Lamine Ndiaye, Artiste-comédien sur les sketches de Ramadan: «Si toutes les TV continuent à faire la même chose, nous aurons un peuple médiocre»

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Pour l’artiste comédien Lamine Ndiaye, l’inspiration artistique est bloquée. Il jette ainsi un regard très critique sur les sketches qui passent pendant cette période de ramadan, sur les écrans de télévision. L’homme de culture soutient que c’est une répétition à l’identique que l’on voit sur la petite lucarne de la création de la télévision au Sénégal à nos jours. Et ce mimétisme paresseux cache, selon lui, une médiocrité. « Et si toutes les TV continuent à faire la même chose, nous aurons un peuple médiocre », fait-il remarquer . Lamine Ndiaye en a profité pour parler des rapports entre les artistes et les responsables des TV. Il s’est également prononcé sur la nouvelle société de gestion collective, l’arrivée de Mbagnick Ndiaye au département de la culture. Entretien.

En cette période de Ramadan, beaucoup les télévisions de la place privilégient des sketchs avant l’heure de la coupure. Quel est votre regard ?

J’estime qu’il y en a trop ! Je le dis à titre personnel, pas en tant que président national des artistes et comédiens du Sénégal. Cela peut se comprendre, car les gens préparent la Korité, mais en faire trop, c’est ennuyeux ! Pour les annonceurs, il a fallu faire des sketchs pendant le mois du Ramadan, pour qu’ils viennent en masse. Quand il s’agit d’une production de théâtre, ils se rétractent. Revenant aux sketchs, du point de vue artistique, ça ne change pas, c’est redondant. Tous les sujets qui ont été traités sont presque identiques. C’est un éternel recommencement, des choses que nous faisions depuis les années 1972, au début de la télévision avec Thiakhan Fakhé (fin de la récréation). Nous sommes en train de bloquer l’imagination de l’artiste et l’épanouissement de l’art. Cet art qui est beau et qui peut aider la personne à garder des valeurs humaines. Le théâtre forge l’homme dans ses valeurs, par contre, les religieux me disent carrément pourquoi ne pas faire des sketches qui vont dans le sillage du ramadan : la conception de l’Islam, les interdits, le mois du carême…etc. Les gens sont très pieux, ce sont des musulmans, tout ce qu’ils veulent doit entrer dans ce cadre.

Vous dites que l’imagination de l’artiste est bloquée, avec la répétition de choses qui se faisaient depuis 1972 à la naissance de la Télévision au Sénégal. Que faut-il faire pour pallier ce manquement ?

Je demanderais à ces jeunes de se confier aux gens qui ont de l’expérience ou qui ont été formés à l’école des arts. Je crois que tout ce qui se passe à la TV, devrait être regardé et savoir à qui cela s’adresse. C’est une population qui réunit à la fois, les enfants, les jeunes et les parents. Leur imposer d’une manière aussi brutale des sketches, comme ceux qu’on voit sur les écrans de télévision, sans les scruter, pour moi ce n’est pas une bonne chose, c’est une chose à revoir.

N’y a-t-il pas un sentiment de décalage par rapport à la réalité religieuse, parfois avec des scènes où l’on voit des comédiens ivres ou des filles habillées de façon très osée ?

Oui, il y a un grand décalage. Cependant, j’ai apprécié ce qu’Abou Bilal (Tfm) est en train de faire avec l’islamologue, Taibe Socé. Je crois qu’il s’accroche. Tout n’est pas mal sur ce que les artistes nous servent dans les différentes chaines de télévisions, mais ils pourraient retirer des sketchs le côté bouffon. Je ne demande pas d’être trop sérieux, mais on peut écrire des sketches à la fois amusants et éducatifs.

Pourquoi ces sketches, malgré tout, ont l’air de marcher chez certains téléspectateurs?

Il y a la curiosité. Nous sommes de nature curieuse. Ça se comprend. Tout ce qui est négatif dans ce pays, me rend aussi dingue que fou. On le clame comme si c’était une nouveauté qu’il faudrait accepter et c’est grave. Ce que l’on voit la plupart du temps, cache une médiocrité. Et si toutes les TV continuent à le faire, nous aurons un peuple médiocre. N’oublions pas que la force de la presse y contribue. L’écoute et la lecture doivent être revues pour qu’on s’éloigne du mieux que possible de la médiocrité. C’est important. Pour les comédiens, c’est une manière d’égayer les gens pendant le mois du carême.

Est-ce qu’il ne faudrait pas mettre en place des structures de contrôle et de sélection des sketches avant la diffusion?

Notre association a une position de veille. Nous ne l’avons pas uniquement créée pour s’occuper de tout ce qui est assurance-vie ou pour avoir une reconnaissance de l’Etat. Nous avons un droit de regard, mais il faudrait en discuter avec l’ensemble des télévisions pour savoir quel programme choisir. La télévision existe depuis une quarantaine d’années, nous devons évoluer en bien et dans le bien. Car nous sommes en train d’infecter, d’affecter certaines franges de la population. Cela va se répercuter ailleurs, peut-être dans l’avenir. Au départ de la télévision, il y a eu un moment où tout à coup tout semblait disparaître. Pourquoi ? Parce que nous pratiquons la bouffonnerie un peu partout dans toutes les chaines. Si bien que maintenant, les choses que l’on devait apprendre sont en train d’êtres noyées. A l’avenir, cela affectera les Sénégalais.

Où en êtes-vous avec l’association des artistes et comédiens du Sénégal?

Nous avons eu 10 ans d’existence. Avec Ndiaye Ndoss (paix à son âme), sa mission était de travailler à la massification de l’association et il y a réussi. Il a fait son boulot. Aujourd’hui, il est parti, je le remplace. Nous sommes une masse populaire d’environ 3000 artistes. C’est difficile à gérer. Nous avons créé des cellules régionales. À travers ces cellules, nous sommes en train de réfléchir sur une politique pour avoir une stratégie qui va éclairer le but de cette association. Nous l’avons créée pour le besoin social. Nous ne voulons plus que les artistes aillent quémander, qu’ils tendent la main. C’est très important pour nous, car l’artiste n’est pas n’importe qui. Il a une dignité, il faudrait qu’on puisse soigner cette dignité là. C’est désolant de voir aujourd’hui, quand un artiste décède, on organise des quêtes à travers les télévisions, pour aider sa famille.

Ces émissions suscitent un engouement chez les Sénégalais. Est-ce un message envoyé aux TV pour qu’elles favorisent les productions locales?

Favoriser comment? En mettant des sketches de bouffons? Les chaines de TV ne donnent absolument rien (argent). Lorsque nous écrivons des projets et que nous les soumettons aux chaines, elles demandent de trouver un annonceur sous peine d’être mis de côté, car la TV n’a pas de fonds pour payer les artistes. Ils ont un service commercial, pourquoi on demanderait à l’artiste de chercher un annonceur pour paraître? Moi, je ne le ferais pas! Je resterais Lamine N’diaye dans mon petit coin et je continuerais à produire pour l’extérieur. Si les TV ne veulent plus que je passe, ok, je ne passerais plus. Je ne compte pas sur les TV nationales pour paraître. Si nous demandons 10 000 francs à une personne pour venir voir notre spectacle, cette personne est prête à payer 15 000 francs pour aller suivre les prestations de musique. Regardez ce qu’a fait Kader. Il a amené des artistes, ne serait-ce pour échanger avec les nationaux qui sont là. Il est même allé dans différentes chaines de télévisions, pour communiquer sur les spectacles. Mais il a eu moins de monde que ce qu’il espérait. Pensez-vous que c’est normal? Pourquoi les artistes comédiens que nous sommes ne bénéficieraient pas d’un partenariat avec les Tv, comme c’est le cas entre ces dernières et les musiciens. Malheureusement ces TV ne s’intéressent qu’à nous que pendant le Ramadan ou des fêtes comme Noël. Nous sommes la pour amuser la galerie en quelque sorte. Moi je me refuse de le faire. Qu’on vienne me voir et me proposer un contrat. Le théâtre est un métier que l’on doit respecter.

Est-ce que le théâtre répond à sa vocation première ?

Oui, quelque part, pour les gens qui le font bien et qui respectent les normes et les règles. Mais, ceux qui viennent comme ça, ceux qui sont formés sur le tas, le font n’importe comment. Certainement pour paraitre, pour gagner de l’argent, d’autres pour s’habiller, entre autres. Chez les femmes, c’est le regardez- moi, je veux avoir un époux …

Comment mettre un terme à tout cela ?

C’est à travers l’association, essayer de discuter avec tous les acteurs du secteur. Mais pour le faire, il nous faut au préalable un siège pour avoir une bonne fiche des artistes comédiens du Sénégal.

Comment jugez-vous la prestation actuelle des artistes Sénégalais au niveau sous région?

Ce sont des jeunes artistes qui se débrouillent. Je ne peux pas dire qu’ils sont au top, car eux mêmes n’ont pas les moyens. En tant que dirigeants de cette association, nous voulons avoir une bonne administration et cela doit forcément passer par l’octroie d’un siège pour pouvoir tenir des réunions, faire des formations pour les jeunes. Il faut aussi communiquer avec les ambassades pour que leur département culturel puisse nous venir en soutien, en nous accordant du matériel pour que demain nous puissions nous-mêmes nous auto-produire au lieu d’aller payer du matériel qui nous revient à 400 000frs. Nous aurons ainsi notre propre entreprise. C’est bien d’avoir les outils nécessaires pour pouvoir s’installer confortablement et travailler correctement et participer aussi au développement de notre pays.

Mbagnick Ndiaye vient d’être porté à la tête du ministère de la culture. Ce choix vous conforte-t-il?

Je le connais humainement. Personnellement, je ne peux rien dire sur son travail, j’attends de voir, pour juger. Cependant, quand j’ai assisté à la passation de service, je l’ai entendu dire à l’endroit des acteurs culturels : «Sachez que ce ministère est le votre, pas le mien uniquement. Ce n’est pas aussi une affaire de Nef lèn, mais de Nef len avec tous les artistes, tous les hommes de culture et tous ceux qui prétendent s’intéresser à l’évolution du Sénégal de manière culturelle, qu’ils apportent leurs conseils, leurs soutiens afin que tout puisse réussir.»

Son discours vous rassure-t-il ?

Quand une personne parle, j’estime qu’elle est responsable de ce qu’elle dit et surtout quand c’est en public. Et là, je pense que le devoir et la nécessité l’obligent à réellement respecter sa parole au lieu de se dédire. Je pense qu’en tant que sérère, il fera ce qu’il a dit. J’ai bon espoir et en tant que culturel, je n’attendrais pas qu’il m’appelle, mais j’irai le voir pour discuter de culture.

Qu’est-ce qui explique cette instabilité apparente, avec ces ministres qui défilent à la tête du ministère de la culture. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Ce qui ne va pas, je ne peux pas le dire, parce que je ne suis pas dans le secret des dieux. Mais ce n’est pas bien pour le ministère, parce que ces personnes nommées n’ont pas souvent le temps de s’mprégner carrément des dossiers et programmes. C’est du retard. Chaque ministre qui vient déroule son programme. Combien de ministres ont occupé ce poste ? On ne peut pas nous dire qu’ils ne sont pas tous bons, c’est inventer des choses.

Le ministre sortant a plaidé à l’endroit de son successeur pour la continuité des programmes entamés. Est-ce que cela peut vous aider à vivre de votre art ?

Si nous fonctionnons normalement, ça devrait donner du souffle quand même au ministère, mais aussi aux artistes particulièrement parce qu’on leur a rendu quand même les choses. Créer une société que les artistes vont diriger est une bonne chose pour booster ce que nous aimons tous : la culture. Maintenant le choix des hommes qui dirigeront cette société est important. Il y a un avantage comme un inconvénient. Les artistes ne sont pas des administrateurs, mais maintenant, il faut apprendre à le faire et ce n’est pas donné à n’importe qui.

Êtes-vous pour où contre la suppression du Bsda ?

C’est deux structures différentes Soit on s’oriente vers une disparition progressive du Bsda, dans ce cas les choses auront l’air de ne pas bouger ou le faire de façon brutale avec toutes les conséquences que cela peut entrainer.

L’effectivité de la nouvelle société de gestion collective tarde?

Les choses se font progressivement, mais cela devrait être accompagné d’une communication. Depuis qu’on a installé la société, la communication ne passe pas et c’est grave. Dans quel département se situe la communication, le ministère aurait dû communiquer pour qu’on sache ce qu’ils sont en train de faire.

Que fait l’association des artistes par rapport à la précarité de ses membres ?

L’association est en train de faire tout ce qui est en son pouvoir pour apporter une réponse par rapport à cette précarité. Maintenant avec l’Ipres, il y a des débats, on attend la réponse de la direction. D’autre part, il y a la caisse de sécurité sociale et là, il ya trop d’artistes frappés par des problèmes sociaux. Les artistes seront mis dans deux entités à savoir, l’Ipres et la caisse de sécurité sociale qui donnera l’assurance vie pour pallier ces problèmes.

Par Sudonline.sn

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