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« Les dérives du Sopi », par David Kpelly

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Les dérives du Sopi
Bavures impunies et Médias en sursis
(Fiche de lecture du blogueur David Kpelly)

Après un roman, La Sénégauloise à Matignon et une pièce de théâtre, Audience divine : trois prophètes à l’assaut du pouvoir d’achat, le jeune écrivain sénégalais Momar Mbaye, résidant à Mulhouse, étudiant et correspondant des Dernières Nouvelles d’Alsace, un quotidien régional, signe son premier essai avec Les Dérives du Sopi. Un livre exclusivement consacré au Sénégal, disons plutôt au Sénégal d’Abdoulaye Wade et de son fils Karim.
Rédigé sous forme d’une longue lettre où l’auteur s’adresse directement au fils du président de la République, Karim Wade, par tutoiements et vouvoiements entremêlés, cet essai nous trace tous les contours du règne désastreux de Me Abdoulaye Wade. Arrivé tambours battants à la tête du Sénégal le 19 mars 2000 après vingt-six années de lutte acharnée contre le parti socialiste, le candidat du Sopi (changement) veut coûte que coûte en finir avec une teigneuse presse qui a juré sur tous ses grands dieux de ne pas le laisser bazarder la République du Sénégal par sa gestion catastrophique de la res publica, ni imposer son fils Karim carrément rejeté par le peuple comme une vilaine musaraigne. On s’acharne des deux côtés, sur fond de menaces, d’injures grossières, d’intimidations, d’agressions, d’interpellations et d’emprisonnements sous les yeux d’un peuple sidéré par la brusque métamorphose de ce président qu’il avait accueilli comme un messie, l’ayant pris pour Sankara, selon les mots de l’auteur.
L’introduction de l’essai rend, sans détours, un verdict goût jus de citron à Abdoulaye Wade. « Entré dans l’histoire par la grande porte, Abdoulaye Wade risque d’en sortir par la petite, humilié devant le monde entier », dit la première phrase. Et le curieux Pater Noster intitulé « Au nom du Père (Abdoulaye Wade), du Prince (Karim Wade) et de la Sainte Vert (Viviane Wade, la femme du Président) », n’arrange pas du tout les choses car tout au long de cette étrange prière récitée au « Grand-père qui est au Palais », ce sont les bassesses et les faiblesses du président sénégalais – devenu, selon l’auteur, un Sans Domicile Fixe dans son propre pays à force de voyager – qui sont révélées, cet homme en qui le peuple avait placé toute sa confiance en le plébiscitant en 2000, mais qui est devenu une véritable machine à matraquer qui « tue tous ceux qui lorgnent le trône sur lequel il est assis ».
On assiste, dans la première partie de l’essai, à des agressions horribles de journalistes par des policiers ou des loubards des politiques, comme Boubacar Kambel et Kara Thioune, des interpellations, des emprisonnements… des horreurs qui n’ont jamais été punies, les victimes croisant même leurs agresseurs en liberté dans la rue, car le président Wade est clair « … les journalistes sont mal formés, beaucoup d’entre eux sont des politiciens déguisés. » Il faut donc les traquer, les matraquer, les humilier…, pour bien les former. Le comble de cette barbarie survient en Juillet 2008 à Chicago où, invité à une conférence pour parler du réchauffement climatique, le président Wade est interrompu en plein discours par le journaliste sénégalais Souleymane Jules Diop, son ennemi à abattre. Le journaliste est frappé, déshabillé, humilié par les gardes du président sénégalais devant les yeux du monde… Les journalistes sénégalais n’ont pas pour seul ennemi leur président. Il y a aussi des individus lâches, louches, grossiers, comme Farba Senghor surnommé le fou du Roi ou l’âne de la République. Ce lourdaud, dont le président Wade affirme qu’il n’est pas sain d’esprit, mais qui est chargé de propagande au sein du parti au pouvoir le PDS et qui entretient de bonnes relations avec la première dame, a un dada, un sport favori qui est de tourner en dérision la presse privée sénégalaise, et les studios de la RTS, la télé publique, lui sont largement ouverts chaque fois que l’envie le prend d’injurier un journaliste ou ses ascendants. Sur une saute d’humeur, il ordonne le saccage des locaux de deux organes de presse, l’AS et 24 h Chrono. Des agressions, encore des agressions, toujours des agressions… Mais aussi des coups bas, des traîtrises de certains responsables de groupe de presse comme le directeur du groupe Walfadjri qui joue à l’hyène entre le pouvoir et la presse, les lobbies des chefs religieux et des marabouts qui se comportent comme un pouvoir à part entière dans la République, faisant la propagande du pouvoir qui les protège.
Toute la cacophonie de la première partie devient une pure partie de rigolade dans la seconde partie. Me Abdoulaye Wade, comme un pédophile incestueux sans vergogne, viole à satiété la jeune constitution qu’il avait lui-même instaurée, chasse des parlementaires qui tentent de s’opposer à ses intentions d’imposer son fils Karim au Sénégal, accuse son ex-Premier ministre Idrissa Seck de détournement de fonds puis le blanchit devant les caméras de la RTS, revient sur sa décision pour de nouveau accuser le ministre pour le reblanchir… De quoi ouvrir une « Blanchisserie Wade », ironise l’auteur.
Les témoignages des victimes des agressions ou de leurs proches, la précision des dates et des références, la vivacité et la sobriété du style porté par un humour caustique, rendent l’ouvrage très vivant, émouvant. On peut, certes, reprocher à l’auteur d’avoir trop mis son cœur de journaliste dans la rédaction, s’apitoyant tout au long de l’ouvrage sur le sort de ses confrères laissés pour compte entre le marteau et l’enclume d’un pouvoir politique chien méchant, d’un pouvoir religieux qui s’est trompé de voie, et d’un groupe de journalistes corrompus achetés par le pouvoir. C’est ce qui justifie, sans aucun doute, le choix d’un essai, plutôt que d’un genre romanesque, le roman à clef par exemple, que l’auteur aurait complètement raté car il n’aurait pas pu tenir ses distances vis-à-vis de ses personnages, ces autres lui-même dans une ineffable détresse.
Les Dérives du Sopi se referme sur une interrogation du lecteur. Ce Sénégal complètement bousillé par Abdoulaye Wade, ce pays avec une constitution devenue un véritable paillasson selon l’auteur, des ministres corrompus, des parlementaires vils, des institutions instrumentalisées et modelées selon les humeurs du Président, pourra-t-il redorer son blason à travers le seul combat d’une presse privée courageuse mais matraquée et muselée à loisir ? Le Sénégal ne risque-t-il pas de perdre son titre de vitrine de la démocratie en Afrique et tomber bas comme certaines porcheries de pays de l’Afrique noire ? Que nenni, clame l’essayiste, le Sénégal n’est pas le Gabon, encore moins le Togo – ah, le Togo, le mauvais élève ! De toute façon, l’avenir tranchera. On peut déjà attendre un autre essai de Momar Mbaye après 2012, l’après Abdoulaye et Karim Wade… ou peut-être… l’ère Karim Wade ! C’est l’Afrique, qui sait ?

L’ouvrage a été présenté au public au cours d’une séance de dédicaces le 20 Février 2010 à la Fnac de Mulhouse.

Les Dérives du Sopi, Edilivre Aparis, Paris, 2010, ISBN 978-2-8121-2147-0, 230 pages, 18 euros

3 Commentaires

  1. perdre son statut de vitrine de l’afrique?mais cher ami il ya belle lurette que le senegal n’est plus la vitrine democratique de l’afrique,les veritables vitrines democratiques de la sous-region sont ;le mali,le benin et d’autres

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