Le bail au Sénégal : Un État qui vole et appauvrit ses citoyens. (Par Alassane K KITANE)

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C’est quoi finalement un bail au Sénégal ? Selon la direction générale des
impôts et domaines, « le bail est un titre consenti par l’État à une personne
physique ou morale, qui en fait la demande, dans les zones dotées d’un plan
d’urbanisme non susceptible d’être révisé dans un délai rapproché. Le bail est
destiné essentiellement à favoriser la réalisation d’investissement à usage
agricole, la construction de bâtiments à usage industriel ou commercial, la
construction d’immeuble à usage d’habitation ou à usage mixte (commerce et
habitation). L’attributaire est obligé de mettre le terrain en valeur dans un délai
de 24 mois ». « la procédure de délivrance du bail peut prendre entre 3 et 6
mois », précise ladite Direction. Mais combien sont-ils, ces Sénégalais qui
attendent trois, cinq, voire dix ans, la délivrance d’un bail auquel ils ont
légitimement droit après s’être acquittés de leurs obligations ? Pourquoi
l’obtention d’un bail est si difficile dans le pays que nos ancêtres ont défendu au
prix de leur vie ? Y aurait-il quelque chose de mystérieux qu’on veut cacher au
public dans le foncier au Sénégal ?
Le bail n’est pas uniquement sollicité par les citoyens pour construire des
maisons à usage d’habitation : tout le monde sait que pour obtenir un crédit dans
certaines banques, le bail peut être une garantie, un nantissement. Combien de
Sénégalais sont alors lésés par les services des impôts et domaines qui semblent
se plaire dans la non délivrance d’un titre de bail ? C’est vrai que la première
fonction d’un bail est d’orientation foncière, mais le foncier, c’est de l’argent
potentiel ; et nombreux sont ceux qui ont nanti leur premier prêt à la banque par
un titre foncier ou un bail. Dans ce pays où la corruption est endémique, toute
lenteur administrative est un nid de corruption, un levier pour enrichir des
lobbys tapis dans l’ombre de l’administration et servant de courroie de
transmission entre les fonctionnaires véreux et les clients pressés. C’est une
véritable arnaque organisée et entretenue par l’État qui vampirise ses citoyens et
les livre exsangues à des vautours qui squattent les couloirs de l’administration
pour vivre en vrais parasites.
Depuis quelques temps, la question de l’enrichissement rapide des agents de
douane, du trésor et des impôts et domaines est agitée, mais aucune mesure
révolutionnaire n’est toujours pas prise. Ils sont des citoyens dignes, et ont le
droit d’être riches, mais leur salaire leur permet-il de mener ce niveau de vie
qu’on leur connaît ? Dans une société où l’indigence est presque un crime, c’est
doublement injuste de permettre à une catégorie de fonctionnaires de vivre dans
un luxe insolent au moment où d’autres croupissent dans un dénuement presque
indécent. C’est injuste d’abord parce que la rémunération doit se faire sur la
base de critères objectifs ; c’est injuste ensuite parce que la perception que la
société a sur les hommes dépend généralement de leur libéralité.

Mais le problème semble plus pernicieux à mesure qu’on réfléchit sur les
opportunités afférentes au bail dans notre système bancaire. On sait que les
banques au Sénégal sont un peu frileuses lorsqu’il s’agit de financer des projets
à risque. On sait également que les banques qui opèrent au Sénégal et auprès
desquelles sont domiciliés le salaire de l’écrasante majorité des fonctionnaires
sénégalais, sont étrangères, françaises plus précisément. Ces banques, malgré
les directives de la BCEAO soumettent leurs clients à des tarifs et prix trop
élevés, encore que la banque centrale elle-même est sous contrôle de la France.
Elles font des bénéfices énormes, mais n’ont pas une participation significative
dans la production de richesses nationales. Les fonctionnaires sont donc
pressurés tout le temps du fait que, rien que pour construire, ils sont obligés
d’aliéner leur salaire pour une longue durée. Or le bail offre une alternative
moins étouffante pour le travailleur : avec un bail on a plus de chance d’acquérir
un prêt logement moins contraignant et plus conséquent.
C’est à se demander si vraiment notre pays est indépendant pour ses fils : toutes
les portes qui devraient leur permettre de s’émanciper et de s’épanouir sont ainsi
fermées à cause de lenteurs qui ne sont, en dernière instance, profitables qu’aux
entreprises étrangères et à quelques fonctionnaires. L’État nous vend aux
banques étrangères et nous appauvrit en nous refusant nos droits. Un bail est
potentiellement un titre foncier qui, non seulement permet à son propriétaire
d’avoir de l’argent et d’investir, mais c’est aussi une source des taxes dues à
l’État : comment dès lors expliquer cette innommable lenteur dans la délivrance
de ces titres de propriété ? En portant tant de préjudices à ses citoyens, l’État
s’est résolument inscrit dans l’illégalité et dans une logique de rupture
unilatérale du contrat social. Les élus locaux, les députés et les organisations de
la société civile, doivent prendre cette question en charge et ne pas se contenter
de l’argument farfelu de la réforme foncière qu’on annonce à grande pompe
depuis quelques années sans que ses résultats soient visibles. Rien ne justifie la
suspension des titres de bail surtout pour ceux destinés à l’habitat. Refuser ce
sésame aux citoyens, quels qu’en soient les motifs, c’est prouver qu’on est dans
une impasse en ce qui concerne la gestion de la cité.
L’État peut faire mieux : donner une maison en location-vente pour chaque
fonctionnaire ou travailleur qui accède à un emploi salarié. Cette terre nous
appartient, elle nous a été léguée par nos ancêtres ; et nous avons le droit d’y
habiter de façon décente pour mieux rendre service à notre patrie. En instaurant
cette politique audacieuse d’accès universel au logement, l’État gagnerait
doublement : d’abord, il va booster le secteur de l’immobilier ; ensuite, il va
dissiper le plus grand stress qui inhibe le travailleur sénégalais. Et pour un État
qui peine à trouver de l’emploi à sa jeunesse, cette politique créerait beaucoup
d’emplois et encouragerait la consommation. Ce n’est pas nécessaire que l’État

construise lui-même ces logements : des conventions transparentes avec des
promoteurs immobiliers experts et crédibles ferait l’affaire.
Alassane K KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
Président du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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