’éveil des consciences ou dans le temps de l’endoctrinement des masses populaires ?
Ce communautarisme n’est-il pas l’effet d’un ethnicisme masqué ?
L’ethnicisme en puissance n’est-il pas aujourd’hui en acte ?
Le débat de fond qui commande cette problématique, consiste à déterminer le mobile de l’engouement tant suscité par les joutes électorales locales à venir.
Qui sont les différents protagonistes des élections locales ?
Aujourd’hui, le constat est général que partout, des jeunes, et surtout des catégories sociales diverses, sous le vocable politique de personnalités indépendantes, sont en train de s’activer énergiquement pour être élus dans leurs localités respectives. Leur détermination n’a d’égale que leur volonté manifeste de présider aux destinées des populations autochtones. Le plus souvent, ce sont, d’une part, des jeunes et, d’autre part, des personnes influentes par leur technocratie et leur mépris aux affaires politico-politiciennes, qui nourrissent le projet de l’auto-administration locale.
Ce sont, pour la plupart, des jeunes qui, même s’ils n’ont jamais occupé des fonctions de responsabilité élective, au niveau politique, sont professionnellement qualifiés et compétents, en tout cas dans les différents secteurs où ils sont employés. A Keur Samba Kane, Diakhao, Mbour et Thiès par exemple, pour ne citer que ces lieux où la compétition est très rude, nous pouvons énumérer respectivement l’inspecteur Cheikh Ndiaye, le professeur El Hadji Seydou Cissé et le juriste Thierno Sylla, l’avocat Abdoulaye Tall et le docteur en philosophie Babacar Diop. Ce sont de jeunes leaders qui, non seulement, ne sont pas éculés en politique, dans le sens athénien du terme, mais sont aptes, compétents et intègres pour devoir présider aux destinées des populations locales. Leur compétence et leur intégrité méritent d’être auréolées de succès, pendant ces joutes électorales. A côté de cette nouvelle montée en puissance, on voit des hommes d’affaires qui, même si le niveau intellectuel n’est pas élevé, leurs expériences et carnets d’adresse les motivent et incitent à vouloir solliciter les suffrages des pairs. Et la troisième frange est celle-là composée de vieux routiers qui, de Senghor à Macky Sall en passant par Diouf et Wade, sont là et font tout pour être reconduits aux perchoirs. Ces derniers sont plus populaires et en cela, ils ont une longueur d’avance sur les nouveaux prétendants. Mais, pour peu que les populations soient avisées, ils ne pourraient pas être reconduits au niveau des différentes instances de décisions, pour ne pas pouvoir depuis Mathusalem, impulser le développement tel qu’ils le promettent aux populations pendant les campagnes électorales. A chaque fois que cette question : «Pourquoi les hommes politiques ne tiennent jamais leurs promesses devant les populations ?», me turlupine les lèvres, je me résous à dire qu’ils sont certainement, autant qu’ils sont, des lecteurs de Machiavel. En effet, ce dernier conseille que le chef ne soit en rien tenu de respecter les promesses qu’il avait faites aux citoyens, si toutefois les circonstances dans lesquelles il les avait tenues changent. Nous en voyons à Mbour par exemple et Keur Samba Kane, où des vieux comme Fallou Sylla et Ibrahima Khalil Fall qui, depuis belle lurette, se tiennent à la cime de la station municipale et l’exercent telle une sinécure. Et pourtant, ils ne comptent pas lâcher prise si facilement. Ils disent qu’ils ont toujours des arguments à faire valoir, mais je crains que ceux-ci portent sur la fibre ethnique ou psychoaffective. Ces derniers n’ont jamais impulsé le développement, au contraire, ils plombent toujours dans la misère qu’on résigne à consommer par une foi extravertie.
La gestion des affaires publiques : compétence ou affinité
Le sérieux et les enjeux majeurs que suscitent la gouvernance et l’administration municipales, font que les personnes qui postulent à ces responsabilités, doivent s’acquitter d’un certain nombre d’exigences. En effet, la gestion des collectivités locales nécessite des différents acteurs, de la compétence pour pouvoir efficacement administrer les citoyens, de la probité morale et éthique pour susciter l’exemplarité et le modélisme, de l’expertise et de l’expérience afin de pouvoir chiquenauder le développement et booster considérablement l’économie locale, de la vision et de la prospective pour pouvoir gérer avec efficience l’environnement des affaires, celui écologique avec ses corollaires, ( la gestion des déchets ménagers, la pollution, les ressources minières et énergétiques ), et avoir un flair futuriste pour pouvoir anticiper sur les crises et sinistres éventuels. Surtout que nous sommes dans l’ère où d’importants gisements de gaz et de pétrole sont explorés et prêts à être exploités. Ce me semble un arsenal politico-juridico-institu­tionnel et intellectuel, constituant un minimum exigible pour une bonne gestion inclusive et participative des populations, qui est nécessaire. Il convient de le rappeler pour ensuite le regretter, les Sénégalais savent élire, mais ils ne savent pas dés-élire. Car ils se rabattent toujours sur les liens affectifs que le temps a fini par raffermir, ou bien ils se tournent vers l’argument le plus piètre : «Inutile de changer, ils sont tous pareils, on n’en voit pas qui puisse faire mieux.» Il faudra à leurs challengers, les plus sérieux, beaucoup de tact et de tonus, beaucoup de subterfuges et de stratagèmes et beaucoup de ruses et de feintes pour déboulonner ces mastodontes du landerneau politique local.
La modernité exige un universel latéral et non un communautarisme exagéré
Toutefois, en dépit de la noblesse de la mission, celle-ci ne doit jamais se subsumer en un ostracisme qui frise l’enfermement. Le Sénégal est un et indivisible, et le triptyque inscrit sur son sceau est Un peuple, un but, une foi. Ceci étant, nul ne peut ni ne doit, quelles que puissent être ses intentions, se prévaloir d’un dessein sectaire ou séparatiste. Nous voyons, et nous le condamnons énergiquement, des individus d’une autre ère qui profèrent des propos, dont la décence et le bannissement qui incombent à tout citoyen épris de paix, de concorde, d’harmonie, mais surtout de cohésion, amèneraient à taire par souci de responsabilité. Cette façon de faire la politique n’est ni pertinente, ni élégante. Nous vivons dans un monde global et globalisé, où le tribalisme contraste regrettablement d’avec les valeurs de l’universel. Vivre avec l’autre, c’est comme le dit Alexandre Kojève dans L’introduction à la lecture de Hegel, sortir de soi pour devenir l’autre tout en restant soi-même. Le monde est en général ouvert et le Sénégal, n’échappant pas à cette règle, doit en particulier être ouvert, et les bases de cette ouverture sont jetées depuis très longtemps par les pères fondateurs, tels que Waldiodio Ndiaye, Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia, Lamine Guèye, Emile Badiane, etc. Donc nul n’a le droit de saper le socle solide sur lequel repose le piédestal de notre société. Le jeu n’en vaut pas la chandelle et les citoyens avisés et avertis ne se laisseront pas faire. L’enjeu aujourd’hui est de travailler à davantage souder les relations ethniques et communautaires, qui séculairement ont fondé la Nation sénégalaise. Personne n’a le droit de faillir.
Cet engouement est-il dû aux avantages faciles qu’offre la politique ou à la déception des populations ?
Il convient toutefois de signaler que cet engouement tant suscité par les différents protagonistes sur les élections locales, trouve probablement sa justification sur deux faits majeurs : d’abord pour certains, la voie de la politique est celle qui mène le plus rapidement à la réussite sociale. En effet, le milieu de la politique, surtout de la manière dont on l’entend sous nos tropiques, est un havre où on se foisonne très facilement avec des privilèges et strapontins en à plus finir. Il suffit d’une brève immixtion dans ce milieu dit politique, pour devenir riche. Nous voyons des personnes qui n’ont, au début, aucune qualification encore moins une expertise reconnue, mais qui, au bout du compte, deviennent en un temps record, riches comme Crésus. Aujourd’hui, l’exercice d’une fonction politique offre tous les avantages et garantit aux acteurs des statuts et des positions, que même des hauts fonctionnaires, intellectuels et universitaires ne sauraient aspirer. Mieux, il contribue à rehausser nettement le rang social et adouber un standing de vie élevé. La politique au Sénégal génère facilement et rapidement des moyens à telle enseigne que les gens les plus dévergondés, plaignant votre situation d’indigence avancée, n’hésitent pas à s’approcher de vous pour vous inviter ou mieux vous inciter à vous intéresser à la politique, afin de changer de situation sociale. Elle offre des avantages tels que des passeports diplomatiques, un carnet d’audience et un confort psychologique incommensurables.
Ensuite, nous pouvons imaginer l’attraction que suscite la politique de la part de certains jeunes et personnalités indépendantes, par le fait qu’ils ont été déçus de la mauvaise gestion dont leurs localités respectives sont victimes. Malgré des ressources propres et disponibles à proportions satisfaisantes, nous nous rendons compte que les attentes des populations sont loin d’être satisfaites. Au contraire, nous avons l’impression que les hommes politiques font tout ce qui est possible pour accéder au perchoir et jouir seuls des retombées et fruits de la localité. Cette exploitation malveillante des dirigeants politique fait qu’il est très difficile, voire impossible pour les administrés, de sentir les fruits de la croissance et d’en jouir. Cette gourmandise des élus périclitent tristement les économies locales et compromettent lamentablement leur avenir. On ne pourrait jamais avec cette mal gouvernance des territoires, prétendre au développent durable qui finit par être aux yeux des populations, un vain mot. Non seulement les politiques publiques par et avec lesquelles ces instances locales sont administrées ne sont pas appropriées, car ne partant pas réellement des besoins immédiats et prioritaires des ayant-droits, mais c’est parce qu’elles sont exécutées sans concertation ou consultation de la base pour qui, par qui et de qui elles doivent se faire.
Attractivité des Locales : chauvinisme des uns ou ostracisme des autres
Cette ruée vers les collectivités locales est vue pour certains, comme un chauvinisme exagéré dans la mesure où ils y vont jusqu’à déclarer certains adversaires, comme persona non grata ou accuser certains d’anthropophagie, de renégats, de salafistes ou de minoritaires dans le pays. D’autres sont même allés jusqu’à déclarer publiquement que ces derniers pourraient faire l’objet de massacre collectif impuni. Cette façon de faire que rien ne saurait justifier, à moins que ce soit la cupidité des uns et la ploutocratie des autres, est à bannir définitivement. La politique, au sens où l’entendent les Grecs, renvoie à la gestion des affaires de la cité et comme telle, sa gestion incombe à tout un chacun. Rien ni personne ne peut s’arroger le droit d’en soustraire les uns et d’en inclure les autres. Une seule chose doit ici faire leçon, c’est d’être uniquement mu par la volonté de servir les citoyens dans l’altruisme, l’ouverture, la sobriété et le tout couronné d’un esprit d’inclusion et de partage.
L’ère de l’éveil des consciences et non de l’endormissement des masses
Nous ne sommes plus dans l’ère de l’endormissement ou l’endoctrinement des masses populaires, cette façon de concevoir les Sénégalais de quelques bords où ils se trouvent, est anachronique. Nous vivons dans un temps où tout un chacun, qui voudrait présider aux destinées des populations, doit véritablement être animé par un souci d’éveil et de conscientisation des siens, pour que la réelle volonté de gestion inclusive et participative soit un vœu pieux. Personne n’a le droit d’ignorer comment il est gouverné et les leaders doivent tous travailler à sortir leurs citoyens de ce monde de «non-liberté» en les poussant à nourrir cette aspiration forte à la connaissance, com­me le disait Frédéric Lenoir dans Petit traité de paix intérieure.
Le Sénégal est une nationale : toute ethnicisation est d’avance vouée à l’échec
Malheureusement, des personnes tapies dans l’ombre semblent dicter à certains politiciens, des feuilles de route tellement ségrégationnistes et séparatistes, qu’elles frisent l’ethnicisme ou le tribalisme. C’est assez net que des énergumènes de tous bords semblent raviver le feu par des idées aussi basses et fébriles, qu’on ne saurait l’imaginer. Cela ne nous honore pas et sied mal aux valeurs dans lesquelles nous tous, nous nous reconnaissons et dont nous nous prévalons en tant que Sénégalais. Notre pays, le Sénégal, est le pays de tous et de chacun, et c’est en cela que nous nous sentons à l’aise dans notre commune volonté de vivre ensemble, et dans le respect mitoyen des principes et fondamentaux qui font le patrimoine socioculturel et individuel de chacun qui, par ricochet, assure et garantit le legs de tous, où il n’y a pas de place pour la division.
Mamadou Ciré SY
Ancien directeur d’école, ancien maitre d’application, 
Professeur de philosophie en service au lycée Cald de Mbour

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