L’Armée monte en puissance (Par Madiambal Diagne)

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Une vidéo virale a circulé les derniers jours sur les réseaux sociaux, mettant en scène le gouverneur de la région de Tambacounda, Mamadou Baldé, entouré de quelques officiers militaires, donnant l’air de faire un point de presse sur une supposée attaque armée contre le Sénégal. La vidéo a suscité de vives craintes dans les chaumières, mais il s’avère que cet enregistrement faisait partie d’un scénario bien écrit des dernières manœuvres militaires de l’Armée sénégalaise dans l’Est du pays. Les forces de sécurité et de défense se préparent ainsi, pour s’aguerrir contre une menace terroriste, plus que jamais présente à nos frontières terrestres. En effet, On assiste depuis plusieurs années, à la déliquescence inexorable de l’autorité de l’Etat dans de vastes territoires de la sous-région ouest-africaine. C’est notamment le cas, dans certaines grandes parties du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Nigeria. Les enjeux sécuritaires de notre sous-région conduisent à un renforcement de la stratégie de défense nationale et une politique de mise à niveau des capacités matérielles et opérationnelles des forces de défense et de sécurité. La fragilité de pays voisins et la multiplication d’attaques de groupes terroristes, extrémistes et/ou sécessionnistes posent l’impératif d’intégrité territoriale à l’Etat du Sénégal. Cet enjeu est porté par le bras droit de l’Etat, à savoir les forces de défense et de sécurité qui, depuis cinq ou six années, abordent la problématique de la sécurité nationale avec le paradigme de risque terroriste et de périls insurrectionnels, le danger du trafic de drogue et de la criminalité qui en découle. Macky Sall semble avoir été à l’école de Fénélon qui disait : «Il faut toujours être prêt à faire la guerre, pour ne pas être réduit au malheur de la faire.»

Des bases avancées pour mailler le territoire
Le Sénégal est en train de redéfinir sa carte sécuritaire. Dans cette logique, il a choisi d’installer davantage de bases militaires dans les zones frontalières et régions sensibles, tout en permettant des déploiements rapides des troupes. Les deux préoccupations majeures que sont les troubles au Mali voisin et l’exploitation prochaine des hydrocarbures en haute mer, imposent des capacités de réponse pour éviter tout péril. L’Est du pays est donc un front sur lequel l’Etat anticipe et essaie de dresser des remparts pour bloquer toute poussée extrémiste pouvant venir du Mali ou de la Mauritanie.
La série d’exercices Falémé 2020 qui s’est donc tenue en fin novembre, atteste de la préoccupation des autorités militaires d’être prêtes à répondre à toute attaque venant de l’Est du pays. Comme le soutient le chef d’Etat major des Armées, le général Birame Diop, l’objectif recherché à travers les manœuvres et la nouvelle stratégie des forces de défense et de sécurité «est de mieux former et mieux préparer les éléments des forces de défense et de sécurité à d’éventuelles attaques des terroristes ou à toute autre attaque de quelque nature qu’elle puisse être. Depuis quelque temps, la sous-région fait face à des défis sécuritaires complexes et très aigus, dont la prise en charge nécessite une posture d’anticipation». Dans un même ordre d’idées, le chroniqueur Yoro Dia soulignait dans ces colonnes, en commentant la construction d’une base à Goudiry, qu’il faut pour l’Etat du Sénégal «éviter l’effondrement du Mali» qui «est le premier problème de sécurité nationale du Sénégal, car cela entre dans le cadre d’une logique de défense préventive, qui veut qu’on n’attende pas les jihadistes à nos frontières, mais les contenir au Mali, c’est-à-dire aider les Maliens à les contenir». Le péril terroriste est considéré comme une menace première, mais n’empêche que d’autres préoccupations sécuritaires sont prises en compte, notamment dans les zones frontalières. La Gendarmerie nationale a ainsi décidé, pour la zone Sud, d’autonomiser la région de Kolda en y établissant une légion territoriale afin de pouvoir couvrir les zones frontalières et de faire face aux trafics et éventuelles menaces propres à cette zone. L’idée d’ensemble est donc d’arriver à couvrir tout le territoire national pour permettre d’anticiper sur les questions sécuritaires et d’y répondre au plus vite.

Une montée en puissance à encourager
Dans une chronique en date d’octobre 2019 intitulée «Nos hélicoptères qui tombent comme des pierres», nous soutenions, face à l’obsolescence du matériel de certaines de nos armées, de renforcer la politique de mise à niveau des équipements des troupes sénégalaises. Nous affirmions que «la mission des Armées est d’assurer la défense et la préservation du bien commun. Pour une telle mission, il faut mettre les moyens conséquents tant en hommes qu’en équipements. Aucune considération d’économie, de rentabilité ou de gains pécuniaires ne doit être prise en compte dans la mise à disposition des ressources des Armées. Le général Mamadou Mansour Seck, dans sa thèse soutenue en 1974 à l’Ecole supérieure de guerre de Paris, publiée dans un livre intitulé Nécessité d’une armée, soutient qu’il est «inconséquent de parler de rentabilité» concernant les Armées et leurs ressources». Il va de soi que le prix de la paix est nécessairement l’effort de guerre. Cet effort est aussi bien humain que matériel.
Il est annoncé l’acquisition par l’armée de l’air d’avions de chasse de type L-39 Albatros, dans un programme conjoint avec la République Tchèque. De même, il est à noter l’acquisition d’un avion de transport de troupes CN 235 qui permettra un convoyage plus facile dans certaines zones. La Marine nationale n’est pas en reste, avec les enjeux posés par l’exploitation des hydrocarbures en haute mer, les pêches illicites, l’émigration clandestine et l’interception des trafics en tous genres. Des commandes de navires ont pu être faites. Trois patrouilleurs OPV58S pour des opérations de surveillance et d’interception ont été commandés chez le groupe français Piriou. Des missiles anti-navires font également partie des nouveaux outils dont se dote la marine sénégalaise. La publication «Confidentiel, la lettre quotidienne», en date du 5 décembre 2020, renseigne que les nouveaux navires commandés par la marine sénégalaise ont commencé? à impressionner. D’ici deux à trois ans, l’Armée sénégalaise sera sans doute la plus équipée du voisinage, avec des missiles de dernière génération. On y souligne que «le 21 octobre, le général Birame DIop, chef d’état-major général des forces armées du Sénégal, et l’amiral Oumar Wade, chef d’état-major de la marine du Sénégal, ont assisté à la cérémonie de découpe de l’acier du premier des trois patrouilleurs hauturiers commandés par le Sénégal. L’OPV 58 S sera équipé de missiles anti-navires MARTE MK2 / N. Avec la capacité de frapper à des distances de plus de 30 kilomètres et grâce à leur capacité de feu, ces missiles donneront les moyens à la marine sénégalaise de faire valoir sa supériorité maritime. Les navires bénéficieront également du système de défense aérienne SIMBAD-RC et de ses missiles MISTRAL – cette combinaison offrant une capacité de défense extrêmement efficace contre toutes les menaces, y compris les missiles anti-navires, les avions de combat, les UAV, les hélicoptères, ainsi que les petites menaces de surface. Plusieurs pays voisins se sont approchés de la France pour voir les moyens de pouvoir acheter comme le Sénégal de telles armes. Deux obstacles pour eux : le budget et la confiance de la diplomatie française. Connu pour être un pays stable, le Sénégal a la confiance du monde occidental pour s’armer à sa guise en vue de se défendre pour ses futures installations pétrolières».
Certains bâtiments livrés depuis 2017, dont les patrouilleurs «Fouladou» et «Kédougou», contribuent à la surveillance renforcée des eaux sénégalaises. Ils permettent aussi une projection sur les côtes ouest-africaines, sécurisant les voies de passage de navires commerciaux au départ des ports de Dakar et de Ziguinchor. La décision de renforcer les bases navales d’Elinkine et l’érection d’une unité de marine dans les îles du Saloum et à Saint-Louis, avec des capacités de couvrir le cours du fleuve Sénégal, rentre également dans cette stratégie des forces de défense et de sécurité d’anticiper un tout sécuritaire.
Cette montée en puissance des Armées sénégalaises sous la gouvernance de Macky Sall, est l’action publique la plus silencieuse et déterminante dans la stratégie de sécurité de notre pays. Un ami m’interpellait en septembre dernier, lors de la réception par le ministre des Forces armées Sidiki Kaba de plus de 200 véhicules de transport et de combat. Il considérait ces acquisitions comme surdimensionnées, pour un pays comme le nôtre, jouissant de stabilité. Je lui répondis que c’est pour conserver cette stabilité et surtout se mettre à niveau face à des menaces plurielles que ces investissements étaient faits, en réponse aux attentes des troupes sénégalaises. Il peinait à accepter une telle idée, faisant perdurer le débat sur l’opportunité des dépenses militaires pour les nations. Il faudra une sensibilisation de l’opinion sénégalaise sur les enjeux sécuritaires et toute cette dynamique d’anticipation et d’avant-garde de nos forces armées, car le mal toque à nos portes et aucun effort pour l’endiguer n’est à négliger.

Les retards pour l’armée de l’air
On l’a dit, le Sénégal a passé commande d’aéronefs pour renforcer son arsenal aérien. L’armée de l’air a beaucoup souffert de l’indisponibilité de trois de ses hélicoptères de combat, dont un tombé à Toubacouta dans le cadre d’une mission civile, un autre tombé en Centrafrique et un autre gravement endommagé par le souffle d’un avion militaire en Centrafrique. Le Sénégal resterait encore à attendre de trouver un accord avec l’Onu pour d’éventuels dédommagements relatifs à ces incidents. Mais il demeure que l’armée de l’air éprouve un réel besoin de se voir doter, dans les plus brefs délais, de moyens d’intervention aérienne. C’est aussi l’occasion de s’interroger, comme de nombreux officiers d’ailleurs, sur la politique qui consiste à mettre à la disposition des troupes pour des missions d’intervention à l’étranger, des moyens aériens alors que les troupes restées au pays n’arrivent presque plus à voler faute d’engins en bon état de navigation.
Il serait néanmoins intéressant de jeter un coup d’œil sur les tableaux indiquant l’évolution des dépenses consacrées à la défense et à la sécurité de 2015 à maintenant. On se rend compte que les allocations budgétaires consacrées au ministère des Forces armées, au ministère de l’Intérieur, au ministère de la pêche et de l’économie maritime et à la Direction générale des douanes pour l’acquisition de matériels et équipements sécuritaires sont sensiblement les mêmes, d’une année à une autre. De 2016 à 2019, le budget du ministère des Forces armées n’a évolué que de 180 milliards à 200 milliards de francs Cfa. Autrement dit, si dans le même temps, le Sénégal arrive à pouvoir s’offrir des équipements nouveaux, plus opérationnels et répondant mieux aux besoins tactiques des troupes, c’est sans doute parce que ces crédits ont été mieux dépensés. La présumée nouvelle puissance de feu du Sénégal semble avoir pris de court les observateurs. Depuis 2016, le Sénégal n’apparait pas sur le classement du Global Fire Power, organe américain spécialisé pour évaluer la puissance de feu des pays.

La concertation comme clé
Les autorités sénégalaises, dans ce virage sécuritaire, œuvrent dans une logique conciliante afin d’avoir toutes les préoccupations des différentes composantes des populations et des réalités des différents territoires. A cet effet, le Centre des hautes études de défense et de sécurité mène des consultations pour la mise en place du Document de sécurité nationale. Une équipe est à la rencontre dans chaque région des acteurs de la sécurité et des différentes composantes de la société. Le but de cet exercice est de rendre les dispositifs sécuritaires du mieux conformes aux enjeux de chaque terroir. Dans une dynamique de motivation et de garder le moral des troupes, il est noté une orientation de plus en plus sociale dans la gestion des troupes, des navettes sont mises à disposition pour convoyer les agents des casernes à leurs domiciles lors des permissions. Il a toujours été incongru de voir des militaires sénégalais sur le bord de nos routes, faire de l’auto-stop pour rejoindre leurs casernes. Des programmes immobiliers sont également en gestation dans Dakar et les différents commandements territoriaux pour loger les troupes et leurs familles. Le Président Sall affirme attacher du prix à la construction de nouvelles casernes militaires et de police, afin d’assurer de meilleures conditions sociales aux éléments opérationnels. Aussi, une prise en charge renforcée des blessés au front s’organise pour éviter que ne soient laissés en rade des compatriotes qui ont effectué des sacrifices pour notre sécurité commune.

Madiambal Diagne

1 COMMENTAIRE

  1. Actuellement, le contexte géostratégique dans le monde est tel qu’il n’y’a plus de guerre entre deux pays frontaliers – surtout dans notre sous-région ; dès lors, se pose la pertinence d’une restructuration de notre armée nationale. Oui, dans notre pays, nous avons surtout besoin de policiers, de gendarmes, de sapeurs-pompiers pour assurer la sécurité intérieure que de militaires pour nous protéger d’une hypothétique agression d’un pays voisin (Gambie, Mauritanie, Mali, Guinée). Oui, dans notre pays, les enjeux de l’heure ne sont plus militaires ; ils sont éducationnels, économiques, sanitaires – un djihad contre le sous-développement et le néocolonialisme !!! …

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