Le Lac de Guiers noie la vie des femmes enceintes

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Les 2500 âmes de l’île de Diokhor Takk vivent les pieds dans l’eau du Lac de Guiers, le cours d’eau qui alimente les ménages de Dakar en liquide précieux. Paradoxalement, les femmes enceintes de cette île, située à plus de 50 km de Keur Momar Sarr, en meurent sans aucune forme de procès ou de reconnaissance de leur droit à l’accès à l’eau potable ; ceci dans un contexte où l’Etat se réjouit de l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement dans ce domaine.

Dakar savoure l’eau qui coule des robinets. Là où 90% des 250 000 m3 consommés dans la capitale proviennent du Lac de Guiers, qui est la source de malheurs des populations qui vivent les pieds dans l’eau. Les typhas, qui exhibent une fière verdure au bord de ce cours d’eau, sont témoins de scènes douloureuses, de secrets dramatiques. Une partie de puisage d’eau à boire suffit pour que des femmes enceintes trépassent.
Ces cinq dernières années, huit femmes enceintes ont fini par mourir après avoir fait de fausses couches suite au soulèvement de bidons d’eau puisés du lac pour leurs ménages. La douleur se lit à travers les visages. L’avouer est autant pénible. Le chef du village riverain de Diokhor Takk (île située à plus de 50km de Keur Momar Sarr et à 15km de Gnith), Daouda Péne, a souffert lorsqu’il a été amené à en parler. Finalement, il lâche : «Aminata Guèye était ma belle-fille qui était enceinte de 8 mois. Elle était partie puiser de l’eau au lac. Lorsqu’elle soulevait la bassine, son ventre a lâché. Elle avait eu une hémorragie interne. Elle et son enfant sont morts au cours de l’évacuation. C’était en 2010.»
Le décompte macabre peut ainsi commencer lors du «focus groupe» convoqué à la place publique du village. Que de tristes souvenirs ! La même année, les dames Ndéye Guité Péne et Salimata Ndiaye ont rendu l’âme dans les mêmes circonstances. En 2011, la nommée Aminata Sall a mortellement avorté après avoir été victime d’une hémorragie pendant qu’elle puisait dans le lac. Cela a été également le cas de Anta Cheikh Gaye qui est décédée lors de son hospitalisation à Saint-Louis. En 2012, les femmes enceintes Oumeu Péne Guèye et Aminata Ndiaye ont perdu la vie suite à des accidents dans le lac dans le cadre de la quête de l’eau destinée à la consommation domestique. Plus récemment en 2013, la dame Soukéye Péne est morte des suites d’un avortement après un saignement intérieur pendant qu’elle soulevait un bidon de 20 litres dans le lac. «Elle était en état de grossesse avancée», renseigne le chef du village.

8 femmes mortes en quatre ans
Depuis des décennies, beaucoup de cas d’avortements mortels ont eu lieu ici dans les mêmes conditions mais les familles n’ont jamais voulu en parler, d’après la présidente des groupements de femmes Aïchatou Guèye. Ces morts par fausse couche provoquée pour une simple partie de puisage d’eau pour le foyer, au Lac de Guiers, sont constatés à la structure sanitaire, une case de santé qui sert plus de 2500 habitants. «Beau­coup de femmes du village ont avorté à cause des bidons d’eau qu’elles soulèvent dans le lac. Le dernier cas ne remonte pas d’il y a un an», avoue Mame Débo Guèye, le seul agent de santé communautaire de ce village insulaire. Mame Débo assure les consultations, les soins primaires, mais aussi elle porte la blouse de pharmacienne.

Les «huit obstacles» de l’accès à l’eau à boire
Sur le rivage, une porte d’entrée s’ouvre sur le plan d’eau. Char­rettes, femmes et enfants la fréquente de la levée au coucher du soleil. Les pirogues sont sur le quai boueux. Pour trouver de l’eau à boire, les populations doivent nager jusqu’à plus d’une vingtaine de mètres. Les labeurs des femmes de l’île de Diokhor Takk à l’origine des décès constituent un parcours de la combattante à huit obstacles.
Aïchatou Guèye doit prendre une bassine ou un bidon de 20 litres. Ensuite, elle marche dans le lac jusqu’à dépasser la sale rive à 20 m. L’eau leur arrive à la hauteur de la poitrine. Elles puisent de l’eau larvée et verdâtre. Pour l’épargner des saletés de la rive, elle soulève la bassine et regagne les berges. Elle fait transporter les bidons à la maison par charrette. Puis, on met du sulfate de sodium dans l’eau afin de la séparer des particules solides. A partir de ce moment, on la décante dans un autre récipient pour y verser quelques gouttes d’eau de javel. La huitième tâche consiste à filtrer l’eau javellisée. Le produit «noirâtre» obtenu peut maintenant être consommé comme étant de «l’eau potable». Laissé au repos, le fond des bassines est couvert par un dépôt de particules solides noires.
Récemment mariée, la jeune représente de l’Asbef (Association pour le bien être de l’enfant et de la famille), Khady Guèye, craint pour son avenir de femme au moment où elle voudra procréer. «Le puisage de l’eau au lac tue les femmes enceintes. Elles soulèvent des bidons de 20 litres. Ceci est à l’origine des drames. Que l’Etat et les bonnes volontés nous viennent au secours», supplie-t-elle. Regrou­pées à la place publique du village, les femmes sont unanimes sur le fait que «rien que la fraîcheur de l’eau du lac peut être préjudiciable au corps humain et surtout à celui d’une femme en état de grossesse».
Dans l’île, les victimes des avortements ont du mal à être évacuées au poste de santé le plus proche qui se trouve à Gnith. «Il faut traverser le lac par pirogue», s’émeut Daouda Niang, maître coranique et vice-président de l’Association des parents d’élèves du village. Aucun appareil naviguant n’a de moteur. «Par conséquent, il faut paga­yer», insiste-t-il. L’île a une sortie, une porte d’accès. C’est une digue bâtie sur une partie asséchée du Lac de Guiers avec comme matériaux du sable argileux, de la latérite par endroit. Elle est seulement carrossable pour les véhicules tout terrain. Ils n’existent pas dans le village encore moins une ambulance pour sauver ces femmes vulnérables.

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