La chronique du jeudi: l’intellectuel aujourd’hui Par Abdoul Aziz DIOP

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S’il y’avait de grandes écoles et des universités qui décernent le diplôme d’intellectuel au bout d’un nombre précis d’années d’études, « l’intellectuel supposé » serait alors celui qui s’arroge un titre qu’aucun cursus transparent ne justifie. Un imposteur ! Mais puisqu’il n’en est pas ainsi, « l’intellectuel supposé » existe-t-il vraiment ? On lui reconnaîtrait quand même une existence dans l’esprit de celui qui considère que des études supérieures brillantes sanctionnées par 36 diplômes confèrent le statut d’intellectuel à un ancien de Harvard ou de l’Université Cheikh Anta Diop. C’est toujours à un exercice risqué qu’on se livre dès lors qu’il s’agit de définir l’intellectuel. Qu’est-ce qu’un intellectuel aujourd’hui ?

Les chanteurs Youssou Ndour, Thione Seck, Coumba Gaolo Seck, Ngoné Ndiaye, Pape Diouf, Salam Diallo, etc., sont-ils des intellectuels ? La réponse est non pour le commun des mortels qui voit dans la figure de l’intellectuel le faciès d’une personne bardée de diplômes et capable d’émerveiller son public par une construction savante et policée.

Pourtant, les plus célèbres de nos chansonniers deviendraient tous des intellectuels si la claire conscience de leur notoriété les poussait à endosser et à défendre les causes qui leur paraissent justes. Ils incarneraient de la sorte la figure de l’intellectuel à un niveau tel qu’aucune œuvre d’universitaire ne saurait leur ravir leur réputation auprès des laissés-pour-compte qui aspirent à plus d’égalité, de liberté et de justice. Nous entendrions dire : « Coumba Gawlo Seck exige que la lumière soit faite » sur telle ou telle affaire plutôt que « Coumba Gaolo Seck chante untel ou un untel ». Le fredonnement d’une contre-histoire subversive l’emporterait alors sur le chantonnement d’une histoire fausse destinée à plaire à un puissant moyennant un retour d’ascenseur. La formule « Coumba Gawlo Seck s’engage auprès des enfants handicapés » n’a pas moins de valeur que la manchette « Coumba Gawlo Seck signe la pétition du polytechnicien Bara Tall », mais elle a l’inconvénient d’une possible récupération par l’autorité qui ne réussit toujours pas à bouter dehors la poliomyélite. Le risque est certes grand pour Coumba de se voir marginaliser pour avoir osé défier l’autorité.

Mais on ne peut pas idolâtrer Myriam Makeba – « Maman Africa », reine du Pata Pata dance – et vouloir en même temps s’affranchir du risque qui lui valut 31 ans d’exil et la consolation née de l’adoration d’une icône féminine du XXe siècle par plusieurs centaines de millions d’hommes et de femmes à travers le monde. Venue à Naples plaider la cause de l’écrivain italien Roberto Saviano, l’auteur de « Gomora », menacé de mort par la mafia, Myriam y succomba le dimanche 9 novembre 2008 à une attaque cardiaque à l’âge de 76 ans. Celle qui voulut quitter la scène trois ans plus tôt partit comme elle a vécu. A Naples, la liberté d’expression était la cause juste et universelle de Myriam Makeba.

D’aucuns seraient tentés de nous rétorquer la diversité des itinéraires. Mais l’étendue des misères du monde légitime chaque jour davantage l’universalité des causes. L’intellectuel aujourd’hui est celui dont l’engagement, pour que les droits inscrits dans les Déclarations profitent d’abord aux faibles, s’accompagne de la quête de nouveaux droits avec en toile de fond des devoirs inédits au service exclusif de cette quête. A titre d’exemple, le devoir d’acharnement contre les nouveaux riches dont la fortune ne se justifie que par la cooptation politique et clanique deviendrait alors un nouveau devoir au service du droit (nouveau) à une compétition électorale égale pour tous les compétiteurs riches ou pauvres. L’Etat assurerait alors à chaque candidat les mêmes moyens financiers, la même mobilité et la même visibilité sur toute l’étendue du territoire. Le nombre – arrêté de concert avec les prétendants – de signatures recueillies auprès des citoyens deviendrait alors l’unique cautionnement acceptable et l’unique moyen de limiter le nombre de candidats à ceux d’entre eux dont les programmes remportent les plus grands nombres d’adhésions dans le pays. Des médias dotés de nouveaux moyens votés par le Parlement s’imposeraient alors de nouveaux devoirs. Et chaque journaliste serait d’abord motivé, dans la pratique de son métier, par les réponses justes et vraies aux cinq questions sur les candidats qu’il se poserait avant d’ouvrir sa bouche ou de manier sa plume : Quel est le passé des candidats ? Qu’est-ce que les candidats ont fait de bon dans leur vie publique et dans leur vie privée ? Que dit le programme de chaque candidat et cela est-il compatible avec le passé du candidat ? Quel genre de comportement ont les candidats ? Quelle est la philosophie de chaque candidat ? Quels sont les personnes et les groupes qui soutiennent les candidats et pourquoi les soutiennent-ils ?

Une société qui, pour une raison ou une autre, décide de séparer ceux qui savent de ce qui ne savent pas ou savent très peu, inclurait les universitaires et tous ceux qui se prévalent de nombreuses années d’études supérieures dans le premier groupe moins nombreux. Mais lorsqu’une seconde sélection au sein de la société se fonde sur l’engagement au service d’une ou de plusieurs causes justes, on s’apercevrait rapidement que ceux qui savent sont inséparables de ceux qui ne savent pas ou savent très peu. C’est que l’engagement est, aujourd’hui comme hier, la première marque distinctive de l’intellectuel. « L’intellectuel supposé » n’existe donc pas. On s’engage ou on ne s’engage pas. Surtout quand on sait !

Abdoul Aziz DIOP

lagazette.sn

1 COMMENTAIRE

  1. Ok , un « intellectuel « , c’est beaucoup de choses pour beaucoup de monde. Mais moi, la question qui me triture les méninges depuis, c’est de trouver un nom à ceux qui ne sont pas des « intellectuels ». En d’autres termes, on est quoi lorsqu’on est pas « intellectuel »?

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